« Votre profil académique va jouer sur votre capacité à être recruté 45 ans après »
16 févr. 2023
Lors d’une table ronde ce 2 février, notre trio d’experts du Lab composé par Bénédicte Tilloy, Laetitia Vitaud et Jérémy Clédat est revenu sur trois tendances brûlantes du monde du travail en ce début d’année. Extraits choisis.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’année 2022 a accéléré de nombreuses transformations en matière de travail et de ressources humaines. Sur le marché de l’emploi, les tensions se sont cristallisées. Si bien que près de 95 % des dirigeants ont fait part de leurs difficultés à recruter en 2022. Et les experts RH s’accordent à le dire : ces défis ne sont pas prêts de se calmer en 2023 !
Dans un tel contexte de perpétuelles mutations, comment parvenir à faire la différence, voire prendre de l’avance en 2023 ? Quels phénomènes anticiper ? Quelles politiques privilégier ? Ou encore quels avantages favoriser ? Nos experts du Lab se sont penchés sur la question, offrant des pistes de réflexion et de solution au cœur d’un ebook Futur du travail : quelles tendances RH vont faire 2023 ? Retour sur les six enseignements principaux de notre dernière table ronde, lors du passage au crible de trois d’entre eux.
Futur du travail : les 10 tendances RH qui vont faire 2023
Inflation, la préoccupation majeure des collaborateurs
Première thématique et pas des moindres : proposer des avantages financiers et sociaux à vos collaborateurs face à l’inflation. La baisse du pouvoir d’achat de nombreux ménages, face à l’augmentation notamment des prix de l’énergie et de l’alimentation, pose problème. Comment soutenir vos collaborateurs dans cette période complexe ?
L’indispensable communication aux équipes
Pour Bénédicte Tilloy, un premier constat s’impose : quels que soient vos moyens financiers et difficultés propres en tant qu’organisation, la question ne peut pas être laissée sous le tapis. « Les entreprises doivent montrer qu’elles sont conscientes du problème, pose l’autrice, conférencière et ex-DG des ressources humaines à la SNCF. Beaucoup de DRH n’ont pas été habitués à gérer des augmentations très significatives. Faire état que la question est posée est un signal très important. Un signal envoyé aux salariés sur le fait qu’on est attentifs à ce que leurs conditions de vie restent acceptables compte tenu de la situation. »
Une position qui peut sembler aller de soi, mais qui demeure pourtant l’exception plutôt que la règle. « C’est quelque chose qui n’est pas habituel. On a plutôt tendance à se planquer pendant ce genre de période, alors qu’on a intérêt, me semble-t-il, quand les sujets sont graves à prendre les devants. Cette question va être difficile, notamment à l’approche des négociations annuelles obligatoires. Il faut donc se demander “comment va-t-on faire pour garder un pouvoir d’achat suffisant pour les salariés” ? Le terme “suffisant” est un peu petit, mais c’est comme ça que ça se présente le plus souvent », renchérit Bénédicte Tilloy.
Le temps, c’est de l’argent
Même constat pour Jérémy Clédat, qui envisage pour sa part, le temps comme une variable d’ajustement à ne pas négliger sur cette question. « Peut être que mieux maîtriser son temps revient à mieux maîtriser son budget. Clairement, les entreprises réagissent au sujet de l’inflation de manière réactive, alors qu’on peut être pro-actif aussi bien sur le salaire que sur le rapport au temps », propose-t-il.
À ses yeux, deux opportunités méritent d’être considérées : le télétravail et la semaine de 4 jours. « Le télétravail est une piste. On a tendance à dépenser beaucoup plus parce qu’on a des contraintes physiques dans notre journée, qui font que les budgets s’accumulent (solutions de garde, cantine…). Cette flexibilité sur le temps de travail géographique est un premier élément. […] Un autre exemple, c’est le temps passé. Le rapport au temps issu de la semaine de 4 jours vous permet de faire des choses que vous n’aviez pas le temps de faire et de déplacer ainsi un budget que vous pouvez désormais gérer vous-même. C’est un enjeu long terme qui a de la valeur », recommande Jérémy Clédat.
Gestion des équipes composites, le nouveau challenge des managers
La pandémie a accéléré le recours aux indépendants par les entreprises. Consultants, intérimaires, freelances… sont nombreux à faire partie de l’effectif élargi des organisations. Pour les managers, cela implique de gérer les équipes composites comprenant ces travailleurs et leurs salariés. Comment s’y employer du mieux possible au quotidien ?
Faciliter l’expérience des indépendants
Là où un collaborateur « lambda » se voit de plus en plus proposer une véritable expérience avec onboarding, accompagnement et formation à la clé, les indépendants, eux, sont encore considérés comme une main-d’œuvre annexe. Or, pour Bénédicte Tilloy, plus de considérations à leur égard semblent indispensables. « Il faudrait soutenir le manager à la fois sur le plan des achats et des RH. Aujourd’hui, la fonction vient en support du management, il faudrait que la fonction achats puisse le faire aussi. L’idéal serait d’avoir une personne qui, sur sa tête, cumule l’attention portée à la dimension achat du fournisseur, et celle portée à l’expérience de la personne en tant que consommateur de l’ensemble de la vie quotidienne de l’entreprise : accès au bureau et à la cantine, tickets restaurants, outils… », remarque cette dernière.
