BADASS : pour gagner en assurance, misez sur le pouvoir du silence
08 avr. 2021
6min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
Vous êtes dans l’ascenseur, le N+2 arrive, vous pose une question et là, vous démarrez une phrase dont vous ne voyez jamais la fin, un tunnel de paroles, dans lequel vous vous enfoncez sans voir d’issue lumineuse. Sous les yeux ébahis de votre interlocuteur, vous passez d’un sujet à l’autre pour combler l’espace et terminez par « fini les cuites comme au dernier séminaire, on ne m’y reprendra plus jamais ! » Et cette question en vous : mais pourquoi ? Pourquoi une telle logorrhée verbale, là, tout de suite ? Pourquoi, pour la première fois que le grand manitou s’intéresse à votre existence, faut-il que vous vous preniez les pieds dans le tapis ? Pourquoi n’avez-vous pas su juste mettre un point final à cette phrase ?
Le tapis rouge de la gêne
Derrière notre flux de paroles un brin stressé, se traduit toujours la crainte du vide, du blanc, de la gêne. Pour soigner le malaise et plâtrer les trous, ce sont souvent les femmes qui se responsabilisent (encore une fois) pour arranger tout le monde. Elles sont les chargées de la bonne cohésion, les infirmières de la conversation qui s’éteint, quitte à se pénaliser.
C’est cette même spirale qui profite à votre manager au moment où vous tentez de négocier une augmentation. Laquelle d’entre nous n’a pas, au cours d’un entretien annuel, été si gênée de devoir affronter un potentiel “non” qu’elle s’est rattrapée et avant même d’attendre une réponse, a déroulé par anticipation un plan B pour éviter un malaise ?
« J’aimerais demander une augmentation, car j’ai vraiment performé cette année… Après, je sais que la période est compliquée pour l’entreprise… Du coup, je me suis dit que ça m’allait d’avoir juste une prime… ou juste au moins du nouveau matériel ? » Ou comment, en une phrase, nous épargnons à notre N+1 trois rounds de négociation, et passons d’une augmentation de salaire… à un nouveau tapis de souris.
C’est aussi la même gêne qui nous consume lorsque nous réalisons une présentation orale face à un auditoire stressant. Pour ne rien laisser transparaître, nous parlons vite, trop, sans ponctuation, ni pauses. En courant ainsi toujours après l’attention et la reconnaissance des autres, nous leur disons malgré nous : « Je sais que votre temps est précieux et que ce que je dis n’est pas passionnant, mais ne partez pas, écoutez-moi encore un peu, je vous en prie, promis, je fais vite. »
Idem quand face à une remarque pinçante, nous nous lançons dans une justification sans colonne vertébrale ni point. Piquée au vif, notre réaction impulsive démontre l’impact de la remarque en question sur nous.
Le silence, la ponctuation de la gravité
Bref, les flots de paroles trahissent ce manque de confiance en nous, si propre aux femmes. S’il est toujours mieux (mais difficile) de savoir comment on va finir une phrase avant de la commencer, il existe aussi une arme très utile pour gagner en stature : le silence.
Attention, pas un silence total. Mais le silence qui souligne l’importance de la phrase précédente et assoit la gravité de la suivante. Il est la parure valorisante dans laquelle enrober votre discours, la meilleure ponctuation à utiliser dans le milieu pro (et perso aussi, mais nous ne sommes pas là pour parler de ça). Le silence montre que l’on ne craint pas le rapport à l’autre mais surtout, que l’on assume ce qu’on a dit et qu’on ne reviendra pas dessus.
Le silence donne le bâton de la parole à l’autre. Il signifie « je ne vais pas faire tout le boulot quand même, à toi un peu » ou « je t’écoute, vas-y ». Se taire, c’est confronter l’autre, le faire douter, lui intimer de se justifier. C’est ainsi qu’en pleine négociation, avec ses silences, votre chef(fe) vous laisse vous diriger, seule, vers le plan B voir C qui l’arrange lui/elle. Car celui qui répond par un silence dit à l’autre « mais encore ? Je ne suis pas convaincu là… » Gimme more, en somme. Au jeu du roi du silence, le premier qui cède et reparle a perdu.
Alors, comment gagner la partie avec des silences ?
Pour explorer le pouvoir du silence, vous pouvez vous exercer dans les six types de situations suivants :
- 1. En négociation, jouez le ping-pong du silence
Ne facilitez pas la tâche à votre interlocuteur.rice, n’ayez pas peur d’être celle qui dérange : c’est le travail de votre chef.fe de répondre aux demandes des salariés. Pas besoin de fuir la réalité d’un éventuel refus en mettant le problème sous un tapis de mots, bien au contraire : il faut plusieurs “non” pour obtenir un “oui’’.
