Recrutement : faut-il pénaliser un candidat stressé en entretien ?
20 oct. 2021
7min
Il a le profil parfait, un CV qui claque et une lettre de motivation qui vous rappelle la fougue de votre jeunesse. Vous le voyez, là, qui attend sagement dans le couloir le début de votre entretien. Mais le voici qui se met à suer à grosses gouttes. Il est littéralement en train de se liquéfier sur place. Que faire face à ce candidat trop stressé en entretien ? Doit-on le pénaliser par crainte qu'il ne sache pas gérer la pression ? Ou au contraire, analyser son stress comme une grande motivation à l'idée de vous rejoindre ? Décryptage.
Le stress en entretien : un cercle vicieux
En dehors de quelques experts du self-control, tout le monde est déjà passé par là. L’entretien est un moment particulier de la vie professionnelle, et concentre – en quelques minutes – de nombreux facteurs difficiles à gérer pour un jeune (ou moins jeune) cerveau. « J’ai conduit de nombreux entretiens au cours de ma carrière. Je vois le stress comme quelque chose de sain, qui montre que le candidat prend l’entretien au sérieux. Et c’est extrêmement rare de voir une personne complètement perdre ses moyens », nous partage Céline Méchain, Directrice des Ressources Humaines de Platform.sh.
Mais pour les quelques malchanceux qui perdent pied, il peut être compliqué de dépasser cette mauvaise expérience. Car le stress est directement lié à la gestion des émotions, il est donc très difficile à masquer. « Les signes de stress, au niveau du langage corporel, vont augmenter avec l’enjeu. Le stress rétrécit la posture, raidit et crispe la gestuelle », explique Olga Ciesco, experte dans le langage corporel et la communication non-verbale. Et si les émotions impactent le langage corporel, on sait maintenant que l’inverse est vrai également : « Ces manifestations corporelles vont induire au mental que quelque chose ne va pas. Le cerveau va produire du cortisol, l’hormone du stress. Et c’est donc un cercle vicieux dont il est difficile de sortir », ajout-elle.
Que se passe-t-il dans le cerveau ?
Bienvenue dans le cortex préfrontal, épicentre de la puissance cognitive. Le cortex préfrontal est le maître de la concentration, de la mémoire de travail, de la capacité à prioriser. Au quotidien, il se met intuitivement en « pilote automatique ». Mais lorsqu’un événement inhabituel ou avec un enjeu important survient, il a une tendance naturelle à s’emballer. Dans les situations de stress, le cerveau va se focaliser sur tout un tas de détails auxquels il n’aurait pas prêté attention dans une autre situation.
« Un ordinateur est une bonne analogie, explique la psychologue Sian Beilock, auteur de Choke. Si vous exécutez plusieurs programmes à la fois, tout ralentit. Si vous ajoutez de l’inquiétude à ce cocktail, l’attention nécessaire pour exécuter la tâche devient trop importante et peut mal tourner ». La chercheuse a ainsi étudié des golfeurs professionnels, et a réussi à montrer qu’en présence d’un public ou avec la perspective d’une récompense, ceux-ci sont 20 % moins précis sur les putts à courte distance.
Ô monde cruel, pourquoi le cerveau du candidat se met-il à lui jouer des tours au moment où il en a le plus besoin ? Pourquoi s’affole-t-il alors que vous lui avez simplement demandé ce qu’il appréciait le plus dans son dernier poste ? Lorsque le candidat panique, le cerveau est généralement en état de « paralysie par analyse ». Parce qu’il cherche à contrôler chaque aspect de ce qu’il fait (ou dit), il perturbe la fluidité et le naturel d’actions très simples comme parler de soi, raconter ses dernières expériences… Un phénomène particulièrement intense chez les personnalités les plus analytiques.
Désarmé face à la tempête cérébrale que semble traverser votre candidat, vous décidez de passer à des questions concrètes ou un cas pratique en vous disant qu’il sera peut-être plus à l’aise si vous ne lui demandez pas de parler de lui ? Erreur, mon cher Watson. Car un autre phénomène – tout aussi handicapant – peut se mettre en route. Lorsque vous interrogez un candidat sur un exercice pratique, celui-ci met en jeu sa mémoire de travail : une sorte de bloc-note du cerveau, qui stocke temporairement les informations pertinentes pour réaliser une tâche. Or, cette mémoire de travail est particulièrement impactée par la pression. Surchargée par tout un tas de détails accessoires que le cerveau ne peut pas s’empêcher de relever (« Tiens, le recruteur a des chaussettes de deux couleurs différentes » ou « Flûte, j’ai fait un lapsus là, non ? »), il est épuisé et peut laisser un candidat brillant sécher sur une question à laquelle il saurait répondre dans un autre contexte.
