Horaires, tenues, attitudes : ils disent “fuck” aux codes de l’entreprise
08 sept. 2022
9min
Journaliste chez Welcome to the Jungle
Dans le monde du travail, codes, process et règles de bonne conduite régissent nos comportements. Pourtant, certains d’entre nous sont hermétiques à ces lois de conformité. Loin d’être dans les clous, ces salariés résistent en sortant du rang. Dissidents du monde, -parfois étouffant-, de l’entreprise, ils mènent leur rébellion à leur manière. Du look qui ne fait pas très « pro » aux attitudes qui ne passent pas inaperçues… ils affirment ainsi leur vision. Quand poser ses pieds sur le bureau devient un combat, ils nous racontent.
David, expert comptable - 31 ans : celui qui bossait les pieds dans un seau d’eau
Bon d’abord il faut savoir une chose sur moi : je ne me prends pas trop la tête au travail. Pourtant, paradoxalement je bosse dans un milieu très sérieux où le costume cravate est de rigueur : l’expertise comptable. La mentalité imposée par les patrons n’est pas du tout celle de l’univers des start-ups par exemple. Mais moi, je ne suis pas du tout aligné sur ces choses-là. Je trouve que le travail consiste surtout à apporter des compétences et faire ce pour quoi on a été embauché, point. On n’est pas rémunéré pour afficher en plus “une image de bon professionnel”.
Et puis, ce qui compte le plus pour moi, c’est l’ambiance de travail. Je ne pourrais jamais travailler avec des personnes avec lesquelles je n’ai aucune affinité. Alors au bureau, j’ai souvent œuvré à porter la déconnade à son paroxysme. Dans un précédent cabinet où je bossais, et où tout le monde s’entendait à merveille, avec mon équipe on avait nos délires, comme se cacher dans les bureaux ou faire semblant d’être endormi à son poste… Il y régnait une ambiance de récréation, surtout pendant les temps de pause, loin de l’esprit studieux qu’on pourrait imaginer dans un cabinet de comptables.
Si bien que je me sentais vraiment à l’aise. Peut-être même un peu trop. Je me souviens d’un épisode qui a crée ma légende. Une journée d’été, il faisait chaud, même très chaud. On n’avait évidemment pas de clim, seulement des ventilos et, il faut savoir que je supporte très mal la chaleur. Je suis ce genre de mec qui sort en t-shirt dès qu’il fait 15 degrés. À 25, je commence à me sentir mal. Là on plafonnait à 38°C dans l’open space, ce qui est tout simplement insupportable à mes yeux. Pour faire tomber cette chaleur de l’enfer, je me suis alors dit que le meilleur moyen était tout simplement de prendre un seau, de le remplir d’eau et de mettre mes pieds dedans. Une technique qui a porté ses fruits, car cela m’a rafraîchit instantanément. La réaction de mes chers collègues ? Ça a fait rire tout le monde, car c’était assez détendu entre nous. Ce n’était pas le genre de boîte où on allait me balancer au patron (qui n’était pas là d’ailleurs je précise). Je suis resté donc comme ça toute l’aprem.
Ok, s’il y avait eu des clients je n’aurais pas osé le faire et je ne le ferai jamais si je sentais que cela pouvait embarrasser mes collègues. Même si j’allumais souvent la mèche des bêtises, l’idée c’est qu’il y ait d’autres gens avec moi qui s’en amusent. Si je fais ce genre de chose au taf, c’est parce que j’estime qu’on passe plus de temps avec nos collègues qu’avec notre propre famille, et donc qu’il faut que ça se passe le mieux possible. C’est hyper important de créer du lien et ce genre de blague ça brise un peu la glace et ça fédère. Ça devient l’anecdote un peu folle qu’on partage et à laquelle on se réfère entre nous.
Depuis cet épisode, et après diverses expériences, je me suis bien rendu compte que ce n’est pas toujours possible d’importer mon côté bout-en-train en entreprise, surtout si personne n’adhère. Mais dans le cabinet qui m’embauche aujourd’hui, je gère une équipe de jeunes, l’ambiance est plutôt cool et comme je ne veux pas que mes équipes viennent la boule au ventre au taf, on s’octroie régulièrement des moments de décompression. Si je refaisais le coup des pieds dans le seau à mon poste actuel, on me ferait sans doute une petite réflexion mais ça resterait gentillet, parce que ma direction sait que le travail est bien fait et qu’on est sur la même longueur d’onde.
Par contre, pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain (de pied) ! Dans l’expertise comptable, il y a des délais, des échéances et des enjeux financiers, qui exigent que l’on soit rigoureux. Il ne faut pas que cette franche déconnade prenne le dessus sur la qualité de son travail.