Une bonne négociation est un compromis, chacun joue ses cartes, tour à tour. Ne pré-mâchez pas le travail de l’autre en arrivant avec un plan B : laissez-le donc vivre la gêne de vous répondre à son tour. Après avoir formulé votre demande, maintenez le silence après votre “Qu’en pensez-vous ?” pour le laisser répondre. Et tenez bon.
Chaque silence durant votre échange marque un round. Votre manager vous répond, puis vous renvoie la balle avec un nouveau silence. À vous d’opposer votre argument puis de vous arrêter net avec un silence pour marquer vos positions. Mais si vous n’êtes pas convaincue par ce qu’a dit l’autre, gardez le silence pour le laisser pinailler encore un peu et voir s’il cède à la gêne.
- 2. Après une proposition, dites toujours « Je vais réfléchir »
C’est un peu une version revisitée du « Laissez-moi une minute, je vérifie mon agenda » (désespérément vierge).
On vous fait une proposition alléchante (ou non). Plutôt que de vous jeter dessus comme un chien sur un os, affirmez « Très bien, je prends note, je vais réfléchir et reviens vers vous. » Un silence de quelques heures ou jours, et les autres savoureront encore plus la chance qu’ils ont de vous avoir. Ce temps d’attente peut aussi les faire douter : peut-être vous proposeront-ils plus, qui sait.
- 3. Ponctuez votre présentation orale de silences
Debout devant votre PowerPoint, plutôt que de tracer comme au Rallye Dakar, prenez votre temps, marquez des pauses orales entre deux idées importantes. Vous gardez ainsi le public en alerte. Vous montrez aussi que votre parole a de la valeur, que vous n’êtes pas désolée de leur faire perdre de précieuses secondes : c’est eux qui ont la chance de vous écouter.
Vous évitez qu’on parle en même temps que vous (ça s’entendra). En cas de manque de respect, un premier silence foudroie plus votre adversaire qu’une réaction à chaud. Après une session de manterrupting par exemple, trois secondes de blanc et un regard appuyé à votre mansplainer avant de dire « C’est bon Michel, tu as fini ? Je vais reprendre maintenant et ne t’inquiète pas, il y aura tout le temps pour des questions et échanges à la fin, merci. » Non mais !
- 4. Validez les compliments par le silence
Vous le savez déjà si vous avez lu ma précédente chronique sur les compliments, mais dire un simple “merci” et garder le silence est une façon élégante d’accepter les compliments et surtout, de les valider (au lieu de les minimiser avec des « oh, mais ce n’était rien » ou « vous savez, sans l’aide de Bidule, je n’y serai jamais arrivée »).
- 5. Face aux remarques désobligeantes et aux ragots, restez de marbre
Plus jeune, ma mère me disait de répondre aux critiques puériles en énonçant : « La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe. » (pas facile à assumer en CM2, cela dit) Vous pouvez sinon opter pour ce proverbe chinois que j’aime beaucoup : « Parler ne fait pas cuire le riz. »
Mais le mieux reste encore de ne pas s’abaisser à répliquer. Les rumeurs, critiques et bruits de couloir qui courent sur vous ne vous obligent à une intervention que s’ils nuisent directement à votre travail. Le reste est du vent, inutile d’apporter de l’eau au moulin (que de figures de style !) Aujourd’hui, c’est vous. Demain, ce sera Germaine. Vous avez d’autres choses à faire.
- 6. Durant les small talks, posez des questions
Revenons à notre ascenseur. Comment ne pas chuter dans un trou noir verbal ? En répondant bien et renvoyant aussitôt la balle bien sûr. Placez quelques éléments qui nourrissent votre storytelling (« Je vais bien, merci, en ce moment, nous travaillons avec les clients bangladais, c’est passionnant », si vous visez un poste international). Puis refilez la patate chaude à votre interlocuteur en l’interrogeant à son tour.
Pareil en afterwork : si vous ne savez plus quoi dire, posez des questions. Vous glanez des informations sur les autres, faites preuve de curiosité et d’ouverture, sans trop vous mouiller, tout en ayant la bouche disponible pour enfourner ces délicieux petits fours.
Parler n’est pas toujours facile. Ne rien dire, encore plus dans bien des situations. Paradoxalement, silence et parole se portent mutuellement de l’aide. Vous l’avez compris : bien utilisé, le silence n’est pas une attitude de faiblesse ou de soumission. Il peut au contraire être l’acte le plus éloquent de toute votre prestation.
Photo by WTTJ
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
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