Par ailleurs, de récentes recherches montrent que ce phénomène est accru lorsque le candidat craint confirmer des stéréotypes sur le groupe social ou le genre auquel il appartient comme : les hommes sont meilleurs en analyse que les femmes, les personnes issues de quartiers populaires sont « plus » ou « moins » compétents sur tel aspect que les autres… C’est ce que l’on appelle, la « menace stéréotypée ».
Et ces phénomènes touchent-ils tout le monde ? Oui, mais à différents niveaux. Les recherches du Dr. Sian Beilock montrent malgré tout que les personnes les plus « brillantes » sont aussi les plus susceptibles de voir leur cerveau trop réfléchir, trop analyser, et perdre leurs moyens. Et si ce candidat qui se liquéfie devant vous était tout simplement un génie ?
Laisser sa chance à chacun : oui, mais…
« Un recruteur peut tendre la main, mais il n’est pas responsable de l’histoire de chacun. On peut comprendre qu’il y ait un stress, car l’enjeu est important, mais on ne peut pas faire des miracles », observe Olga Ciesco. Alors, que faire lorsque le poste convoité comporte une importante part de stress ? « Effectivement, si le poste visé implique beaucoup de pression, c’est peut-être mieux de ne pas recruter le candidat sur ce poste », explique Céline Méchain. Heureusement, les profils les moins résistants à la pression postulent rarement à la tête du RAID. Et c’est sans doute mieux ainsi.
Malgré tout, il ne faut pas oublier que le stress de l’entretien peut être lié à de nombreux facteurs, qui n’impactent pas toujours le futur travail du collaborateur. « Depuis que nous faisons des entretiens à distance, j’observe que les candidats perdent moins leurs moyens, partage Céline Méchain. Certes, ils sont dans un environnement familier. Mais ils évitent aussi, tout simplement, le stress lié à la logistique de l’entretien : trouver le bâtiment de l’entreprise, trouver une place de parking, faire face à un métro en panne… » Autant de facteurs qui pouvaient, jusqu’ici, impacter les performances du candidat en entretien, sans rien dire de ses performances réelles sur le terrain. Alors, pour juger la capacité d’un futur collaborateur à gérer son stress une fois en poste, rien de tel que de l’interroger sur des situations auxquelles il a pu faire face dans le passé, qui seront une meilleure preuve de ses capacités en temps normal.
Comment donner toutes les chances au candidat de se dépasser ?
Vous l’aurez compris, le cerveau peut jouer des tours aux candidats les plus brillants, indépendamment de leur préparation à l’entretien. Quelques conseils concrets permettent d’aider le candidat à baisser les barrières naturelles liées au stress. Olga Ciesco et Céline Méchain nous partagent leurs bonnes pratiques.
De la bienveillance et des perches bien placées. Tout recruteur le sait : un entretien commence dès la première poignée de main. En allant chercher soi-même un candidat, on lui offre quelques minutes de conversation informelle permettant d’aborder des sujets plus légers. « Ces quelques instants informels jusqu’au bureau dans lequel il passera l’entretien peuvent changer la donne et permettre au candidat de se mettre dans de bonnes conditions », explique Olga Ciesco. C’est également l’occasion de faire des ponts, chercher des points communs avec la personne que vous recevez, l’invitant ainsi à baisser la garde. « C’est une attitude que l’on a naturellement lorsque l’on rencontre une nouvelle personne. Dans le cadre de l’entretien, il peut s’agir de tendre une perche sur une école ou des hobbies que vous pourriez partager », ajoute-t-elle. Et pour cela, le CV de votre candidat est votre meilleur allié.
