Mode & Luxe : zoom sur le poste de responsable diversité et inclusion
22 juin 2020
6min
Rédacteur
Régulièrement attaqués pour des propos, produits ou concepts discriminatoires, les mondes de la mode et du luxe cherchent à inverser la tendance. Un de leurs leviers d’action : le recrutement d’un.e responsable de la diversité et de l’inclusion. Analyse.
À la suite de scandales successifs impliquant des propositions créatives jugées racistes ou offensantes, plusieurs marques de luxe et de mode, dont Gucci et Chanel, ont revu leurs approches managériales en créant un poste de responsable de la diversité. Le but ? Arborer une image globale plus respectueuse et moins condescendante.
Sur le modèle des industries créatives, on vous dévoile pourquoi un.e responsable de la diversité peut être bénéfique pour attirer et retenir les talents tout en renforçant l’innovation chez les collaborateurs.
Le garant du respect des spécificités interculturelles en interne comme en externe
« Ça fait quelque chose quand vous vous voyez, vous et votre culture, représentée non comme un objet mais comme un sujet. »
Kerby Jean Raymond, designer et directeur artistique de Pyer Moss
Le.a responsable de la diversité (ou Chief Diversity Officer) tire son origine d’un concept né aux Etats-Unis dans les années 1980 reconnaissant le bénéfice financier inhérent à une société multiculturelle.
La fonction de CDO consiste à rendre l’espace de travail inclusif en luttant contre tout manque de diversité concernant la couleur de peau, le genre, l’âge ou encore l’origine ethnique dans les campagnes de communication et dans les effectifs, de sorte que , collaborateur comme client, ne puisse se sentir offensé.
Apparu dans les grands groupes financiers et juridiques, le poste implique de promouvoir la diversité et de prévenir des discriminations en interne comme en externe. Cela se traduit par des actions de sensibilisation (sessions de formation, ateliers…) et la mise en oeuvre de projets spécifiques sur des sujets comme l’égalité des chances, la parité salariale, les questions intergénérationnelles, la représentativité des minorités à des postes clés…
Il reste cependant beaucoup à faire dans la mesure où, d’après Russell Reynolds Associates, seules 47% des entreprises du Fortune 500 disposent d’un CDO ou d’un poste similaire et moins des ⅔ de ces rôles ont été attribués ces trois dernières années.
Incarner une image bienveillante et non discriminante : le nouvel enjeu des marques de mode et du luxe
« Je suis convaincu que la diversité est le moteur de la créativité »
Marco Bizzarri, président de Gucci
En choisissant R.E.S.P.E.C.T, le titre phare d’Aretha Franklin, pour clôturer son intervention au précédent Business Of Fashion Voices, Alber Elbaz, ancien directeur artistique de la maison Lanvin préparant son retour sur la scène mode avec AZ Fashion, a cristallisé le besoin de devoir moral inhérent à tout créateur de produits culturels et donc, de facto, à toute marque de mode.
Un rôle dévolu au responsable de la diversité qui est chargé de s’assurer de la compatibilité des propositions créatives et des messages avec les valeurs intrinsèques de ses clients. Ainsi, nombre d’entreprises de mode ont choisi de s’engager dans la lutte contre les discriminations vis à vis des femmes de couleurs, des femmes rondes, la communauté LGBT+, des seniors ou encore des personnes en situation de handicap.
Le secteur n’en finissait pas de subir les contrecoups d’une politique excluant ou sous-représentant les individus non caucasiens au nom de l’enjeu commercial des acheteurs des grands magasins.
S’étant considérablement globalisée et tutoyant désormais la culture populaire avec le streetwear, l’industrie du luxe est entrée dans une ère de contestation d’une vision monolithique et européenne de la beauté. D’une communication centrée sur le produit singulier, le luxe est passé à un éloge de la différence. Et cela se ressent dans le casting de ses ambassadeurs que ce soit sur les podiums ou dans ses équipes, illustré par l’arrivée à la direction artistique de Virgil Abloh et d’Olivier Rousteing, respectivement chez Louis Vuitton et Balmain.
Si la diversité sur les podiums remonte à 1964 avec Paco Rabanne qui fut le premier à faire défiler des mannequins noires, très vite suivi par Yves Saint Laurent avec des figures comme Rebecca Ayoko ou Katoucha Niane, rares furent les designers hormis Jean-Paul Gaultier et Azzedine Alaïa, à passer outre les dogmes du secteur.