Morgane communicante - 27 ans : celle qui refusait de changer son look
Je travaille dans la communication événementielle depuis mon alternance en 2016. En 6 ans, j’ai connu toutes sortes de boîtes, des grands groupes aux petites agences et suis maintenant cheffe de projet événementiel. Partout où je suis passée, je dénotais au point parfois de faire jaser certains de mes collègues que ce soit en raison de mon look ou de ma façon d’être. Pour vous faire une idée, je porte un septum au nez, j’ai deux kanjis tatoués sur les bras et revêt parfois un t-shirt pokémon à l’effigie de carapuce.
Pour mon tout premier jour de boulot, cela m’a valu un point managérial. A priori, mes collègues ne cultivaient pas le même goût vestimentaire que moi et ont fait remonter cet outrage aux bonnes mœurs du style, auprès de la direction. J’étais alors en période d’essai, on m’a gentiment annoncé avec un zest de pression, que légalement ils ne pouvaient pas me demander de retirer mon piercing, mais qu’il y avait plein d’autres raisons de rompre une période d’essai. C’est assez dramatique d’en arriver là pour un piercing ! En rogne, j’ai préféré partir de moi-même et garder mon look. Je n’ai pas envie d’être la petite blonde parfaite à qui on dicte ce qui est pro et ce qui ne l’est pas.
Malheureusement, l’apparence véhicule bien des stéréotypes et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai eu droit à des réflexions comme « ah mais toi tu fumes de la weed », ou encore « tes tatouages sont assez féminins donc ça passe. » Pour moi, cela interroge sur le regard que l’on porte sur le corps des femmes. Le regard sur le « no bra » par exemple. Cela fait plusieurs années que je ne porte plus de soutien-gorge au quotidien. Et même si les gens n’osent pas franchir le pas pour me le dire, je sens que ça dérange. En alternance, mon tuteur m’avait ainsi fait une réflexion durant un événement qui se déroulait dans un milieu assez masculin « ils vont tous arriver, tu ne veux pas t’habiller là ? »
En creusant davantage il m’a avoué que lors de mon recrutement, mon physique avait pesé dans la balance : « On avait besoin de quelqu’un rapidement et comme t’es plutôt mignonne c’est logique que ça passe. » Mais bordel, je suis autre chose ! Ça veut dire quoi ? Qu’aujourd’hui on peut me trier sur mon esthétique ? Je veux qu’on me juge sur mon potentiel, mon envie de réussir. Pourquoi devrais-je changer ? Je n’ai l’air chelou qu’aux yeux de ces collègues mais en réalité, je suis comme la majorité des personnes de 25 ans et à moins qu’un individu arbore une croix gammée sur le bras, je ne vois aucune raison d’avoir des a priori sur le look d’une personne. Pour moi, si tu es différent, tant mieux, c’est que tu as une manière de voir et de penser autre.
Mais je ne désespère pas, et l’état d’esprit en entreprise n’est pas toujours aussi fermé qu’on le pense. Parfois, on peut même provoquer des micro changements par une attitude qui sort un peu du cadre. Par exemple, dans un précédent job, j’avais pris l’habitude, par confort, de ne pas rester sur ma chaise lors des réunions. Entre les canapés, les balles de yoga, finalement j’aimais par-dessus tout me poser par terre. Bon, là aussi ce n’était pas jugé très pro et je me suis faite un peu taquiner au début. Les gens fronçaient les sourcils d’un air de dire « mais qu’est-ce qu’elle fait celle-là, c’est étrange », « elle veut des pièces la dame ? » Puis c’est devenu quasi normal, et on ne m’a plus regardé bizarrement. Jusqu’à ce jour où le directeur, bien plus âgé que moi, est venu lui-même s’asseoir par terre en réunion. On a discuté 20 minutes au ras du sol, dans un bureau. « T’es un peu spéciale toi. Bon je vais faire comme elle. Finalement c’est vrai qu’on est bien ici », m’a-t-il dit. Et ça a continué. Alors que parfois, le simple fait de m’asseoir en tailleur m’a été reproché dans d’autres boîtes et on me demandait de bien me tenir.
Alors ces codes d’entreprises plus ou moins strictes et difficiles à faire plier, d’où viennent-ils ? Ce n’est en tout cas pas qu’une question générationnelle pour moi, j’ai rencontré des managers de 50 ans très ouverts, et d’autres, de quelques années de plus que moi qui étaient très rigides sur ces questions de professionnalisme. En fait, les jobs pour lesquels on m’a le plus demandé de correspondre esthétiquement à une norme, étaient aussi ceux pour lesquels on me demandait mentalement de rentrer dans un cadre. C’est un peu mon redflag.