Back to basics : rappeler les objectifs de l’entretien. L’entretien est un moment particulier, dans lequel la balance du pouvoir penche naturellement du côté du recruteur. Pourtant, Céline Méchain aime rappeler le véritable enjeu : vérifier que l’on veut travailler ensemble. « L’époque de l’entretien à la dure, avec des questions pièges, est révolue. Il est important de rappeler au candidat que l’on veut apprendre à le connaître, comprendre qui il est réellement, ce qu’il sait faire et où il veut aller », explique-t-elle. Bref, lui expliquer que l’entreprise ne cherche pas forcément un candidat qui coche toutes les cases… mais qui saura grandir avec l’entreprise.
Être attentif à sa posture. Olga Ciesco l’affirme : on ne peut pas « simuler » des gestes de bienveillance. Mais bonne nouvelle : être authentiquement intéressé par le candidat va naturellement conduire à une posture positive, qui participe à le mettre à l’aise. « Un simple sourire, par exemple, montre inconsciemment qu’il n’y a pas de danger. Le fait de pencher légèrement la tête ou de la hocher va montrer des signes d’attention », illustre Olga Ciesco. De la même manière, elle recommande de recevoir les candidats lorsque l’on est dans de bonnes dispositions, et lui accorder la totalité de son attention sans perturbations extérieures : téléphone, e-mail…
Faire un break pour repartir sur de meilleures bases. Face aux cas les plus sévères, rassurer sur l’objectif de l’entretien et se montrer attentif n’est pas toujours suffisant. Alors aux grands maux, les grands remèdes : Céline Méchain recommande de casser le rythme de l’entretien, de basculer dans un mode d’échange plus « conversationnel » : « Un jour, je me suis retrouvée face à un candidat en totale perte de contrôle. Il transpirait énormément, il tremblait, il avait du mal à trouver ses mots, explique-t-elle. Dans ce type de situation, on peut tout simplement proposer au candidat de faire une pause : aller boire un café, un verre d’eau… voire lui proposer de visiter les locaux pour continuer la conversation de façon moins formelle qu’autour d’un bureau. »
Et si on abordait le sujet de manière frontale ? Pour désamorcer le stress, il est nécessaire de le comprendre : la personne n’est pas assez préparée, elle n’a pas l’habitude, elle candidate au poste de ses rêves, elle ne se sent pas à la hauteur… « Si la personne est tendue, on peut aborder le sujet avec finesse et bienveillance. On peut tout simplement lui dire qu’on la sent stressée, l’inviter à boire un verre d’eau et reprendre son souffle, recommande Olga Ciesco. Lorsque la bienveillance est authentique, elle se ressent ».
Tests et cas pratiques : rappeler que l’on attend pas un 20/20. L’entretien comporte parfois une phase de test des compétences techniques, ou un cas pratique. Des situations qui peuvent mettre certains candidats en grande difficulté, malgré des compétences indéniables dans les domaines testés. Chez Platform.sh, Céline Méchain a pris pour habitude d’envoyer un e-mail en amont, rappelant pourquoi l’entreprise fait passer ce test : « Nous recrutons beaucoup de développeurs, et nous ne nous attendons pas à ce que chaque candidat soit excellent dans tous les langages de programmation. Nous rappelons donc que ce test n’est pas là pour valider ou invalider leur candidature, mais plutôt connaître les technologies sur lesquelles le candidat est le plus à l’aise et commencer à se projeter sur la place qu’il ou elle pourra prendre au sein de l’équipe », explique t-elle. Ouf.
Le recruteur peut et doit se montrer empathique en entretien. Et s’il doit évidemment juger les candidats sur un pied d’égalité, il peut adapter son comportement à son interlocuteur : « On doit rester sur la même base de questions pour pouvoir comparer les candidats entre eux. En revanche, le ton que l’on utilise peut être différent, plus ou moins conversationnel en fonction du niveau de stress du candidat et de ses réactions », ajoute Céline Méchain. « Mais si le recruteur a évidemment un rôle à jouer pour permettre au candidat de donner le meilleur de lui-même, le stress reste un phénomène très personnel. Il n’est pas toujours lié au recruteur lui-même », conclut-elle. Alors haut les cœurs et trêve de culpabilité : comme un candidat, un recruteur ne peut pas faire de miracle, mais peut toujours faire de son mieux.
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Article édité par Paulina Jonquères d’Oriola, Photo par Thomas Decamps
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