Pourquoi la semaine de 4 jours n'est pas un remède miracle !
26 avr. 2023
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Ces temps-ci, la semaine de 4 jours est partout. On lui prêterait même des pouvoirs magiques, comme de redonner le goût du travail aux salariés fatigués et désengagés, ou encore d’attirer des candidats pour les entreprises qui peinent à recruter. Mais peut-elle vraiment être considérée comme une recette miracle infaillible ? Eléments de réponse par notre experte Laetitia Vitaud.
Les essais menés par plus de 60 entreprises britanniques qui ont participé à un test de 6 mois ont été concluants : 91 % d’entre elles ont décidé de maintenir ce nouveau rythme de travail, avec une productivité inchangée. Pour certains, ce rythme devrait même s’imposer comme la nouvelle norme. Je suis largement favorable à la semaine de 4 jours, tant je suis convaincue qu’il nous faut travailler moins et mieux pour faire face aux nombreux maux qui touchent le travail d’aujourd’hui. Mais faut-il s’en tenir à un discours simpliste sur le sujet au risque de tomber dans la pensée magique ?
Oui, de nombreuses organisations sont parvenues à gagner en productivité et se faisant, ont amélioré le bien-être de leurs salariés. Mais la semaine de 4 jours seule n’y a pas suffi. Leur succès s’explique avant tout par une réorganisation profonde des modes de travail et du management, une réflexion sur la flexibilité et les espaces de travail, de nouveaux rituels collectifs, une redéfinition des objectifs et de la charge de travail. En somme, sans confiance et sans autonomie, les salariés forcés de faire la même chose de la même manière… mais en quatre jours au lieu de cinq, ne gagnent pas grand-chose et leur employeur non plus. Pire, une « mauvaise » semaine de 4 jours pourrait se retourner contre les employeurs qui la pratiquent !
Quand la semaine de 4 jours est « mauvaise »
Eh oui, il y a semaine de 4 jours ET semaine de 4 jours. La « bonne », c’est celle qui est prétexte à une réflexion sur le travail et une amélioration de la productivité. La « mauvaise », elle, consiste à faire en 4 jours exactement ce qu’on faisait avant en 5 : même nombre d’heures, même présentéisme, mêmes tâches inutiles… sur des journées de travail plus longues et éreintantes. Avec des journées pareilles, on n’a pas trop d’un jour de repos supplémentaire (généralement non choisi) pour s’en remettre ! Faire en quatre jours les heures qu’on faisait en cinq, c’est désormais possible en Belgique par exemple.
De nombreuses personnes s’en réjouissent quand même parce que c’est bien agréable d’avoir trois jours off. Quand on est jeune, urbain, en bonne santé et sans enfant, c’est toujours bon à prendre. Mais cela n’a rien d’une révolution miraculeuse ! D’abord, ce n’est pas tout à fait un cadeau si le nombre d’heures, la charge de travail et la productivité sont inchangés. Ensuite, cela ne marche pas pour tout le monde : les parents solos, les aidants ou encore les personnes à la santé fragile ne peuvent pas assumer des journées de travail plus longues.
Côté entreprise, le seul passage à la semaine de 4 jours reste malgré tout une grosse contrainte s’il s’agit d’assurer à l’identique la continuité de l’activité. Faute d’autres changements et innovations dans la manière de travailler, on ne peut miser que sur des gains de productivité marginaux. Plus reposées, les salariés sont sans doute un peu plus productifs mais si leur temps est gaspillé de la même manière dans des tâches qui n’ont pas été repensées, le regain de fraîcheur ne fera pas long feu. Et puis, sans nouveaux rituels, le collectif pourra souffrir de la disparition des temps d’échange informels.
Si le travail est insupportable, même 4 jours, c’est toujours 4 jours de trop ! Lorsque d’autres opportunités moins pénibles s’ouvrent à eux, les salariés concernés ne seront pas nécessairement « retenus » par ce dispositif. Personnellement, si j’avais à choisir entre 5 jours épanouissants et 4 jours éreintants, mon choix serait vite fait. A fortiori, si j’avais le choix entre 4 jours avec autonomie et 4 jours aliénants… Le risque, si l’on voit la semaine de 4 jours comme une concession que l’on accorde à contre cœur aux salariés, c’est de le leur faire payer avec une charge de travail plus lourde, des heures supplémentaires non rémunérées ou encore une surveillance accrue pendant les 4 jours de travail. Merci, mais non merci !
Ne gâchons pas cette occasion d’innover et de travailler mieux !
Pourquoi gaspiller une bonne occasion de produire des innovations organisationnelles et managériales qui offrent des gains de productivité et de bien-être ? Si crise du travail il y a, il ne faudrait pas passer à côté de l’occasion de repenser le travail. Winston Churchill aurait dit un jour, « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Et ce n’est pas Laurent de la Clergerie qui dira le contraire. Depuis deux ans, le groupe LDLC dont il est le fondateur s’est converti à la semaine de 4 jours. Dans un livre intitulé Osez la semaine de 4 jours !, il explique comment une crise (un accident logistique) l’a forcé à se pencher sur cette nouvelle organisation du travail et du management, et les leçons tirées de sa mise en place. Il a compris que la confiance que l’on accorde aux salariés n’est pas seulement un gage de bien-être, mais permet aussi de gagner considérablement en autonomie.
La semaine de 4 jours a constitué pour LDLC un prétexte supplémentaire pour repenser le management de fond en comble. Pour son directeur général, les entreprises créées sur un modèle pyramidal produisent une multitude de tâches de contrôle et de reporting dont on peut faire l’économie. « Comme, dans une entreprise, le pouvoir est directement lié au nombre de personnes qu’on manage, on recrute. Si bien que peu à peu, on se retrouve à la tête d’un effectif surdimensionné. Pour autant, cela ne veut pas dire que les gens ne font rien, car on les occupe. Mais leurs occupations deviennent simplement le résultat d’un système de procédures et de contrôles renforcés. Au bout d’un moment, comme le quotidien se complexifie, on est bien obligé de mettre en place des réunions pour discuter de ces complexités. Et c’est ainsi que, progressivement, l’administratif prend vie et que la bureaucratie mène une existence indépendante, sans aucun lien direct avec l’activité », explique notamment le dirigeant.
Si l’on veut gagner en productivité, c’est-à-dire faire en sorte de produire plus avec moins de ressources (moins d’heures de travail), il faudrait supprimer une bonne partie de ces tâches. Chez LDLC, la semaine de 4 jours ne reproduit ni le nombre d’heures, ni la charge de travail de la semaine de 5 jours : les salariés sont payés le même salaire pour ne travailler que 32 heures. Et cela ne fonctionne que parce qu’ils ont fait des gains de productivité considérables grâce à une plus grande autonomie et une refonte managériale. En apprenant aux managers à faire confiance, en supprimant les contrôles inutiles, en limitant le présentéisme et en instaurant le droit à l’erreur, l’entreprise a fait des gains de productivité qui ont dépassé le coût du passage à la semaine de 4 jours.
Le cas LDLC n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les activités et contraintes étant différentes d’une entreprise à l’autre, il n’existe pas de mode d’emploi que toutes pourraient reprendre à leur compte à l’identique. Il s’agit d’un processus long de réflexion et de réorganisation qui implique tout le collectif. Si la semaine de 4 jours est un formidable accélérateur de transformation, elle ne suffit pas, à elle seule, pour accomplir cette transformation. Arrêtons avec la pensée magique !
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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