« Le jour où mon équipe s'est rebellée contre moi »
12 mars 2024
5min
SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, en autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !
Mines fermées, poings levés, pieds qui battent l’escalier… Il y a comme un vent de révolte dans l’air. Un à un vos collaborateurs se rassemblent en une masse furieuse qui avance droit sur vous. Bientôt, l’équipe se met à tonner « Pas contents, pas contents… ». Louise, Maxence et Elise ont déjà entendu retentir ce cri de rébellion dans la plaine de l’open space, pour le meilleur et pour le pire.
« J’étais heurtée de voir qu’on me critiquait dans mon dos… »
Louise est la CEO d’une petite startup dans le secteur de la beauté. Au début, l’équipe était assez restreinte, « la plupart des employés étaient un peu “couteau-suisse’’, explique-t-elle. Ils avaient des profils multitâches. » À mesure que la boîte prend de l’ampleur, elle décide de recruter une responsable marketing pour manager une petite équipe constituée de Flore, un pilier de l’entreprise, et une alternante. « J’ai tout de suite vu que Flore n’avait pas apprécié ce recrutement. Il ne faisait aucun doute qu’elle aurait aimé être promue manager à sa place. Mais plutôt que de m’en parler, elle est allée râler auprès des “anciens’’. » Louise surprend alors des messes-basses, des yeux qui se baissent et des mines fermées sur son passage. « J’étais hyper mal à l’aise et ça m’a vraiment heurtée de voir qu’on me critiquait dans mon dos, souffle-t-elle. L’ambiance est devenue très froide, et Flore et ses collègues proches se sont montrées très distantes. Elles me faisaient clairement la gueule, comme des gamines. » Pour contrer ce vent de guerre froide, Louise prend l’initiative de convoquer une réunion avec toute l’équipe : « J’ai décidé de leur expliquer à tous ma décision. Je leur ai démontré que j’avais fait le bon choix, que ça allait nous aider tous à monter en compétence et à atteindre nos objectifs. C’était franchement désagréable parce que j’avais le sentiment que je devais me justifier et rendre des comptes. Mais au final, la pilule a fini par passer. »
L’œil de l’expert : « Il y a un fossé qui s’est créé entre le manager et son équipe, observe Ludovic Girodon, consultant, auteur et conférencier spécialiste en management. C’est probablement dû à un niveau de sécurité psychologique trop faible et une communication manager-managé pas assez fournie. » La sécurité psychologique de l’équipe, c’est le sentiment de pouvoir tout se dire : quand ça va et quand ça ne va pas, sans risquer de représailles. « Lorsque cela se produit, il est vraiment recommandé d’en parler en premier lieu en one-to-one. Ça permet d’éviter de se prendre un front de remarques ou de risquer le lynchage collectif. Tandis qu’en one-to-one, on peut entrer plus dans le détail, écouter le collaborateur et répondre à ses observations. Une fois qu’on a vu un à un les membres de l’équipe et qu’on a capté toutes les problématiques, on peut réunir le groupe pour les réaligner sur une vision commune.* »
« J’ai senti qu’ils s’étaient mobilisés pour me faire craquer… »
Maxence est sales manager dans une PME. Au moment du Covid, il reconnaît avoir grandement souffert de voir son équipe éclatée en télétravail. Lorsque la pandémie trouve une accalmie, il prend la ferme décision de ne pas autoriser plus d’un jour de télétravail, commun à toute l’équipe, fixé le jeudi : « On est une team et il ne fait aucun doute pour moi que nous sommes plus forts, plus motivés et plus à même d’atteindre nos objectifs lorsqu’on est ensemble. » Mais au sein de l’équipe, cette décision n’est pas bien reçue. « Il y en a qui voulaient plus de jours de télétravail, d’autres souhaitaient que l’on privilégie le mercredi… », l’équipe est vent debout et Maxence a l’impression de se transformer en bureau des plaintes. « J’ai ressenti qu’ils s’étaient mobilisés pour me faire craquer, explique-t-il. *La revendication principale, c’était plus de télétravail et à la carte. Mais je n’étais absolument pas d’accord. De mon côté, j’avais la conviction que ça ne nous tirerait pas vers le haut. » Devant ce vent de révolte, Maxence tient bon la barre. Comme un roc, il ne bouge pas et résiste face à la tempête : « Ils ont compris qu’il n’y avait pas de débat et que c’était à prendre ou à laisser. Pour calmer les ardeurs, j’ai proposé des petits évènements d’équipe chaque jour : un meeting ‘’kick start’’ le lundi, un déjeuner d’équipe le mardi, un challenge le mercredi et un after-work le vendredi. L’idée c’était de leur montrer qu’une équipe ça s’entretient et que, pour ça, se réunir était fondamental.* »
