Compétitivité : pourquoi vous devriez parier sur vos salarié.e.s aidant.e.s
26 oct. 2020
6min
Photographe chez Welcome to the Jungle
The Caring Company Project.
Welcome to the Jungle a décidé de donner la parole à des expert.e.s sur des sujets liés aux enjeux de demain pour améliorer l’expérience au travail. Entreprise humaine, transparente, bienveillante… autant de thématiques que nous aborderons dans cette série de chroniques d’expert.e.s. Cette première chronique a été écrite par les fondatrices de Caring Company Project, un projet visant à sensibiliser les entreprises au sujet de l’aidance, qui concerne aujourd’hui 5 millions d’actifs/actives. Le projet est incarné par (de gauche à droite) :
- Hélène Xuan, économiste, codirigeante de la chaire « Pour une approche globale et locale de la longévité »,
- Caroline Mac Naughton, créatrice du métier d’aidant-expert au sein de MyTeamily,
- Miora Ranaivoarinosy, fondatrice d’Eunoia, cabinet de conseil aux entreprises sur le vieillissement.
Depuis le 30 septembre 2020 tout.e salarié.e peut demander à son employeur.e de prendre quelques jours de congés avec comme motif d’avoir à s’occuper d’un.e proche en perte d’autonomie. Il peut s’agir d’un.e époux.se en rémission de maladie, un enfant handicapé ou un parent vieillissant. Un progrès ? Oui, si l’on considère que jusqu’alors, il devait se prendre sans solde et qu’il sera désormais indemnisé par les allocations familiales. Pour autant, cette avancée ne pourra être réellement considérée comme telle, qu’à partir du moment où elle sera accompagnée d’une profonde transformation des entreprises vers un modèle du “Care”. Un enjeu de compétitivité, de performance et d’engagement dans un pays à la démographie vieillissante, où plus d’un actif sur 4 sera aidant.e en 2030.
Faites confiance à vos émotions !
Guide d’usage de l’intelligence émotionnelle en entreprise
5 millions d’aidant.e.s en France
Mathilde (1) comme beaucoup de jeunes diplômé.e.s, intègre une belle entreprise. Elle accroche sur les valeurs ; les parcours proposés, et le package d’avantages salarié.e.s est un plus. Elle y fait ses premières armes, et en mode fast forward elle est promue à un poste stratégique 4 ans après. Il suffit d’un évènement pour que le monde de Mathilde bascule - sa mère perd l’équilibre, chute et est hospitalisée. Mathilde est à son chevet quand le diagnostic tombe, il s’agit d’une maladie neuro-dégénérative précoce.
Ce jour-ci, Mathilde devient aidante. Coordonner le quotidien de sa mère lui prendra entre 1 à 4h par jour, elle s’absentera sans anticipation, pour répondre à toutes les urgences. Elle parvient à rattraper ces heures, mais la maladie s’aggrave, l’inquiétude grandit, la fatigue s’accumule, et elle doit prendre des congés sans solde. Sur la durée, elle pourra perdre jusqu’à 16% de son salaire. Mathilde ne veut pas renoncer au travail qu’elle aime, mais elle se sent à bout, et ses collègues le sentent. En parler à son manager ? C’est un sujet si personnel, un devoir familial, qui touche à la fragilité d’un proche et à la sienne. Elle finit par se désengager, puis est contrainte de réclamer un temps partiel et doit accepter une perte de salaire conséquente. L’histoire de Mathilde n’est pas une exception. En 2020, plus de 5 millions de salarié.e.s français.e.s sont déjà des aidant.e.s.
Aller plus loin que le congé aidant.e, un enjeu de compétitivité pour les entreprises
Les changements induits par la place grandissante des aidant.e.s dans l’entreprise appellent bien des mesures à long terme. Le congé indemnisé représente une courte solution de répit dans un contexte d’urgence, or il s’agit de se demander plus fondamentalement à quoi ressemble une entreprise performante dans notre société vieillissante ?
Les chiffres sont déjà là :
78% des salarié.e.s aidant.e.s considèrent que l’aidance a un impact négatif sur leur travail.
40% travaillent à temps partiel après en avoir fait la demande auprès de leur employeur ; un choix contraint dans les trois quarts des cas (76,5%).
Plus de la moitié des jeunes actifs âgés de 25 à 34 ans témoignent d’incidences sur leur vie professionnelle : plus de la moitié rapporte au moins une conséquence (55 %), allant même jusqu’à une mutation géographique (10 %) ou un changement d’emploi (10 %).
70,3% des salarié.e.s non-aidant.e.s indiquent qu’ils le deviendront probablement dans les 5 ans à venir.
Face à ce constat, comment opter pour un modèle plus inclusif envers les salarié.e.s aidant.e.s ? Quelles bonnes pratiques existent déjà ailleurs ?
La France en retard
Si les répercussions de l’aidance sur la productivité et l’engagement des salarié.e.s sont encore sous-estimées et peu documentées en France, le sujet est d’ores et déjà devenu un enjeu RH pour les Anglo-saxons.