2019, un tournant pour la diversité : du bad buzz au good willL’année 2019 a été particulièrement marqué par les questions de diversité avec la chanteuse Rihanna connue pour ses partis pris créatifs forts en faveur de la diversité, intronisée directrice artistique de sa propre marque Fenty avec le soutien du groupe LVMH. Jusqu’ici, elle n’avait pas hésité à faire défiler des mannequins noires, métisses et grandes tailles mais aussi atteintes de Vitiligo ou encore enceintes…
Gucci a été la première maison de luxe à nommer une directrice monde pour la diversité et l’inclusion et ainsi renforcer sa politique d’inclusivité et ce en réaction à une vive polémique sur les réseaux sociaux. A la suite de la commercialisation d’un pull col roulé noir avec des lèvres rouges rappelant l’imagerie blackface, la marque avait dû formuler des excuses publiques et retirer le produit des circuits de distribution.
Transformant la controverse en apprentissage la marque est allée plus loin en recrutant Renée Tirado, avocate de formation, anciennement Responsable de la diversité et de l’inclusion pour des fédérations sportives et en débloquant un budget de 5 millions de dollars pour la mise en place du programme Gucci Changemakers.
Lui emboitant le pas, Chanel répliquait en juillet en recrutant Fiona Pargeter qui occupait auparavant le même poste de responsable de la diversité sur la région EMEA au sein de la banque suisse UBS tandis que Burberry recrutait Amir Kabel, le lauréat du prix Head of Diversity 2017 pour Adidas aux European Diversity Awards et membre de la communauté LGBT+, passé par Vodafone UK, Diageo et RBS Insurance. De son côté, Prada annonçait la création d’un comité consultatif sur la diversité et l’inclusion.
Par delà les quotas : une diversité au service de la créativité et de l’intelligence collective dans la mode
« La diversité et l’inclusion ne sont pas une tendance, mais la façon dont nous devrions tous fonctionner à l’avenir.
Steven Kolb, président du CFDA (Conseil des créateurs de mode américains)
Transparence, inclusion et diversité sont les nouveaux mots d’ordre de la communication des marques de mode et du luxe. Elles savent que le moindre refus de représenter ou de reconnaître certains groupes peut être sévèrement puni jusqu’à entraîner un appel au boycott. Dolce Gabbana en fit l’amère expérience : suite à la diffusion d’une vidéo en mandarin jugée raciste montrant une chinoise tentant vainement de manger des plats italiens avec des baguettes, la marque fut contrainte d’annuler son défilé de la saison.
Incarnation du soubresaut moral de l’industrie de la mode, le responsable de la diversité, peut, par sa connaissance fine du marché (mais aussi de ses us, coutumes et traditions), préserver l’intégrité de la marque du risque de se voir taxé de sexisme, de racisme ou encore d’appropriation culturelle sur les réseaux sociaux.
Si l’expérience significative sur un poste similaire au sein d’une organisation internationale s’avère la piste idéale, les récentes nominations dans le secteur de la mode et du luxe font état de profils ayant évolué dans des environnements multi-culturels que ce soit par leurs origines ou leurs parcours professionnels.
L’idée est que nul ne peut mieux comprendre une culture ou un segment de clientèle que la personne partageant les mêmes origines que cette dernière.
Par la création d’un poste dédié, Gucci a su transformer la polémique en accélérateur du changement. La marque a compris que s’en remettre au seul DRH pour développer les questions de diversité n’était pas pertinent dans la mesure où il/elle ne disposait pas du temps nécessaire ni de connaissances approfondies pour traiter convenablement le sujet.
De l’avis d’experts, le responsable de la diversité, en tant que poste stratégique, se doit d’en référer directement au dirigeant pour maximiser son impact et c’est précisément ce que fait Gucci. En outre la maison italienne fait en sorte de multiplier les tribunes en impliquant le CDO à des espaces de réflexion internes comme le conseil consultatif de Chime for Change. L’idée est de multiplier les points de contact internes afin de sensibiliser l’ensemble des parties prenantes sur les questions de diversité.
Autre clé du succès : la maison a hiérarchisé ses priorités. C’est-à-dire qu’elle a lancé un programme de bourse d’études pour permettre à des individus aux parcours atypiques d’intégrer l’entreprise.
Par ses actions et ses prises de paroles, le responsable de la diversité est en mesure d’insuffler une normalisation de la différence dans le secteur.
La marque trouvera dans ce profil rompu aux questions interculturelles, un puissant levier d’action de sa politique RSE et un acte de légitimation de sa bienveillance.
Sous l’impulsion du responsable de la diversité, la multiplication de sessions de formation internes et autres Q&A autour de l’interculturalité réinjecte un cercle vertueux dans un secteur souvent décrié pour son manque d’humanité et sa chaîne de production à la durabilité perfectible. De quoi entrevoir un futur désirable à une industrie reconnectant les marques avec une société par essence cosmopolite. C’est par cette capacité à accueillir sans hiérarchisation l’ensemble des cultures que la désirabilité des marques de mode et du luxe, côté talents comme clients, perdurera.
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