Réunion debout, travail allongé... une ostéopathe détaille les pires pratiques
23 juin 2020
4min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Ergonomie, posture… Quelles pratiques concrètes peuvent vraiment améliorer le bien-être des collaborateurs/collaboratrices au sein de l’entreprise ? Entretien avec Corine Chacun, ostéopathe depuis 2015 à Plomelin, près de Quimper.
WTTJ : Parmi les patients que vous recevez, il y en a certainement beaucoup qui travaillent à un bureau devant un écran. Quels sont les problèmes les plus courants que vous constatez chez ces patients ? A quoi sont-ils dûs ?
Corine Chacun : Oui, l’essentiel de mes patients travaillent devant un écran. Beaucoup souffrent de mal de dos. C’est l’une des principales causes d’incapacité à travailler. À bien des égards, le mal de dos est devenu le mal du siècle : il progresse chaque année un peu plus. On peut l’expliquer par le développement constant de la sédentarité. Sans doute, le numérique joue également un rôle : les communications électroniques ont peut-être réduit le nombre de rencontres physiques. On reste plus longtemps devant son écran de smartphone ou d’ordinateur. Le mal de dos, c’est plusieurs types de douleurs. Il y a les lombalgies (douleurs lombaires) et les cervicalgies (douleurs à la nuque), les douleurs les plus courantes. Les lombaires et les cervicales sont les zones les plus fragiles et les plus sollicitées. Mais certains patients, moins nombreux, souffrent aussi de dorsalgies (douleurs dans les dorsales).
« Le mal de dos est la première cause d’incapacité à travailler »
Pour chaque patient.e, je mène l’enquête pour savoir quelles sont les causes du mal. Il faut toujours chercher à comprendre le schéma global, le rôle du stress, l’hygiène de vie, les problèmes au travail. C’est sûr que le travail joue souvent un rôle critique, ne serait-ce qu’en causant du stress…
Les entreprises soucieuses de la santé de leurs salariés peuvent sûrement faire des choses concrètes. Quelle est l’importance du choix du mobilier (chaises, bureaux), par exemple ? Existe-t-il un mobilier idéal ?
Le mobilier parfois en cause dans les douleurs dorsales engendrées par les mauvaises postures, c’est du mobilier bon marché. C’est important d’investir dans du matériel de bonne qualité. Mais il est difficile de parler d’un « mobilier idéal » parce que chaque personne est différente. Nous n’avons pas la même taille, pas la même posture, pas les mêmes fragilités. Il faudrait soit le mobilier le plus neutre possible, par exemple des fauteuils ergonomiques avec des renforts dorsaux et une profondeur de siège moyenne qui pourrait convenir au plus grand nombre, soit, il faudrait personnaliser le mobilier en fonction des individus.
« Il faudrait pouvoir personnaliser le mobilier en fonction de chaque collaborateur/trice. »
Au-delà du mobilier, le plus important, c’est de bouger le plus possible, de changer de poste de travail, d’adapter son poste de travail en fonction de son état du jour, d’ajouter un coussin quand on sent une fragilité dans le dos, etc.
Que pensez-vous des bureaux dont la hauteur est réglable ? Les entreprises danoises ont l’obligation de les proposer à leurs salariés, afin qu’ils/elles puissent travailler tantôt assis.es tantôt debout…
J’en pense le plus grand bien. Au travail, le plus important, c’est de trouver un équilibre physique dans la journée. Une heure sans mouvement, c’est déjà de la sédentarité. Si on peut changer de position toutes les 45 à 90 minutes, on peut ainsi lutter contre les effets délétères de la sédentarité. Ça n’est pas forcément bon non plus de rester debout tout le temps. Encore une fois, l’idée, c’est qu’il faut bouger le plus possible.
Certaines entreprises de la Silicon Valley proposent aux ingénieur.e.s qu’elles recrutent de personnaliser leurs espaces de travail, de choisir leur fauteuil ou leur bureau? Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Ça serait idéal de pouvoir personnaliser complètement son poste de travail, de prendre en compte la taille, la cambrure de chaque individu, la manière dont le regard se porte. On pourrait imaginer un travail personnalisé avec un ergonome ou un ergothérapeute. En plus, un mobilier adapté, ça serait très gratifiant pour les salarié.e.s, une preuve de respect et de confiance. Cela pourrait régler énormément de problèmes. Evidemment, ça ferait moins de travail pour nous autres ostéopathes (rires).
Qu’en est-il de la posture corporelle devant un écran ? Existe-t-il une posture idéale que toute entreprise devrait encourager ?
Oui, en tout cas, il existe quelques règles générales que tous les spécialistes mettent en avant :
- Il faudrait que les yeux soient à hauteur du haut de l’écran.
- Il est préférable que le dossier du fauteuil épouse complètement le dos et ses courbures, et il faudrait être bien calé au fond de son siège. Ou bien il faudrait avoir les fesses au bord de la chaise pour garder le dos droit.
- Les articulations principales devraient être à angle droit : les coudes sur des accoudoirs, les genoux à angle droit, les pieds posés au sol ou sur un marche-pied (si les pieds ne sont pas bien posés au sol, on a forcément une mauvaise base).
Est-ce que c’est forcément mauvais de travailler de manière « relax » sur un canapé confortable, voire allongé.e ?
Travailler allongé ne présente aucun bienfait pour le corps. C’est même potentiellement dangereux. Il faudrait garder un minimum de tonicité au niveau des muscles, ne pas tout confondre… Cependant, tout ce qui réduit le stress a du bon. Si vous passez 30 minutes chaque demi-journée dans une posture « mauvaise » qui vous aère l’esprit ou vous apporte d’autres bienfaits, pourquoi pas ?
On parle beaucoup ces temps-ci des réunions en marchant ? Pensez-vous qu’on devrait tous s’y mettre ?
On aurait tout à y gagner ! Il faudrait marcher beaucoup plus. Et aussi s’aérer, prendre une vraie pause pour déjeuner, ne pas rester statique, changer régulièrement de position… Je conseille aussi à mes patients de re-régler régulièrement leur poste de travail, de repartir de zéro dans leurs réglages pour chercher l’optimum qui leur convient. Notre corps change perpétuellement : un réglage qui vous convient à un moment ne vous conviendra pas trois ans plus tard.
On devrait aussi se lever et s’étirer plusieurs fois dans la journée, mettre en place des routines d’échauffement, en fonction des typologies de métiers. Ça serait même une idée de les faire collectivement. On devrait tous apprendre à prendre davantage soin de nos corps. Il nous manque une éducation corporelle. À mon avis, c’est déjà au lycée qu’il faudrait faire cette éducation. Les jeunes font souvent n’importe quoi en terme de posture et on trouve de plus en plus souvent des individus très jeunes avec des problèmes de sciatiques.
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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