Seul face à la caméra : qu'est ce que l'entretien vidéo différé ?
03 déc. 2019
9min
CN
Fondatrice de Dea Dia
L’entretien vidéo différé est un outil de plus en plus utilisé par les recruteurs pour gagner du temps et sélectionner les meilleurs candidats pour l’étape suivante : l’entretien d’embauche. Mais comment marche exactement ce format d’entretien ? Comment le préparer et en tirer le meilleur parti ?
Pour le savoir, nous avons interrogé Julia Moutet, chargée du développement RH et Julie Atlan, content manager chez Easyrecrue, une plateforme de recrutement spécialisée dans les entretiens vidéo différés. Elles nous ont expliqué le fonctionnement de cet outil et nous ont donné quelques conseils pour sortir vainqueur de cette épreuve. De son côté, Kathleen a passé ce type d’entretien dans le cadre de sa première recherche d’emploi, elle nous raconte comment elle a vécu cette expérience.
Qu’est-ce qu’un entretien vidéo différé ?
Comme son nom l’indique, un entretien vidéo différé est un entretien filmé, regardé en différé par le recruteur. En tant que candidat, vous enregistrez votre entretien à distance via une plateforme à laquelle vous vous connectez. Vous êtes seul face à la caméra, les questions sont préenregistrées, il n’y a donc pas d’interaction avec le recruteur. Une fois l’entretien terminé, le recruteur reçoit la vidéo.
Concrètement, comment ça marche ?
Après diffusion d’une offre d’emploi, le recruteur reçoit plusieurs CV. Parmi ces candidatures, il sélectionne celles auxquelles il souhaite faire passer un entretien vidéo différé. Les entretiens sont réalisés grâce à une plateforme disponible au format desktop ou via une appli disponibles sur mobile et tablette. Si vous êtes retenus, vous recevez un mail d’invitation de la part du recruteur pour vous connecter à la plateforme (ou télécharger l’application) et vous identifier. Dès que vous cliquez sur ce lien et que vous vous connectez, l’entretien commence.
On effectue d’abord un test technique pour vérifier que la caméra et le micro fonctionnent puis il y a une question d’entraînement, soit filmée, soit écrite à l’écran, à laquelle répondre. Pour Julie, « il ne faut pas négliger cette question car se voir à l’écran n’est pas toujours simple et cela nécessite un temps d’adaptation. Plus l’entretien va avancer plus le candidat se sentira à l’aise. »
L’entretien est entièrement écrit par les recruteurs eux-mêmes. Ils définissent le temps qu’il dure et la forme qu’il prend. Julia explique : « C’est le recruteur qui configure son entretien. Il choisit les questions, leur format (écrites à l’écran ou filmées), la manière de répondre et le temps imparti pour y répondre. Il peut y avoir des mises en situations, des questions QCM ou des questions auxquelles le candidat doit répondre par écrit. Il peut également donner les instructions qu’ils souhaitent au candidat : être habillé en tenue de travail, par exemple. »
« Le recruteur (…) choisit les questions, leur format (écrites à l’écran ou filmées), la manière de répondre et le temps imparti pour y répondre. » Julia Atlan, content manager
Une fois l’entretien terminé et enregistré, le recruteur le reçoit et peut le regarder quand il le souhaite et autant de fois qu’il le souhaite avec les équipes concernées par le recrutement. Les candidats qu’il retient sont ensuite reçus en entretien d’embauche classique.
Un outil de présélection
C’est un entretien de présélection qui permet aux recruteurs d’avancer plus rapidement dans le process de recrutement grâce à une présélection plus qualitative. Julie explique : « On ne peut pas comparer les entretiens vidéo différés de présélection et les entretiens d’embauche classiques. Ils ne les remplacent pas, ils interviennent en amont. Ils remplacent la présélection téléphonique réalisée dans la majorité des cas entre l’envoi du CV et la rencontre physique. »
« On ne peut pas les comparer aux entretiens d’embauche classiques. Ils ne les remplacent pas, ils interviennent en amont. » Julie Moutet, chargée du développement RH
Le plus souvent, l’entretien est orienté de manière à en savoir plus sur le candidat avant de le rencontrer. Julia précise : « L’idée pour le candidat c’est de se présenter, dire où il en est dans sa démarche professionnelle, parler de son expérience, dire ce qu’il a compris du poste ou des missions en général. Ensuite, il peut y avoir des questions pratiques sur la disponibilité et les prétentions salariales, auxquelles il peut généralement répondre par écrit. »
Elle précise : « Certains recruteurs intègrent des questions qui seront déterminantes dans le choix du candidat comme, par exemple, la maîtrise d’une langue, d’un logiciel. Il peut y avoir des questions en anglais, pour juger rapidement si le candidat est à l’aise ou non. En général il n’y a pas de piège, l’idée pour le recruteur est d’en savoir plus sur le candidat. »
Un outil pour tester la motivation
C’est donc avant tout un outil de présélection qui permet de réduire le nombre de candidats à rencontrer en entretien d’embauche mais, pour Julie et Julia, cela permet également d’évaluer la motivation des candidats. Julia estime notamment que le format en lui-même « est un bon moyen de tester la motivation d’un candidat et sa faculté à sortir de sa zone de confort. Ceux qui veulent vraiment le poste prendront leur courage à deux mains pour faire l’entretien vidéo différé. » À bon entendeur !
