Partir et revenir dans la même entreprise : le phénomène des salariés boomerang
25 oct. 2018
9min
Saviez-vous que le taux de turnover en entreprise en France n’a jamais été aussi haut ? S’il y a encore 20 ans, les employés entraient dans une entreprise pour y faire carrière, c’est loin d’être le cas de la génération Y qui changera en moyenne 4 à 5 fois de métier dans sa carrière. Selon l’étude Preparing for take off réalisée par le cabinet Hay Group, la France atteindra les 15% de taux de turnover en 2018 (contre 23% à l’échelle mondiale.) Avec cette augmentation de la rotation du personnel et un nombre fini de postes dans certains secteurs, il est courant, en phase de recherche d’un nouvel emploi, de tomber sur une offre d’un ancien employeur et de faire le pari de re-postuler.
Ce phénomène “boomerang” présente de nombreux avantages, pour l’employé comme pour l’entreprise, mais aussi son lot d’inconvénients. Nous avons décidé de décrypter le sujet, afin de prodiguer les meilleurs conseils pour ceux qui s’interrogent quant au fait de retourner travailler pour son ancien employeur.
Le phénomène boomerang
Certaines personnes adoptent aveuglément la politique de ne jamais ne serait-ce qu’imaginer un come-back. Ils estiment qu’il y a tant d’autres défis à relever et de milieux à découvrir et que choisir de rejoindre un environnement familier, serait une régression. Une prise de position compréhensible mais loin d’être généralisée car pour d’autres, il n’y a aucun mal à répondre positivement à une offre d’emploi intéressante, quand bien même elle proviendrait de leur ancien boss. Dans le pire des cas, ils peuvent confirmer leur décision de quitter ladite société et donc taire tout regret lié au précédent départ. Et dans le meilleur des cas, ils s’offrent une nouvelle opportunité de carrière, tout en profitant des nombreux avantages à connaître sa nouvelle entreprise.
Le profil type du salarié boomerang
Ces salariés “boomerang” sont majoritairement des profils performants qui sont partis en bon termes après plusieurs années dans une entreprise. Ils ont su saisir des opportunités pour progresser (étude, entrepreneuriat, poste avec plus de responsabilités…) et font le choix de venir mettre leurs nouvelles compétences à profit de leur ancienne entreprise, contre une promotion évidente. Selon une étude de 2018 menée par Kronos et Workplace Trends, 76% des RH se déclarent plus disposés à recruter d’anciens employés que ce n’était le cas il y a cinq ans. Mais seulement 15% des travailleurs interrogés sont retournés chez un ancien employeur.
Pourtant, quitter son entreprise, peu importe les origines de la décision, laisse un arrière-goût d’échec. Mais l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs, et un départ peut aisément se transformer en déception pour l’un des deux partis, voire les deux. Pour des retrouvailles réussies, il faut avant tout que l’envie soit réciproque, autrement cela ne se fera jamais. Et pour que ce soit le cas, les bénéfices de part et d’autre doivent être clairement identifiés afin d’éviter un retour raté.
Dans la peau de l’entreprise : les avantages
Ré-intégrer un ancien employé présente des nombreux avantages, mais aussi quelques inconvénients. Il est important pour un candidat d’en être conscient pour pouvoir anticiper les attentes et les craintes de l’entreprise et ainsi trouver les bons arguments à mettre en face. Certains avantages sont plutôt logiques :
- L’intégration sera plus aisée car le candidat a déjà été en contact avec la culture de l’entreprise, il connaîtra déjà quelques uns de ses anciens collègues et saura retrouver ses anciens réflexes pour répondre correctement aux process internes.
- Il en va de même pour ses missions ; connaissant les fondamentaux de l’offre et du marché, il sera rapidement opérationnel et l’entreprise ne perdra que peu de temps et d’argent en formation.
