Recadrage, conflit... comment mener une conversation difficile en tant que manager ?
06 mai 2024
6min
Du malaise au conflit, en passant par le désaccord ou encore l’annonce d’une mauvaise nouvelle… Bien des situations dans le milieu du travail conduisent un manager à devoir mener une conversation difficile avec un ou plusieurs de ses collaborateurs. Comment alors réaliser l’exercice de manière constructive ?
Rémunération, promotion, télétravail, congés, problèmes de comportement ou relation dégradée… de nombreux maux du taf peuvent conduire à ouvrir la boîte de Pandore. Car lorsqu’un sujet miné est posé sur la table, une conversation difficile se profile souvent à l’horizon. La plupart du temps, le manager adopte alors l’une ou l’autre de ces stratégies : éviter la conversation ou l’aborder de front. Mais n’y a-t-il pas d’autres démarches plus productives à envisager dans un tel contexte ? Notre spécialiste en management et expert du Lab Ludovic Girodon nous dévoile ses recommandations pour adopter la posture adéquate selon les situations.
Les tenants et aboutissants d’une conversation difficile
Qu’il s’agisse de donner du feedback, négocier une augmentation ou annoncer une mauvaise nouvelle, ce que l’on entend par conversation difficile peut prêter à confusion. Pourtant, c’est une problématique à laquelle nous sommes tous confrontés quotidiennement. Dans son ouvrage Difficult conversations, Douglas Stone, auteur et enseignant en négociation à la Harvard Law School, définit les conversations difficiles comme « toute conversation qui nous fait sentir vulnérables, gênés ou mal à l’aise ». Il s’agit encore de « conversations que nous sommes susceptibles de remettre à plus tard, à un autre moment ». En somme, un rendez-vous désagréable que l’on aimerait éviter.
Selon l’auteur, chaque conversation difficile comporte trois sous-conversations cachées :
- La conversation sur ce qui s’est passée : quand le désaccord porte sur ce qui a été dit ou fait,
- La conversation sur les sentiments : celle qui conduit les personnes concernées à se demander si leurs émotions sont ou non justifiées,
- La conversation sur l’identité : celle qui nous pousse à nous interroger sur ce que cette situation signifie pour nous et nous incite à nous remettre en question.
« Une conversation difficile est une situation qui met dans l’inconfort, confirme Ludovic Girodon. Or, par définition, personne n’aime être dans l’inconfort. Ce qui explique que beaucoup de managers font l’autruche et évitent ces conversations. C’est d’autant plus tentant, que bien souvent, le manager ne dispose pas de réelle solution pour répondre à ces sujets sensibles. » Une situation que Benjamin, sales manager dans une société immobilière, a tristement expérimenté : « Mon équipe de vendeurs est principalement motivée par les primes de performance, mais certains se plaignent que les fixes ne soient pas assez élevés. C’est le cas de Maxime, mon meilleur vendeur, qui a beaucoup d’expérience et une famille à charge. Pour lui, j’ai cherché à obtenir de mon N+2 une augmentation de son fixe. » Mais, malgré l’argumentation de Benjamin, la direction ne veut rien entendre. Un refus qu’il a dû annoncer sans tarder à son collaborateur. « J’ai cru qu’on allait le perdre, il était dépité, souffle-t-il. J’étais tellement mal que je n’ai pas osé lui dire que c’était un non définitif et encore moins lui répéter que ce n’était pas la ‘’politique interne’’. Du coup, j’ai soutenu que, pour le moment, on n’avait pas le budget et qu’un jour peut-être on pourrait lui accorder… »
Alors que faire ? Enfouir sa tête dans le sol et attendre que l’orage passe ? « Bien au contraire, réplique Ludovic Girodon, car ça risque d’amplifier le problème. Ce n’est pas parce qu’on ne peut rien faire qu’il ne faut pas en parler. » Car, aussi difficile soit-elle, cette conversation répond à un besoin fondamental du collaborateur : sa sécurité psychologique. Cette capacité à pouvoir tout se dire au sein d’une équipe, soit lorsqu’on est en désaccord les uns avec les autres à pouvoir déposer ce qu’on a sur le cœur, impacte le niveau de performance et d’épanouissement des équipes. En clair ? « Plus on a de conversations difficiles et rapidement, meilleure est l’ambiance et le niveau de confiance au sein de l’équipe », traduit notre expert.
Ni médiateur, ni gladiateur mais manager
Rémunération, congé, télétravail… certaines conversations difficiles reviennent de manière systématique. On voit ainsi émerger des sujets difficiles endémiques à l’entreprise, au manager ou dans une relation à un collaborateur en particulier. « Une entreprise est composée de règles et de multiples contraintes, et c’est au manager de le rappeler, affirme Ludovic Girodon. C’est son rôle de se mettre autour de la table et d’aborder les sujets frontalement pour expliquer à son collaborateur : “J’ai tenté, malheureusement aujourd’hui il faudra se contenter de ça, car ça ne passe pas’’. » Mais c’est aussi au manager de faire preuve d’imagination et d’envisager d’autres leviers de reconnaissance et de motivation : prime, offre de formation, changement de poste, acquisition de nouvelles responsabilités… « Lorsqu’il aborde une conversation difficile, le manager doit toujours faire preuve d’empathie, c’est la clé. Il doit rester ferme et clair, mais exprimer de la compassion envers l’autre et s’efforcer de se mettre à sa place », insiste encore notre expert.