Les avantages de ce type d’entretien
Choisir les conditions de son entretien
L’avantage premier, c’est bien sûr la liberté que confère ce type d’entretien par rapport au call RH plus classique. Ici, vous pouvez choisir le lieu et l’heure de votre entretien. Vous pouvez le passer sur mobile, tablette ou ordinateur, au moment propice. Vous devez simplement respecter la date limite définie par l’employeur. Souvent, vous avez quelques jours pour passer votre entretien. Un véritable atout si vous êtes en poste ou si vous avez un emploi du temps chargé et ne pouvez pas vous rendre disponibles aux horaires de bureaux.
Julie argumente : « Cela permet de réaliser son entretien dans les meilleures conditions possibles. Le candidat dispose d’un délai imparti pour répondre à l’entretien, il choisit le moment et le lieu pour le réaliser. Il peut le passer le soir, le week-end, quand il le souhaite. Sans compter que pendant l’entretien vidéo, il dispose de 30 secondes avant chaque question pour préparer sa réponse, ce qui n’est pas possible par téléphone. »
« Cela permet de réaliser son entretien dans les meilleures conditions possibles. » Julie
Gagner du temps
De plus, il n’y a pas besoin de se déplacer, de se rendre disponible à un horaire précis et pas de risque de voir annuler l’entretien au dernier moment comme cela arrive malheureusement souvent. Vous restez donc maître de votre temps.
Kathleen a d’ailleurs particulièrement apprécié le gain de temps que cela implique : « cet entretien m’a pris moins de temps qu’un entretien classique car je n’avais pas d’interlocuteur, il n’y avait pas de dialogue, pas d’échange, les questions étaient pré-enregistrées sur un logiciel. Cela a duré environ 20 minutes. »
« Il n’y avait pas de dialogue, pas d’échange, les questions étaient pré-enregistrées sur un logiciel. Cela a duré environ 20 minutes. » Kathleen, candidate
Augmenter ses chances d’être sélectionné
Faire passer des entretiens de recrutement est souvent très long pour les recruteurs. Ils ont donc tendance à faire une pré-sélection drastique de candidats avec pour conséquence une uniformisation des profils rencontrés. L’entretien vidéo différé, en leur faisant gagner du temps, leur permet de sélectionner plus de candidats.
Julie explique : « Le recruteur gagne du temps en visionnant les vidéos car c’est en moyenne deux fois plus rapide qu’un entretien téléphonique. Il peut donc inviter plus de candidats et élargir son scope à des candidats qui n’auraient pas passer la première étape du CV] en temps normal. »
D’autre part, la vidéo peut être visionnée plusieurs fois, de sorte que si le recruteur est interrompu ou déconcentré lors du premier visionnage, il peut revoir la prestation du candidat par la suite, ce qui n’est pas le cas lors d’un call RH.
Favoriser les profils atypiques
De plus, le format vidéo peut favoriser certains candidats en leur permettant de compenser les faiblesses de leur CV par une mise en avant de leur personnalité et de leur savoir-être. Pour Julia, « les profils atypiques, ceux qui manquent d’expérience ou n’ont pas fait la bonne école, peuvent se mettre en valeur différemment, s’exprimer plus librement. On voit la posture, le vocabulaire utilisé, l’attitude face à la caméra, la manière de s’exprimer. C’est plus humain qu’un coup de téléphone et ça permet de voir des choses indécelables sur un CV. »
« Les profils atypiques, ceux qui manquent d’expérience ou n’ont pas fait la bonne école, peuvent se mettre en valeur différemment, s’exprimer plus librement. » Julia
Selon elle, il est indéniable que cela a permis à bien des candidats, qui n’auraient pas été retenus en temps normal, de passer à l’étape de l’entretien d’embauche. En interne, ils en ont d’ailleurs fait l’expérience. « Je me souviens notamment d’une collaboratrice un peu junior mais qui nous a impressionnés en entretien vidéo différé. On a trouvé qu’elle avait une énergie de dingue, elle s’exprimait très bien, elle était souriante, on avait envie de la rencontrer. Ce ne serait pas arrivé sans l’entretien vidéo. Et ce type de retours, on en reçoit beaucoup de la part de nos clients. »
Les craintes des candidats
Une entreprise peut-elle obliger un candidat à passer ce type d’entretien ?
Non, elle ne peut évidemment pas obliger un candidat à se plier à ce type d’exercice. En revanche il est vrai que cela peut inquiéter : « vais-je être écarté du processus de recrutement si je refuse ? » En réalité, si votre profil correspond tout à fait à la fiche de poste, il y a de grandes chances pour qu’un refus ne vous empêche pas d’aller plus loin dans le process de recrutement.
