4 rituels d'écrivain·e·s pour mieux gérer son temps au travail
01 sept. 2021
6min
Journaliste indépendant
Les vacances sont terminées pour la plupart d’entre nous. Et comme chaque année, la reprise du travail s’accompagne d’une autre rentrée … littéraire, celle-là. En 2021, 521 nouveaux romans font leur apparition dans les rayons des librairies.
Les écrivain·e·s sont des êtres un peu à part, mais qui suivent pour la plupart une routine réglée comme du papier à musique. Le prolifique poète britannique W.H Auden (1907-1973) estimait que « la routine, chez un homme intelligent est un signe d’ambition. (…) Un stoïque moderne sait que le moyen le plus sûr de discipliner la passion est de discipliner le temps : décidez ce que vous voulez ou devez faire pendant la journée, puis toujours le faire au même moment tous les jours, et la passion ne vous pose aucun problème. »
Et si on s’inspirait des méthodes de travail des écrivains pour mieux gérer notre temps de travail ?
Rituel n°1 : Se mettre au travail dès l’aube
De nombreux écrivains se mettent à la planche dès le petit matin. Franck Bouysse est un auteur de romans noirs. Outre le succès de Né d’aucune femme (2019, La manufacture de livres), on le connait aussi pour ses romans Grossir le ciel (2014, La manufacture de livres) ou Buveurs de vent (2020, Albin Michel). Des histoires crues, râpeuses et profondément rurales qui sont nées à l’aube. « Quand je me couche, je n’ai qu’une hâte : me lever, faire couler du café, lire pour laver mon texte de la veille et puis écrire, quand le jour se lève. La lumière m’aide à me déployer », explique Franck Bouysse.
Chaque jour, l’écrivain corrézien se lève entre 4 et 5 heures. « J’ai longtemps couplé ma vie d’écriture à ma vie professionnelle (il a travaillé pendant vingt ans comme professeur d’horticulture, ndlr) mais finalement, depuis que j’écris à plein temps, mes journées n’ont pas tant changé. Je me suis toujours levé tôt pour travailler. »
Dans la même veine, Paul Valéry a pendant trente ans consigné ses pensées, ses craintes et ses bons mots entre quatre et sept heures du matin. Ernest Hemingway, Toni Morrison ou Amélie Nothomb (pour aller chercher plus près de nous) sont aussi réputés pour écrire avec le soleil levant.
Lauréat du prix de Flore 2017, Johann Zarca, l’auteur - entre autres - de Paname Underground (2017, Editions Goutte d’Or) est aussi un lève-tôt. Pour lui, l’aube est un moment propice pour dresser une barrière entre soi et le monde extérieur. « Je n’ai pas de réveil. Maintenant je suis à l’écoute de mon corps, contrairement à l’époque où je prenais toutes sortes de trucs. Mais je commence toujours à écrire autour de 7 heures. Je garde mon téléphone éteint, au moins pendant deux heures. C’est impératif. Ça me permet de ne pas me polluer l’esprit. »
Un rituel qui peut amener plusieurs bienfaits. C’est notamment tôt le matin que la motivation est la plus élevée. Il ne faut tout de même pas s’y tromper : se mettre à son bureau dès l’aube est une activité qui ne convient pas à tous les métabolismes.
Et vous, à quelle heure commencez-vous votre journée de travail ?
Rituel 2 : S’imposer des objectifs quotidiens
Son nom est passé à la postérité, à force de mots. Rien ne prédestinait ce gamin des docks d’Oakland à figurer, un jour, parmi les écrivains les plus illustres que la littérature ait porté. Jack London a eu mille vies et compte au moins autant d’aventures. Tour à tour pilleurs d’huîtres dans la baie de San Francisco, chercheur d’or dans le grand nord canadien, chasseur de phoques en mer de Béring, charbonnier dans une centrale électrique, vagabond au long cours, le jeune homme a su porter ses odyssées au panthéon par la mise en oeuvre d’une discipline à toute épreuve.
Chaque jour, Jack London s’impose d’écrire mille mots. Une pénitence que London explique dans un écrit publié en décembre 1900 dans le magazine Writer sous le titre “The Question of a Name”. « Écrire mille mots par jour ; mais il faut que ce soient de bons mots, absolument les meilleurs qu’il puisse trouver en lui. S’il en écrit davantage, il y a beaucoup de chances pour qu’ils fassent baisser la qualité de son œuvre jusqu’au deuxième ou troisième rang des meilleurs. Mille mots par jour, c’est une vitesse remarquable — du moment que l’écrivain est satisfait de chaque millier de mots à mesure qu’il les sort. »
En somme, le conseil de Jack London revient à s’imposer une certaine quantité de travail tout en s’assurant que celle-ci soit avant de très bonne facture. Ni trop ni pas assez, donc.
Et vous, quels sont les objectifs quantitatifs que vous vous fixez au quotidien ?
Rituel 3 : Prendre du recul grâce à un bonne hygiène de vie
Qui ne s’est jamais dit que son travail était éreintant ? Sans surprise, c’est aussi le cas des auteurs et des autrices. « J’écris deux à trois heures par jour et je suis vidé. Je serais totalement incapable d’écrire huit ou neuf heures », explique Franck Bouysse. Pour supporter la charge de travail et gagner en endurance, les professionnels de la plume apportent un soin tout particulier à la posture. Ainsi, Victor Hugo écrivait debout et avait même fait fabriquer une chaise spéciale pour soutenir son dos.