Claire est responsable marketing dans le secteur du sport. Elle peut se vanter d’avoir réussi à maintenir une bonne cohésion au sein de sa petite équipe. « Le revers de la médaille, c’est qu’on partage beaucoup de choses au travail, notamment sur la vie personnelle et, parfois, ça déborde », confie-t-elle. Une collaboratrice, en particulier, a tendance à s’épancher sur ses problèmes personnels. « C’est vraiment délicat, observe-t-elle, car cette fille a une vie difficile et c’est de toute évidence une personne fragile. Mais elle ne sait pas s’arrêter, elle déverse en permanence ses soucis de santé, psychologiques, amoureux… Et, à force, non seulement ça épuise l’équipe, mais on en vient à se demander s’il lui reste du temps pour travailler. » Comme son nom l’indique, Claire ne mâche pas ses mots et s’est permis de recadrer sa collaboratrice. « Ça s’est très mal passé, regrette-t-elle. Je lui ai dit franchement que sa vie personnelle prenait trop d’ampleur au travail, ce qu’elle a mal pris. Elle a fondu en larmes en exposant que sa vie était compliquée… Cette conversation n’a fait qu’empirer la situation. Elle a continué de se plaindre et à se victimiser. »
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En tant que manager aussi, les raisons qui poussent à aborder une conversation difficile ne sont pas toujours les bonnes. Parfois, la motivation peut être purement égoïste pour prouver que l’on a raison, défendre son statut ou simplement pour remettre quelqu’un à sa place. Ou bien est-ce l’envie d’aider autrui ou de résoudre un conflit. Pourtant, la conversation difficile n’est pas le lieu d’une joute verbale ou d’une psychothérapie. « Lorsqu’on fait un recadrage, on a souvent en face de soi quelqu’un qui fait un peu de mauvaise foi et qui a tendance à se justifier ou se victimiser, analyse Ludovic Girodon. Le risque est de rentrer dans ce débat : “A-t-il tort ou non ?’’ Car le manager n’est pas un psy ou un médiateur. » Sa seule mission est de rétablir un cadre de travail favorable pour l’équipe. « Si le collaborateur persiste, il ne faut pas hésiter à ressortir du débat et revenir à sa demande initiale : le cadre, explique-t-il. L’objectif final, c’est d’obtenir l’accord de son collaborateur pour mettre en pratique notre demande et faire cesser ce comportement hors cadre. »
4 astuces pour mener une conversation difficile de façon constructive
Certes, la tâche est délicate : il faut du courage pour aborder une discussion compliquée. Devant l’obstacle, beaucoup sont tentés de fuir ou de passer en force. Pour autant, lorsqu’il est bien mené, le dialogue peut conduire à maintenir ou à restaurer un climat de sérénité.
Conseil n°1 : cadrer pour mieux recadrer
Pour être constructive, la conversation difficile doit consister à recadrer avec bienveillance un comportement inapproprié. « Le recadrage est un mot à la connotation très négative et violente, observe Ludovic Girodon. C’est dommage car cela consiste tout simplement à poser un cadre et, si un collaborateur en sort, à fermement le remettre dedans. » La conversation difficile est donc une discussion qui conduit à favoriser le retour dans le cadre. « Évidemment, il faut veiller à exposer le cadre en amont à toute l’équipe pour que ce ne soit pas vécu comme une injustice par un seul », souligne notre expert.
Conseil n°2 : ne pas s’exclure de l’équation
En règle générale, explique Douglas Stone dans son ouvrage, on observe trois erreurs récurrentes lorsqu’un manager aborde une conversation difficile :
- Il part du postulat qu’il possède tous les éléments de compréhension de la situation,
- Il n’exprime pas ses propres émotions, ou bien il les évoque de manière brutale et dévalorisante pour le collaborateur,
- Il agit comme si sa personnalité et son attitude étaient sans rapport avec le problème soulevé.
Ainsi, pour aborder une conversation difficile dans des conditions optimales, Ludovic Girodon recommande aux managers de « *faire preuve d’empathie. Il faut faire comprendre à la personne qu’on la comprend et ne pas chercher à démontrer qui a tort ou raison.* »
Conseil n°3 : favoriser le collectif
Quel que soit le sujet de discorde, « il faut garder en tête que le manager est là pour faire réussir l’équipe, ce doit être son fil conducteur, résume Ludovic Girodon, Si le comportement d’un collaborateur impacte le reste de l’équipe et met en péril le collectif, le manager risque de rater sa mission s’il n’intervient pas. » Sa fonction de manager lui impose de rappeler et rétablir le cadre de travail optimal. « Lorsqu’il recadre un collaborateur, c’est donc pour rappeler les règles applicables à tous et pour le bien de tous, ce qui compte, c’est l’équipe », précise-t-il.
Conseil n°4 : recadrer avec la méthode CID
Ludovic Girodon préconise un cadrage en trois temps selon la méthode CID :
- C pour comportement : « Le manager doit d’abord revenir sur le comportement de la personne à l’origine du problème. Il rappelle les faits et ce qu’il s’est passé pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le sujet abordé. »
- I pour impact : « Il faut ensuite démontrer l’impact qu’a eu ce comportement préjudiciable sur les différentes parties prenantes. »
- D pour demandes : « Le manager doit conclure la conversation en formulant auprès de la personne des demandes claires pour que cela ne se reproduise pas. »
Les tabous au travail ne manquent pas… Mais bien des conversations difficiles, menées de manière constructive, permettent d’en venir à bout. Managers : ne fuyez-pas ! Il en va de la sécurité psychologique de votre équipe. Retenez que mieux vaut un bon recadrage, que de conclure à un mauvais recrutement.
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Article rédigé par Gabrielle de Lyones et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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