- D’autres avantages sont un peu plus subtils. Le salarié, bénéficiant d’une seconde opportunité pour faire ses preuves, saura qu’il n’a plus vraiment le droit à l’erreur et sa motivation n’en sera que plus accrue.
- Enfin, de par l’expérience emmagasinée pendant son absence, un employé “boomerang” peut mettre à profit de l’entreprise ses nouvelles capacités ou de nouvelles perspectives.
Dans la peau de l’entreprise : les inconvénients
Comme précisé plus tôt dans cet article, un départ est vu comme un échec par une entreprise, que ce soit pour un licenciement ou une démission. Lorsqu’un licenciement se produit, cela veut dire qu’il y a eu une erreur de casting et que l’entreprise a perdu des ressources pour former quelqu’un qui ne restera pas. Pour une démission, c’est du pareil au même : l’entreprise n’a pas su tirer les bons leviers pour que l’employé décide de rester. Dans les deux cas, ce sont des erreurs de recrutement qui coûtent cher et choisir de prendre de nouveau ce risque avec la même personne, n’a rien de rassurant.
Il y a d’autres facteurs négatifs à prendre en compte, comme par exemple la réaction du reste de l’effectif. En effet, reprendre un salarié est souvent synonyme de promotion et le risque de froisser des anciens collègues qui n’ont toujours pas évolué est réel. Certains pourraient même se dire qu’en fait, le meilleur moyen d’être promu, c’est de quitter la société pour y revenir. Ces réactions sont difficiles à anticiper car une direction est rarement au fait de tous les niveaux de relation au sein de son effectif. Le dernier risque à relever a un rapport avec la culture d’entreprise ; si celle-ci a changé au fil des années, le candidat ne sera peut-être plus en accord avec celle-ci.
Dans la peau du candidat : les avantages
Pour le candidat, les avantages et inconvénients d’un come-back sont le reflet exact de ceux énoncés pour les entreprises. En retrouvant son ancienne entreprise, un employé retrouvera ses marques facilement et n’aura pas à passer par une phase de formation et de micro-management. Dès les premières semaines, celui-ci pourra revendiquer une certaine autonomie qu’une nouvelle entreprise ne lui aura accordé qu’au bout de plusieurs mois. De par ses nouvelles expériences, le salarié “boomerang” a la lourde tâche de prouver qu’il n’est plus le même et qu’il apporte une nouvelle valeur ajoutée à l’entreprise, ce qui prodigue un véritable sentiment de valorisation, qu’il faut savoir gérer avec humilité.
Dans la peau du candidat : les inconvénients
En se tournant vers l’avenir, le candidat se doit d’oublier un potentiel esprit de revanche pour partir sur de bonnes bases et reprendre des relations saines avec ses supérieurs et ses collègues. Néanmoins, les bonnes intentions ne suffisent parfois pas et le passé peut revenir dégrader certaines relations sans aucun contrôle possible. Un autre inconvénient à ne pas négliger est l’impression de “déjà vu” ; commencer un nouveau travail a des vertus très stimulantes, comme la rencontre de nouvelles personnes, la montée en compétence rapide, de nouveaux challenges, etc. qui permettent de contrebalancer le stress lié à un nouvel environnement. Pour un employé “boomerang”, la surprise est déjà “gâchée” et la pression de devoir de nouveau faire ses preuves est, quant à elle, bien présente.
