Le retour de la saison des team-building : comment y survivre ?
30 mai 2022
5min
Coach, consultante et formatrice spécialiste de l’équilibre de vie pro/perso
TRIBUNE - Vie pro, vie perso, équilibre, frontières à placer ou à effacer… Comment fait-on, en tant qu’individu ou qu’entreprise, pour garantir le bonheur et la réalisation de soi, au travail comme à la maison ? C’est le questionnement perpétuel de notre experte du Lab, Sandra Fillaudeau, créatrice du podcast Les Équilibristes et de la plateforme de conseil “Conscious Cultures”. Chaque mois, pour Welcome to the Jungle, elle nous livre son regard juste et mesuré sur un épisode de nos vies de travailleur·ses.
« On a eu notre séminaire d’entreprise la semaine dernière, quel bonheur de faire la fête avec mes collègues. Ça m’a fait tellement de bien. »
« On est invités pour trois jours de team building dans quelques semaines, je dois donner ma réponse demain. J’adore mes collègues, mais vraiment, je n’ai aucune envie d’y aller. »
Deux phrases entendues ces dernières semaines, et deux perceptions totalement différentes d’un événement censé permettre à tous les membres d’une même équipe ou entreprise de se retrouver en “présentiel”, enfin, bien loin du télétravail et de ses réunions Zoom impersonnelles.
Je suis toujours fascinée par les différences de vécus de ce type d’événement. Parce que si beaucoup de collaborateurs·trices se réjouissent d’avoir des occasions de se retrouver, il y a des personnes pour qui tout cela n’a vraiment rien d’évident. Besoin de cloisonner sa vie personnelle de sa vie professionnelle, malaise face à des activités vécues comme infantilisantes, nouveau·velle et intimidé·e à l’idée de partager sa chambre avec un·e inconnu·e ou carrément sentiment d’être surveillé·e ou de participer à un événement hypocrite compte tenu de la mauvaise ambiance globale de la boîte… Les raisons sont nombreuses de ne pas se réjouir à l’idée du prochain team building. Nombreuses, et légitimes. Et pour celles·ceux qui se sentent concernés, il existe heureusement quelques pistes pour vivre au mieux ces quelques heures voire jours…
La frénésie de team buildings
À quoi sert un team building ? Très simplement à créer des expériences communes dans l’objectif d’approfondir, resserrer les liens entre les membres d’une équipe. Le concept date de la fin des années 20, avec les travaux du psychologue et sociologue Elton Mayo, et s’est développé à partir des années 80.
Par définition, ce sont des moments à la frontière entre le pro et le perso, puisqu’ils empiètent sur des temps hors temps de travail - notamment des nuits entières ! -, et qu’ils comportent nécessairement des activités non-professionnelles, de loisirs. C’est en sortant les collaborateurs·trices de leurs contextes et de leurs fonctionnements habituels, que l’on cherche à les souder, à permettre aux équipes de se mélanger, d’interagir différemment.
Et ça marche. Il n’y a pas à dire : faire une course d’orientation avec des collègues que l’on a connu·es que via email ou visio jusque-là crée des situations et des conversations qui marquent (en bien ou en parfois un peu gênant d’ailleurs – je suis sûre que vous voyez ce que je veux dire…).
Bref, on ressort de ce type d’expériences avec l’impression de connaître beaucoup mieux ses collègues. Et se raccrocher à une anecdote, refaire référence à une blague partagée sont d’excellents moyens de démarrer une réunion, un appel, de faire vivre le lien. Comme des petits maillons pour se connecter aux autres à un niveau plus humain, plus profond. (Et d’autant plus si l’ambiance ou la politique de votre entreprise ne sont pas vraiment au beau fixe…).
Quand vraiment ça ne passe pas
Oui, mais. Il y a des personnes pour lesquelles le fait d’entendre l’anglicisme « team building » suffit à leur donner des sueurs froides. Justement à cause de l’ambiguïté du format, et de la pression implicite qui l’accompagne. De l’extérieur, le programme est tellement alléchant – ne pas vouloir participer signifierait donc un manque d’engagement, une sorte d’ingratitude, voire carrément un manque d’ambition. Parce que le team building, comme les afterworks, sont dans cette catégorie floue d’événement facultatifs, mais tout de même « indispensables » pour progresser dans sa carrière.
