« Le “patron de gauche” refuse l’idée du management »

12 avr. 2023

4min

« Le “patron de gauche” refuse l’idée du management »
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Qu’est-ce que « le syndrome du patron de gauche » ? C’est à cette question qu’Arthur Brault-Moreau répond dans son livre éponyme. Selon lui, ce boss qui œuvre dans les structures « de gauche » ne s'assume pas comme tel, rejetant l'idée du management.

Assistant d’une femme politique de gauche pendant 19 mois, Arthur Brault-Moreau ne se doutait pas que ce travail auprès « d’une camarade » lui coûterait son premier (et on espère dernier !) épisode de souffrance professionnelle. Il ne se doutait pas non plus que cette expérience lui servirait de tremplin pour réfléchir au respect des droits des salariés œuvrant dans les mouvements et institutions politiques. Ainsi, après une soixantaine de rencontres avec des employés et des employeurs, il cerne les méthodes de management utilisées par les chefs dits « de gauche » et en tire un essai : Le syndrome du patron de gauche. Interview.

Dans votre livre, vous dites avoir été victime du « patron de gauche » : comment décririez-vous ce « syndrome » ?

C’est un concept qui désigne la façon dont le dirigeant d’une organisation politique de gauche manage ses salariés. Avec des pratiques qui s’appuient sur l’engagement des collaborateurs, et la loyauté voire la culpabilité que cet engagement induit. Par exemple, sur un projet important où l’on ne compte pas ses heures, les patrons de gauche mettent en avant que cet investissement est en faveur du changement social et d’une cause plus grande. Ici, un employé qui demanderait que l’on rémunère ses heures supplémentaires et veillerait au respect de ses droits serait vu comme individualiste. Le dirigeant utilise l’engagement du salarié pour manager.

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Et quels en sont les symptômes ?

Le premier symptôme, le plus flagrant, c’est le patron qui ne s’assume pas comme tel. C’est par exemple une personne qui occupe une fonction d’employeur, qui doit donner des ordres, contrôler et éventuellement sanctionner, mais qui préfère se dédouaner et dire : « Je suis un camarade avant tout, je suis là pour le projet »… donc qui refuse le rapport employeur / employé et en creux, l’idée du management. Est-ce qu’il suffit qu’un patron affirme « Je ne suis pas patron » pour qu’il n’y en ait pas ? Non, le proclamer ne signifie pas que l’entreprise est autogérée. De ce syndrome découlent tous les autres. On reconnaît ainsi un patron de gauche à l’écart entre les paroles portées publiquement et les pratiques managériales. Ce genre de comportement constitue un choc et un vrai risque professionnel et psycho-social pour les salariés. Le dernier symptôme est le refus des contre-pouvoirs, donc des syndicats, alors même que l’objet des organisations concernées est parfois de défendre les droits des salariés.

A contrario, à quoi ressemble le « patron de droite » ?

De manière un peu utopiste, si on imaginait le syndrome du patron de droite, on retrouverait sûrement des similarités avec le management par l’engagement que j’ai évoqué, même s’il ne serait pas du tout le même. Après, je me demande si à droite ils entretiennent aussi cette culture du dévouement pour la cause au point d’oublier leurs propres droits…

Fait-il bon travailler chez l’un plus que chez l’autre ?

En lisant mon ouvrage, on pourrait se dire que c’est mieux chez les patrons de droite. Et peut-être que c’est le cas, mais la question n’est pas là. Le bon fonctionnement d’une entreprise dépend en effet de nombreux facteurs. Cela dit, cet argument permet de mettre la pression sur les organisations de gauche. Elles devraient surtout se rappeler que la façon dont leurs salariés travaillent est politique.

« Je souhaite montrer à la gauche que la notion de valeur travail n’est pas si éloignée d’eux. »

La « valeur travail » est une expression très utilisée à droite, mais on l’entend assez peu à gauche. Comment l’expliquez-vous ?

La gauche parle beaucoup d’une valeur du travail qui est économique ; Elle défend notamment la privatisation des moyens de production (les instruments et ressources de travail, ndlr). Très bien. Mais je pense que c’est aussi une valeur psychologique et sociale qu’il faut prendre en compte. Pourquoi un employeur – de gauche comme de droite – me dit comment faire mon travail ? C’est la question que se posent de nombreux employés. Or, la réponse aux problèmes induits par le travail et le management réside dans la réappropriation du travail par ceux qui le font vraiment, c’est-à-dire les salariés. Aussi, parler de la valeur travail était un des objectifs de mon livre. Je souhaite montrer à la gauche que cette notion n’est pas si éloignée d’eux. C’est une façon positive de dire : « En tant qu’employeurs, vous avez déjà la possibilité d’expérimenter d’autres façons de concevoir et organiser le travail ».

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Est-ce également aux salariés de mettre des limites aux employeurs concernant le respect de leur contrat ?

Ce n’est pas aussi simple que ça. Dans ces organisations, le management par l’engagement met les salariés dans une position où le fait de penser leurs conditions de travail et de revendiquer leurs droits entre en contradiction avec ce qu’ils font au quotidien. Au fond, ils ont peur de nuire et de décevoir leur propre camp. Et puis ils se demandent comment parler de ses soucis au sein de cette structure qui se dit être la solution aux problèmes qu’ils rencontrent… Cette situation est un véritable nuage de fumée d’où l’on peut difficilement sortir, si ce n’est en se rendant compte que l’on n’est pas seul. C’est l’un des enjeux de mon bouquin de dire aux personnes managées par un patron de gauche : « D’autres sont passés par là et ce n’est pas normal ».

« Le syndicalisme permet de rappeler qu’entre l’entreprise et le collaborateur, il y a un contrat de travail. »

Vous proposez plusieurs solutions pour remédier au syndrome du patron de gauche, comme repenser la fonction de l’employeur ou encore encourager les salariés à se syndiquer. Laquelle serait la plus efficace selon vous ?

Pour toutes les questions posées par le syndrome du patron de gauche, le syndicalisme apporte une réponse. Si le patron de gauche ne s’assume pas comme employeur : le syndicat permet de clarifier qui sont l’employeur et l’employé. Si le management fait appel à l’engagement du salarié : le syndicalisme permet de rappeler qu’entre l’entreprise et le collaborateur, il y a un contrat de travail, que l’employé doit l’exécuter et l’employeur respecter ses obligations.

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Pouvez-vous définir la notion « d’anti-management » ?

Pour moi, c’est un synonyme de syndicalisme, justement. C’est faire l’inverse de ce qui se passe d’habitude au sein de l’entreprise. Les managers et les patrons partagent entre eux les trucs et astuces pour savoir comment mieux gérer leurs salariés. L’anti-management, c’est l’inverse : ce sont les salariés qui utilisent les méthodes de leurs chefs pour mieux imposer leurs règles. Si on veut amorcer une réflexion autour de modèles de travail plus libérés, ce n’est pas du côté des managers et des patrons qu’on trouvera une solution, mais du côté des employés.

Quel est l’avenir du patron de gauche ?

(Longue hésitation) Pour le patron de gauche, le vernis est en train de s’écailler : il n’a pas de longs jours devant lui. Selon moi, cela vient aussi du fait que le temps du patronat en général est compté. (Sourire)

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Article édité par Ariane Picoche, photos prises à l’Hotel du Nord par Thomas Decamps pour WTTJ

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