Julia précise : « Si un candidat refuse mais qu’il a vraiment un CV intéressant, on peut tout de même le recevoir en entretien plus classique. Ça nous est déjà arrivé en interne. Il faut être flexible. Mais cela dépend finalement de la politique RH de l’entreprise, certains vont passer outre, d’autres peuvent décider de ne pas aller plus loin. »
Peut-on recommencer si on n’est pas content de soi ?
Là encore, c’est au recruteur de décider s’il laisse ou non cette possibilité aux candidats. Certains privilégient la spontanéité, d’autres permettent de revenir en arrière. Julia explique : « On ne conseille pas de proposer le réengistrement parce qu’on pense qu’il faut que ce soit naturel. C’est censé remplacer un call, or lors d’un call, on ne peut pas effacer ce qu’on dit pour recommencer ! Si on enregistre 2 ou 3 fois la même séquence, on connaît les questions à l’avance, on peut préparer ses réponses donc cela n’a plus le même intérêt. »
« Si on enregistre 2 ou 3 fois la même séquence, on connaît les questions à l’avance, on peut préparer ses réponses donc cela n’a plus le même intérêt. » Julia Atlan, content manager
Julia précise pourtant que « les recruteurs le proposent souvent. Ils estiment que c’est un exercice stressant et déstabilisant, notamment la première fois, donc proposer la possibilité de se réenregistrer peut être un vrai confort pour les candidats. »
Quand le recruteur ne propose pas de réengistrement, il est tout de même possible de demander à recommencer l’entretien, notamment si vous avez vraiment perdu vos moyens. « Ça nous est arrivé qu’un candidat nous contacte parce qu’il avait totalement raté son entretien vidéo différé et selon le profil, on peut renvoyer une nouvelle invitation », précise Julia.
Seul.e face à son écran
L’absence d’interlocuteurs peut constituer un avantage ou un inconvénient, selon votre personnalité. Ceux qui craignent les entretiens un peu rudes ou les questions pièges de certains recruteurs peuvent trouver agréable d’avoir 30 secondes pour préparer leur réponse et de ne pas craindre une relance déstabilisante. Pour Julia, « il n’y a pas de biais personnels, on n’a aucun risque de tomber sur une personnalité un peu trop dure, avec qui le courant ne passe pas puisqu’on est seul face à son écran. »
Malgré tout, pour d’autres candidats, l’absence d’interaction peut poser problème. Pour Kathleen, par exemple, le fait de ne pas avoir d’interlocuteur, de ne pas être dans un échange à proprement parler, a entraîné un manque de spontanéité. « Personnellement je préfère avoir une personne en face de moi, avoir un vrai échange. On peut directement voir si le “feeling” passe. Je trouve ce format plus stressant car lors d’un entretien le stress peut nous faire perdre nos moyens, le recruteur peut alors nous aider, nous guider à reprendre le fil de nos propos, seul devant une caméra, quand on perd nos moyens, c’est compliqué de reprendre. »
« Personnellement je préfère avoir une personne en face de moi, avoir un vrai échange. On peut directement voir si le “feeling” passe. » Kathleen, candidate
Un exercice stressant et déstabilisant
Pour beaucoup, se voir à l’écran pendant qu’on parle est un exercice particulièrement déstabilisant. Pour cause, quand on n’est pas habitué, on a tendance à se focaliser sur notre apparence, à se juger négativement et à perdre nos moyens. Mais pour Julia, c’est une question d’habitude : « Pour les candidats qui passent ce type d’entretien pour la première fois, les mots qui reviennent le plus souvent sont “stressant” et “déstabilisant”. Mais je suis sûre qu’il en serait de même si on posait la question à des candidats qui passent un entretien d’embauche pour la première fois. C’est vraiment une question d’habitude. Quand on en a passé un ou deux, cela devient une formalité. »
« Pour les candidats qui passent ce type d’entretien pour la première fois, les mots qui reviennent le plus souvent sont “stressant” et “déstabilisant” » Julia
Quid des données personnelles ?
La question des données personnelles est au cœur des préoccupations actuelles et dans ce contexte, les candidats peuvent s’inquiéter de savoir ce qu’il advient de la vidéo par la suite.
« On a eu des remarques de personnes qui ne souhaitaient pas qu’on garde des vidéos d’eux. Or il n’y a aucune chance que ça ressorte ailleurs ou que ce soit réutilisé. Dès qu’une campagne de recrutement est archivée (à savoir, dès que le poste est pourvu, ndlr), les vidéos le sont également et on ne peut plus y accéder. On respecte scrupuleusement la loi. »
Ainsi, les vidéos enregistrées doivent obligatoirement être supprimées dans un délai maximum de 2 ans et ne peuvent être partagées, téléchargées ou communiquées qu’aux recruteurs.
Un entretien vidéo différé est donc un exercice qui peut sembler déstabilisant au premier abord, mais qui n’est pas plus périlleux qu’un entretien classique auquel vous êtes juste plus habitué. Il faut le considérer comme une opportunité de faire ses preuves, notamment pour les candidats qui n’ont pas le CV le plus adapté au poste. Si un recruteur vous le propose, surmontez donc votre appréhension et faites-en un atout !
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Photo d’illustration by WTTJ
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