Aux États-Unis, la crise du Covid a provoqué un appel pour la mise en oeuvre d’un package RH au sein des entreprises américaines - 1 salarié américain sur 3 a dû s’occuper d’un proche malade durant cette période.
De nombreuses entreprises n’ont pas attendu la crise du Covid pour lancer le débat et mettre en place des politiques protectrices pour les aidant.e.s : le CEO de Levi Strauss & Co aux Etats-Unis a annoncé le 27 février vouloir accorder jusqu’à 8 semaines de congés payés par an aux salarié.e.s aidant.e.s (dans un pays qui légalement n’en prévoit que 2).
Au Royaume-Uni, l’association Employers for Carers, mobilise 215 employeurs depuis 2009 pour partager des bonnes pratiques des 3,5 millions d’employé.e.s. Parmi ces entreprises, on compte Aviva, Bank of America, BT, KPMG, PepsiCo, SCOR.
Des politiques motivées par un réel enjeu de compétitivité : 88% des entreprises anglaises ayant mis en place des mesures ont vu leur absentéisme chuter. 69% d’entre elles ont vu leur productivité augmenter.
88% des entreprises anglaises ayant mis en place des mesures sur l’aidance ont remarqué une chute de l’absentéisme.
D’autres voix se sont levées, telle que celle de Larry Nisenson, senior vice-president and chief commercial officer pour la compagnie d’assurance Genworth. Pour lui, mettre en place des politiques protectrices pour les aidant.e.s permet un gain de productivité, et par la même occasion allège le poids de maladies liées au stress sur le système de santé. Mais avant tout, il estime que dans un avenir proche, cela sera une source de différenciation pour le recrutement.
En France, près de 30 entreprises françaises ont concouru pour la 4ème édition du prix « Entreprises et salariés aidants », et parmi les primées on peut citer Sanofi, Novartis, La Poste, Matmut ou encore BNP Paribas. Mais le mouvement est encore jeune.
- Lire aussi : Le domicile a toujours été un lieu de travail !
Comment préparer le monde de demain dès aujourd’hui ?
Avec dix années de recul et de mise en place de bonnes pratiques on comprend avant tout que c’est une question managériale avec des partis pris forts : aménager les temps de vie sur la durée, déceler les signaux faibles, favoriser les espaces de parole, former les managers, RH, salarié.e.s à déceler les situations d’aidance, les équiper de guides de conversation permettant d’exprimer les besoins de réaménagement du temps, travailler sur les postures d’empathie et d’intelligence émotionnelle… Autant d’étapes essentielles qui permettent de préparer le monde de demain en favorisant l’inclusion de cette population dès aujourd’hui.
Dans cet état d’esprit, managers et RH, voici 2 solutions pour accompagner vos démarches à destination des aidant.e.s et produire un effet de levier sur l’engagement salarié.e :
Expérimentez d’autres relations au travail en créant une communauté pour parler de l’aidance
Mathilde aurait probablement trouvé les mots justes pour parler de sa situation à son manager si elle avait eu connaissance d’autres parcours comme le sien. La création et l’animation de communautés du Care, autour des aidant.e.s au sein de l’entreprise aura un double effet positif : rompre l’isolement des aidant.e.s, et permettre aux ressources humaines d’imaginer des parcours professionnels du Care pour maintenir l’engagement de leurs salarié.e.s.
C’est aussi une première étape pour recueillir leurs besoins, et expérimenter d’autres solutions pouvant ensuite se formaliser dans des accords senior, télétravail, qualité de vie au travail ou encore égalité homme-femme.
Positivez la parole « Share & Care »
Reste le sujet épineux de la communication autour des fragilités à venir. Comment informer sans angoisser ?
D’abord reconnaître la réalité de l’aidant.e - aider un proche est désormais reconnu comme la 3ème classe d’absentéisme.
Évaluer l’impact des mesures : d’après l’ Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), un euro investi en prévention des risques psycho-sociaux rapporte treize euros de bénéfice.
Un euro investi en prévention des risques psycho-sociaux rapporte treize euros de bénéfice.
- Mais surtout permettre de construire une culture d’entreprise dans laquelle parler des fragilités n’est pas seulement autorisé mais accueilli comme un levier d’amélioration continue du dialogue social. Privilégiez des messages authentiques et valorisants, des supports dynamiques, faites-vous accompagner pour ne pas véhiculer des stéréotypes stigmatisants.
Dans ce cadre de réalité fictionnelle, Mathilde aurait été plus encline à parler à son manager, à construire avec lui/elle un sur les deux années à venir un aménagement du temps de travail, peut-être une nouvelle organisation de l’équipe avec davantage de travail à distance, de nouveaux systèmes de délégation et de prises de décision et une assurance de garder les dossiers qui lui sont chers, et rester éligible aussi bien aux formations et promotions. La maladie de sa maman aurait alors été une étape constructive pour sa carrière professionnelle.
82% des salarié.e.s aidant.e.s expliquent avoir acquis de nouvelles compétences grâce à leur situation. Il ne reste plus qu’aux entreprises de les valoriser.
(1) Mathilde est un personnage fictif inspiré de la réalité et reflétant les situations de vie représentatifs des témoignages d’aidant.e.s.
Photo by Thomas Decamps for WTTJ
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