L’œil de l’expert : « Souvent les managers ont tendance à décider dans leur coin, remarque Ludovic Girodon. Or, ainsi, les décisions ne sont pas toujours comprises. Une fois que l’équipe se braque, c’est très compliqué de rectifier le tir. » L’expert incite plutôt à la co-construction d’une décision en équipe, manager et collaborateurs main dans la main : « *Je conseille toujours, lorsqu’on a un début de réflexion sur un sujet, de s’en ouvrir à ses collaborateurs. Écouter les membres de son équipe et prendre leurs avis permet d’éclairer sa décision finale. Se nourrir des réflexions des uns et des autres c’est très puissant, car ça permet à l’équipe de s’associer à cette décision, plutôt que de la subir brutalement.* »
« Tout ce que je décide et demande semble être vécu comme une punition… »
Élise est responsable de magasin dans le prêt-à-porter et manage une équipe de dix personnes. « J’ai rapidement constaté qu’il y avait des affinités marquées au sein de l’équipe, à tel point que deux clans se sont constitués », observe-t-elle. Au début, Élise n’y prête guère attention. « Sauf que je me suis aperçue qu’un “clan’’ menait la vie dure à l’autre. Il y avait vraiment des incivilités, du manque de respect et de bienveillance. On était de retour dans la cour d’école. » Ni une, ni deux, Élise convoque toute l’équipe pour remettre les points sur les i : « *J’ai soulevé certains comportements que je trouvais inadmissibles. Le problème c’est que cela a été interprété comme une prise de position claire et franche. Et le groupe que j’ai indirectement recadré m’a alors considéré comme appartenant au clan “ennemi’’. » À compter de cet instant, Élise a l’impression qu’on lui a déclaré la guerre. « Depuis ce jour, le terrain est miné. Ça va des attitudes fuyantes et distantes, aux reproches ouverts du type “De toute façon, vous vous en fichez de nous’’ ou “Vous êtes contre nous’’. Tout ce que je décide et demande semble être vécu comme une punition et j’obtiens pour toute réaction un comportement insolent ou manifestement démotivé.* »
L’œil de l’expert : « Il vaut mieux éviter de rentrer dans la cours d’école lorsqu’il y a un conflit au sein de l’équipe », recommande vivement Ludovic Girodon. Selon lui, le risque c’est de prendre parti, que l’on veuille ou le nom, ou que ce soit perçu comme tel. Il suggère au contraire de s’appuyer sur des rituels réguliers pour détecter d’éventuelles tensions et lorsqu’il y en a, de convoquer les personnes concernées. D’abord individuellement, pour les écouter et comprendre les grandes lignes du conflit. « Il ne faut surtout pas jouer le messager et rapporter ce qui a été dit, recommande-t-il. *Le manager doit se contenter de les écouter un à un et ensuite leur dire : “C’est ta responsabilité de discuter avec ton collègue et de régler entre vous le problème’’. » Ce n’est donc pas au manager de se positionner en médiateur, il doit simplement inciter ses collaborateurs à discuter ensemble. Car, insiste l’expert : « Le fond de l’histoire ne vous intéresse pas, ce qui vous intéresse c’est qu’ils aillent se parler entre eux. S’ils ne le font pas c’est leur problème, vous aurez fait le nécessaire pour régler le conflit.* »
Ami, entends-tu les cris sourds de l’équipe qui se rebelle ? C’est à l’occasion de vos rituels d’équipe, one-to-one et meetings au complet, que vous pouvez en percevoir le fin écho. Ohé, managers, soyez attentifs car ces cris sourds sonnent l’alarme. Baissez la garde, descendez de votre tour, camarades. Car c’est en les écoutant et en co-construisant en partisans, que vous vous épargnerez le prix du sang et des larmes…
Article écrit par Gabrielle de Loynes et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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