Hélène, marketing - 34 ans : celle qui tenait tête au process
Ne pas être dans les codes, c’est quelque chose qui me parle beaucoup. D’ailleurs, toute ma famille est dans l’armée sauf moi. Pas vraiment dans les rangs, je travaille depuis 12 ans mais mon parcours n’a rien d’un long fleuve tranquille, il est plutôt fait de revirements de situations. Pour illustrer, j’ai fait une école d’infirmière, puis une école de commerce. Je me suis dit que j’allais me calmer et me stabiliser un peu avec un boulot. Mais dès le début, j’ai compris que le salariat allait être difficile pour moi. Lors de ma toute première prise de poste en publicité, je n’ai pas accepté l’imposition d’horaires fixes par exemple. Si l’on devait arriver à 9h30 pile, je me débrouillerais pour venir 5 à 15 minutes en retard, juste pour troller ! J’ai toujours été réfractaire aux process absurdes.
Un peu refroidie, je décide de laisser place à un autre projet : j’ai une passion pour les jeux vidéo et intégrer une école de développeur me tentait beaucoup. Mais toujours poste dans un grand groupe de régie publicitaire à ce moment, je préviens ma N+1 de mon souhait de m’absenter un mois, pour passer un test immersif 7 jours sur 7 dans une école pour apprendre à coder, à l’issue duquel, l’école déciderait de mon admission ou non. L’enjeu, c’est que si j’étais prise, je quittais mon poste bien entendu. Pour la direction, ça passait mal, mais j’ai quand même pris un mois de congés sans solde, un peu au forcing. De mon côté, je ne culpabilisais pas du tout car j’étais cheffe de groupe en CDI confirmé, avec une équipe qui pouvait tourner seule en mon absence, j’avais tout laissé en ordre. Finalement, j’ai été admise pour la rentrée 15 jours plus tard. J’ai donc formulé une demande de rupture conventionnelle à mes managers, refusée dans la demi-heure.
Mais je ne me suis pas démontée pour autant. Ils ne voulaient pas m’accorder la rupture conventionnelle, car ça n’entrait pas dans leurs modes de fonctionnement ? Très bien, le bras de fer pouvait commencer. Pendant cette période, j’ai fait savoir à toutes les personnes que je croisais dans les couloirs de l’entreprise que je ne serai plus là 15 jours plus tard.
Le dernier jour arrivant, j’étais partie pour faire un abandon de poste. Mais surprise, au lieu de cela, j’ai reçu une convocation de la DRH qui m’a fait savoir qu’elle avait entendu parler de mon projet et qu’exceptionnellement elle consentait à me faire une rupture conventionnelle alors qu’elle n’en fait pas de l’année ! Elle a tout signé et même antidaté les documents pour que je puisse partir et le lundi suivant j’étais à l’école. C’est une grande fierté pour moi que cet acte de résistance ait finalement porté ses fruits et je suis aussi très reconnaissante auprès de cette DRH.
Aujourd’hui j’ai une double casquette Market-Dev, je fais du growth hacking. Je pense avoir trouvé ma place. J’en ai appris un peu plus sur moi et mon rapport au monde de l’entreprise. J’ai un profil créatif, qui aime prendre des risques et je fonctionne plutôt à l’instinct. Alors forcément, les process en entreprise ne me correspondent pas vraiment !
Dans ma boîte actuelle, je travaille en étroite collaboration avec le fondateur et gère une équipe de 10 personnes. Tout va vite, il n’y a pas de règles inutiles. Je n’ai plus peur de bousculer les habitudes de l’organisation et la direction me fait confiance.
Au final je m’intègre plus facilement dans cette boîte où on peut prendre plus de libertés que dans une entreprise où je n’avais le contrôle sur rien. Ici on prend en compte les problèmes que je remonte et on trouve des solutions. La preuve, ça fait deux ans que j’y bosse, et dans mon historique professionnel, deux ans c’est un record ! Malgré cela, ce n’est pas impossible que je change encore de milieu dans quelques années. Déjà petite, le principe même du salariat me paraissait une aberration. Mon objectif aujourd’hui est d’être retraitée ou ne plus être salariée avant mes 40 ans car autosuffisante grâce à d’autres sources de revenu. Alors oui le salariat, c’est une étape obligatoire dans mon projet, mais si je le suis, je me fixe comme règle de ne jamais l’être à n’importe quelle condition.
Article édité par Aurélie Cerffond
Photographie par Thomas Decamps
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