Témoignage
Philippe est entrepreneur depuis maintenant une dizaine d’années. Aujourd’hui à la tête de la start-up Azetone, spécialisée dans l’optimisation des applications mobiles, il fut, à une époque un employé “boomerang” chez Microsoft. Il nous raconte son histoire. « Après deux stages chez Microsoft, le premier à Paris et le second au siège de Seattle, j’intégrais les équipes de marketing de Microsoft France pendant plus de 3 ans. Désireux de retourner travailler sur le continent américain, j’acceptais une proposition chez Symantec, où je pris la direction du marketing. Après 10 ans de bons et loyaux services, je décidais de retourner en France et Microsoft, avec qui je m’étais séparé en bon termes, en entendit parler. Quelques jours après, je me retrouve à déjeuner avec mon ancien supérieur, qui me fait alors une proposition : revenir chez Microsoft en tant que Directeur des Opérations EMEA. En 10 ans, l’entreprise avait beaucoup changé et bien que fort de mes nouvelles compétences de management et de marketing acquises chez Symantec, il me fallut un certain temps d’adaptation pour rattraper mon retard. Je suis ensuite resté 6 ans chez Microsoft. »
Philippe est catégorique : quitter son emploi dans les meilleures conditions possibles est primordial, ne sachant pas où le futur nous mène. De plus, en réussissant à valoriser son absence de 10 ans, il a su obtenir le poste le plus responsabilisant de sa carrière.
« Après 10 ans de bons et loyaux services, je décidais de retourner en France et Microsoft, avec qui je m’étais séparé en bon termes, en entendit parler. Quelques jours après, je me retrouve à déjeuner avec mon ancien supérieur, qui me fait alors une proposition : revenir chez Microsoft en tant que Directeur des Opérations EMEA. »
Nos conseils à ceux qui envisagent de retourner travailler dans leur ancienne entreprise
- Posez-vous les bonnes questions
Peu importe la façon dont les choses se sont terminées avec votre ancienne entreprise, il est essentiel de prendre le temps de vous questionner sur les tenants et les aboutissants de cette seconde, et potentiellement dernière chance, pour ne pas faire perdre de temps aux deux partis.
- 2. Pourquoi suis-je parti de cette entreprise ?
Notre cerveau a tendance à faire le tri dans nos souvenirs et à conserver uniquement les plus positifs. C’est à cause de cette sélection que les gens répètent encore et encore les mêmes erreurs. Il faut donc faire l’effort de se souvenir des mauvais moments, plus particulièrement de ceux qui vous ont poussé au départ, et d’analyser si la cause principale de ces épisodes est encore présente dans l’entreprise. En bref, attention à la nostalgie.
- 3. Pourquoi je veux y retourner ?
Oui, il est souvent plus facile de revenir à quelque chose de familier, ne serait-ce que pour la sécurité et le confort. Cependant, il vous faut conserver un esprit critique lorsque vous envisagez un retour. Ce changement profite-t-il à votre carrière à court et à long terme ? Vos missions seront-elles intéressantes ? Si la réponse est non ou que vous voulez simplement un emploi provisoire avant de trouver mieux, reconsidérez votre décision. Il ne faut retourner chez votre ancien employeur que si le poste proposé vous fournit une projection satisfaisante.
- 4. L’entreprise est-elle toujours intéressante ?
Que votre absence se compte en mois ou en années, si votre ancien patron vous appelle et propose votre ancien travail, prenez le temps de vous renseigner. Examinez les performances de l’entreprise, que ce soit via la presse ou leur bilan public. Vous pouvez aussi directement appeler vos anciens collègues pour prendre des nouvelles et vous informer sur les prochaines grosses échéances qui pourraient impacter votre future prise de position. Enfin, traitez cette (ancienne) entreprise que vous pensez déjà connaître comme vous auriez traité n’importe quel autre (nouvelle) entreprise où vous avez choisi de postuler.
- 5. Ne soyez ni trop fidèle, ni trop fier
Souvenez vous qu’un individu a des sentiments qu’une entreprise n’a pas. Si votre ancien employeur revient vers vous pour vous proposer un poste, il peut être tentant de prendre une décision rapide, étant donné que votre sentiment de loyauté sera naturellement stimulé. Il faut apprendre à faire fi de ce genre d’émotions pour pouvoir analyser la proposition de manière factuelle et éviter de faire une erreur, juste parce que l’on se sent redevable à l’entreprise.