Or il y a beaucoup de raisons valables de ne pas être à l’aise avec ça. Pour les personnalités à tendance plus introverties, par exemple, ces longs moments en groupe peuvent être vécus comme épuisants, intrusifs. Ce sont des personnes qui se ressourcent dans la solitude et le calme, parce qu’ils vivent les stimulations du monde extérieur avec plus d’intensité.
Il y aussi des personnes qui font le choix de séparer de manière très tranchée leur vie pro de leur vie perso. Et d’après une étude finlandaise, ce sont eux qui ont raison : la catégorie des « séparateurs » avait une meilleure forme physique et émotionnelle, une plus grande efficacité au travail, et de meilleures relations avec leur conjoint et leurs enfants que les autres catégories de personnes. Et je ne parle pas ici des expériences à la limite de la légalité, du moins de la décence, qui laissent des traces chez celles et ceux qui les ont subies. Sauf que… Dire que l’on n’a pas envie d’aller en team building, c’est un des grands tabous de la vie en entreprise.
Y aller (ou pas), toujours en fixant ses limites
Donc, comment on fait ? La première chose, c’est de décider en conscience de ce que l’on fait. Et ce qu’il faut savoir, c’est que la loi est assez claire sur le sujet : le séminaire d’entreprise est considéré comme du temps de travail, et est donc soumis aux mêmes règles en termes de temps de repos, d’obligation de préserver la santé et la sécurité des salarié·es. Mêmes règles, et mêmes obligations. Si le séminaire se déroule sur les horaires habituels de travail, refuser de s’y rendre, sans motif légitime et sérieux, expose donc à des sanctions disciplinaires. Avant d’entamer une discussion avec votre manager ou RH, mieux vaut donc bien préparer vos arguments et motiver votre demande de dispense de team building.
Ensuite, il y a donc le cas où vous décidez - avec envie ou non… - de participer à cet événement. Et pour que cela se passe au mieux pour vous, voici quelques questions à vous poser en amont :
- Quel est le cadre que je veux poser ? Réfléchir en amont à des limites, des moments de respiration, de pause, peut permettre d’appréhender le moment tout autrement. Vous pouvez par exemple étudier le programme, et prévoir en amont les moments où vous vous extrairez pour être seul·e
- À quoi n’ai-je vraiment pas envie de participer ? C’est-à-dire, qu’est-ce qui est vraiment hors limite pour moi ? (Par exemple, une activité qui nécessite d’être en maillot de bain, ou le fait de participer à des jeux jugés trop enfantins)
- Qu’est-ce qui est un peu en dehors de ma zone de confort que je m’engage à essayer ? Il ne s’agit pas de se forcer hors de sa zone de confort, mais de l’étendre progressivement. Se surprendre à essayer des activités que l’on ne pense pas apprécier par exemple. C’est intéressant aussi de bousculer son système de pensée, d’oser tester des choses, juste pour l’expérience. (Personnellement, c’est comme ça que je me suis retrouvée un jour sur le dos d’un chameau, alors que j’ai peur de monter sur un cheval).
- Comment je peux contribuer à la connexion, à l’ambiance, à l’esprit d’équipe ? Même si vous décidez de zapper l’activité escape game par exemple, vous pouvez quand même montrer votre engagement vis-à-vis de l’équipe, vous intéresser à ce qu’ils⋅elles ont vécu ensemble : organiser la mise en place de l’activité, jouer un rôle d’encadrement, préparer l’apéro pour la fin de l’activité… Bref, ce n’est pas “j’y vais” ou “j’y vais pas” - le “jusqu’où” et “comment” je participe sont tout aussi intéressants à explorer.
Derrière toutes ces questions, il y a deux notions importantes :
La première, c’est celle des conversations à amorcer : avec son manager, son équipe, ses collègues. Énoncer des limites claires avec le souci du respect de l’autre aide tout le monde à se repérer et à bien fonctionner ensemble. Et c’est bien là l’objectif du team building.
La seconde, c’est se rappeler que l’important, c’est le lien, la relation aux autres, notamment dans le travail. Et donc naviguer avec cette question boussole : comment je peux poser et respecter mes limites tout en continuant à approfondir le lien avec mes collègues. Comme souvent, remplacer le mot « ou » par « et » ouvre des perspectives riches à explorer !
Édité par Clémence Lesacq
Photographie par Thomas Decamps
Inspirez-vous davantage sur : Sandra Fillaudeau
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