Mais face au recours de plus en plus prégnant à ces indépendants, et donc au management grandissant d’équipes composites, trouver de nouvelles solutions devient une prérogative essentielle. « Tout ça est aujourd’hui complètement émietté et c’est ce qui rend l’expérience fournisseur compliquée, renchérit Bénédicte Tilloy. Si ça pouvait être réuni sur la même tête et permettre aux managers d’être vraiment dans un onboarding et une formation de qualité, en réglant pour lui tous ces petits irritants qui ne sont finalement pas grand-chose, je pense qu’on gagnerait considérablement en fluidité, qualité et fidélité de la relation avec l’entreprise. »
Booster sa « marque employeur fournisseur »
Pour Jérémy Clédat, la culture d’entreprise n’est pas étrangère à l’expression du management adéquat vis-à-vis de ces équipes composites. « Ce qui est intriguant, c’est qu’il y a un rapport très déshumanisant lié notamment au freelancing. On parle de ressources additionnelles ou futures qu’on peut plus ou moins troquer contre d’autres choses », analyse-t-il. Une considération moindre, qui est souvent, non dénuée de répercussions sur la collaboration.
« Notre recommandation, que je fais de manière humble parce qu’on essaie de progresser sur le sujet, c’est qu’il n’y ait aucune différence quel que soit le statut, propose le CEO de Welcome to the Jungle. Les événements, les outils… Il faut essayer de gommer cette distance qui fait que potentiellement les gens ne sont pas pleinement satisfaits de l’expérience. C’est le meilleur moyen, je pense, de créer une “marque employeur fournisseur” » Car, ainsi que Jérémy Clédat le fait remarquer, beaucoup d’entreprises se focalisent sur leur marque employeur au sens strict. Pourtant, les partenaires qui gravitent dans l’organisation, à plus ou moins long terme, ont souvent une incidence notable sur l’image et la réputation des structures.
Index seniors, mesurer pour progresser ?
Au programme de l’actuelle réforme des retraites, l’utilisation d’un index seniors a pour but de favoriser leur employabilité, encore insuffisante pour l’heure. Mais est-il réellement la solution toute trouvée pour remédier à cette problématique ?
L’héritage de l’index égalité H/F
Experte sur le futur du travail, Laetitia Vitaud reconnaît les avantages de la mise en place d’un outil tel que l’index, d’après ses observations à l’égard de celui en faveur de l’égalité professionnelle. « Avec l’index d’égalité professionnelle, on a appris à mesurer quelque chose qu’on ne mesurait pas, explique-t-elle. Il y avait beaucoup de chiffres qu’on pouvait se permettre de mettre sous le matelas et qu’on est obligés de mesurer maintenant** en termes d’inégalité de traitement et de salaires entre les hommes et les femmes. L’index a permis à toutes les entreprises de se doter d’indicateurs solides et de les suivre. »
Difficile pour autant d’y voir le « remède » parfait selon l’autrice et conférencière face à certaines limites de l’index égalité H/F. « On se rend compte qu’il a été conçu de telle sorte que tout le monde a une bonne note. Il mesure des choses moyennes, comme des comparaisons en temps plein ou encore les 10 plus hauts salaires. Donc il suffit de mettre des femmes parmi les dix et ça y est vous êtes bon ! Je dis “il suffit” car c’est moins difficile que de donner plus de mixité dans des métiers en bas de l’échelle, où on va avoir plus de femmes. Il y a des tas de données manquantes, comme la proportion de femmes parmi les salaires les plus bas ou parmi les temps partiels. Il faudrait, pour l’index seniors, être ambitieux, qu’il s’accompagne d’effets et de sanctions. Sinon ça risque d’être seulement un joli gadget », en conclut Laetitia Vitaud.
Gommer le modèle adéquationniste
Pour Jérémy Clédat, favoriser l’employabilité des seniors, c’est avant tout changer certains a priori, en accordant notamment un intérêt plus mesuré à la formation initiale en matière de recrutement. « Quand vous ouvrez les premières pages de Challenges, vous avez des brèves avec des personnes nommées. Il y a toujours écrit le prénom de la personne et entre parenthèses sa formation (HEC 75). C’est révélateur, parce que ce sont des gens qui ont peut-être 50 ou 60 ans et qui sont toujours déterminés parce qu’ils ont fait il y a 40 ans. »
Un modèle adéquationniste, qui n’est malheureusement pas sans conséquence à l’égard des seniors pour qui certaines professions, et leurs formations, n’existaient tout simplement pas. « L’importance de votre profil académique va encore jouer sur votre capacité à être recruté 45 ans après, ce qui pose le sujet de savoir à quel point notre système vous permet de vous reformer et si cette formation est valorisée autant que celle initiale, pose encore le chef d’entreprise. Beaucoup de gens, qui pour des raisons X ou Y, notamment parce qu’ils n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit, n’ont pas fait les études qu’il fallait il y a 30 ans et sont toujours ramenés à cette formation. On a certainement une éducation à faire en tant qu’entreprise pour se focaliser sur la suite. »
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