Il en va de même pour le sentiment contraire : la fierté. De nombreuses personnes rejettent souvent l’idée de retourner chez un ancien employeur, car cela peut donner l’impression de faire un pas en arrière. Quelle que soit la raison, la fierté ne devrait jamais être une raison pour écarter une offre d’emploi sans même l’avoir considérée. En votre absence, la société a peut-être grandi ou évolué énormément et peut vous offrir une opportunité de faire un grand pas en avant dans votre carrière.
- 6. Ne passez pas pour un opportuniste
Revenir dans son ancienne entreprise est une démarche délicate qui doit se préparer consciencieusement. Dans un premier temps, trouver des “sponsors” : contactez vos anciens collègues avec qui vous continuez d’avoir des interactions, ou réactivez subtilement votre réseau pour pouvoir amorcer une première prise de contact avec votre ancien supérieur. Une fois cette étape réalisée, informez-vous auprès d’eux sur la meilleure stratégie à adopter pour convaincre le décisionnaire et appliquez-là tout en valorisant votre absence.
- 7. Valorisez votre absence
Même si c’est votre employeur qui revient vers vous, vous restez un candidat et vous serez évalué comme tel, face à d’autres postulants dont l’expérience est aussi valorisée que la votre. Alors certes, vous connaissez déjà les fondamentaux de l’entreprise et vous serez plus rapidement opérationnels, mais cela ne suffira pas si durant votre absence, vous avez évolué dans un environnement totalement différent. C’est pourquoi il est important de démontrer qu’après votre départ, vous avez continué à vous enrichir, que ce soit en termes de réseau, de méthodologies, de connaissances techniques ou même d’idées. Votre objectif est de démontrer que votre retour apportera une dynamique et des angles de vue innovants pour l’entreprise : vous êtes un Homme nouveau, donc vous ne reprenez pas les choses là où vous les aviez laissé.
- 8. N’ayez pas peur de négocier
Être un employé boomerang ne signifie pas que vous êtes redevable à l’entreprise de vous accorder une seconde opportunité. Non seulement parce que cela fonctionne aussi dans l’autre sens : vous pouvez avoir choisi de donner une seconde chance à votre ancien employeur, mais aussi parce que vous restez légalement un nouvel employé, avec un nouveau contrat. Et qui dit nouveau contrat, dit nouvelles conditions négociables. Cette négociation est d’autant plus importante qu’elle contribuera à préciser la teneur de votre avenir au sein de la société : assurez-vous donc de faire entendre votre voix afin d’être à l’aise avec toutes les conditions impliquées.
- 9. Soyez prêt à faire des efforts d’intégration
Certes, vous connaissez peut-être encore une majeure partie des effectifs et vous retrouvez très vite vos anciens réflexes que ce soit dans le cadre de vos missions ou de vos relations avec vos collègues. Mais ce n’est pas une raison pour vous reposer sur vos lauriers. Continuez de faire des efforts d’intégration, comme si vous étiez réellement nouveau car une entreprise change vite et vos anciennes habitudes peuvent être devenues obsolètes.
Choisir de devenir un salarié “boomerang” est un challenge considérable qui nécessite une grande dose de subtilité et d’humilité. En identifiant et en assumant les erreurs passées, l’entreprise comme l’employé peuvent aller de l’avant vers de nouveaux projets bénéfiques pour les deux parties. En partant du principe que retourner dans une de ses anciennes entreprises est une forme de régression, certaines personnes se mettent des barrières inutiles qui peuvent leur coûter une belle opportunité de carrière.
Si la tendance ne s’inverse pas et que le taux de turnover en France continue de progresser, les chances de croiser la route d’un de ancien collaborateur vont augmenter en proportion. A l’image des écoles de commerce qui continuent d’animer un réseau d’alumni longtemps après que les élèves aient quitté les amphithéâtres, les RH ont tout à gagner à entretenir une bonne relation avec leurs anciens salariés, qui pourraient un jour devenir leurs futurs employés boomerang.
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