Une bonne hygiène de vie, qui pour certains écrivains·e·s passe aussi par la pratique sportive. Cécile Coulon, 31 ans, compte déjà sept romans à son actif. À l’instar de l’écrivain japonais internationalement reconnu Haruki Murakami, elle a intégré la course à pied à son rituel de travail. « Mes deux seuls rituels sont mes horaires d’écriture, le matin, et le sport », explique l’écrivaine qui a connu le succès en 2017 avec Une bête du paradis (80.000 exemplaires vendus). « Je cours pour écrire mieux. Je réfléchis, je dégraisse, je range ma pensée grâce à la foulée. Et il n’y a rien de mieux que le bon air de l’extérieur pour réfléchir. »
À l’inverse, on a longtemps associé aux écrivains de mauvaises mœurs, qui auraient participé de l’énergie créatrice de leurs pratiquants. L’absinthe de Verlaine, l’opium de Baudelaire ou la cocaïne de Robert Louis Stevenson font partie de la légende de ces auteurs. Des pratiques qui créent aussi la confusion et laissent le sentiment d’une inspiration quasi divine. Richard Gaitet est journaliste. Depuis mars 2020, il anime le podcast Bookmakers, diffusé sur Arte Radio. Il reçoit chaque mois une écrivaine ou un écrivain, hors promotion - “c’est essentiel” - et décortique son œuvre et ses méthodes de travail. « Les excès ne font pas partie du travail », souligne Richard Gaitet « et finalement, cette apologie de l’autodestruction est même une négation du travail qu’il y a derrière l’œuvre. Par exemple, réduire Bukowksi à sa consommation d’alcool n’a aucun sens. »
Et vous, quels rituels vous aident à prendre du recul sur votre travail ?
Rituel 4 : Re-créer le même environnement propice à chaque séance de travail
Chez les écrivain·e·s, le temps de l’écriture embrasse souvent des rituels très matérialistes. En somme, retrouver sans cesse les mêmes éléments autour de soi permet de conjurer le doute et de créer des conditions favorables au travail.
Franck Lamagnère est psychiatre de profession et auteur d’un ouvrage intitulé Manies, peurs et idées fixes. Pour lui, rien de surprenant à ce que de nombreux écrivains adoptent des rituels de travail. « La fonction du rituel obsessionnel est avant tout d’apaiser une tension, explique t’il. Il y a derrière ces manies, une volonté consciente ou non d’harmoniser les forces actives et les forces réactives, une nécessité de conjurer les pulsions. Mais il faut bien avoir en tête qu’il existe autant de rituels qu’il y a de tensions et de doutes. »
Et cela peut passer par des objets. Franck Bouysse écrit tous les jours avec le même cigare à la main, une manière de retourner quotidiennement au milieu de ses personnages, en usant de ses sens. « J’ai toujours le même stylo et un cigare italien de type Toscano. Dans l’idée, c’est un peu celui que fume Clint Eastwood. Il sent l’étable et peut durer trois ou quatre heures sans se consumer, ce qui en fait un formidable compagnon. »
Dans un autre ordre d’idée, retrouver tous les jours le même lieu pour s’y mettre à l’ouvrage permet de faire comprendre au cerveau qu’il est maintenant en posture de travail. « J’écris normalement toujours sur le même bureau, poursuit Franck Bouysse, et il m’arrive plus rarement d’écrire au café, mais je suis obligé d’ajouter de la musique pour couper le bruit du monde extérieur. »
Nathalie Sarraute avait pris la question par l’autre bout. L’autrice de Tropismes (1939) écrivait, elle, chaque jour au Marceau, le café en bas de chez elle. Elle se laissait embarquer par le bouillonnement de l’établissement, tenu par des libanais, et dont jaillissait un formidable brouhaha, principalement en arabe, qui lui permettait étonnamment de se concentrer. Les manuscrits de Nathalie Sarraute portent d’ailleurs les souvenirs de ces sessions matinales, traces de café, de cigarettes et même… une écriture penchée en fin de phrase, témoin de la forme ronde des tables de cafés.
Johann Zarca, lui, a l’écriture vagabonde. « J’écris en deux temps. J’ai toujours une première phase, qui dure environ deux semaines, où je crache le texte. Je bourrine. Et pour ça, j’ai besoin d’être loin de Paris. Pour ne faire que ça et ne pas subir le stress du quotidien. »
Et vous, avez-vous des objets fétiches ou des lieux de prédilection qui vous aident à vous projeter dans votre travail ?
Vous l’aurez compris, les rituels sont d’excellents compagnons de travail, dans n’importe quelle profession. Chez les auteur.rices, ils participent de la mise en musique de l’acte d’écrire, comme si les écrivains·e·s cherchaient à ériger des barrières mentales, au sein desquelles ils seraient libres de créer. « Dans un épisode de Bookmakers, bientôt disponible, Hervé Le Tellier (prix Goncourt 2020, ndlr) utilise la métaphore du tuyau d’arrosage. Le jet permet d’arroser devant soi, mais c’est seulement lorsqu’on appuie autour du goulot que l’on peut aller plus loin et atteindre le bout du jardin. Le rituel, c’est se donner des contraintes qui amènent à créer des textes », explique Richard Gaitet.
Alors, prêt.e.s pour vous fixer de nouveaux rituels de travail dès cette rentrée, en vous inspirant de vos auteurs préférés ?
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Photos by Thomas Decamps pour WTTJ ; Article édité par Éléa Foucher-Créateau
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