Tests de personnalité, vrai outil d'introspection ou poudre aux yeux ? Débat
25 févr. 2022
7min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Qu’il s’agisse de tests futiles pour rigoler entre amis (“Gryffondor” ou “Serpentard” ?) ou de tests plus sérieux pour mieux se connaître (“dominant” ou “fiable” ?), vous vous êtes forcément déjà livré·e à un de ces fameux “tests de personnalité”. Si, si, il faut bien l’admettre, il est difficile de leur résister tant certains, comme le MBTI ou la méthode Disc, visent juste. En plus d’être ludiques, ils peuvent aider à l’introspection… et ainsi, à mieux nous présenter aux autres dans le monde professionnel, comme ailleurs.
Mais n’est-ce pas un peu trop simple pour être vrai ? Faut-il vraiment s’y fier ? Parce que ces questions méritaient un débat, nous avons donné la parole à Norine Lorelli Rinckenberger, coach en management, en communication non-violente et en communication persuasive qui a très souvent recours à ces tests en tant qu’accompagnante, et à Laetitia Vitaud, autrice, conférencière sur le futur du travail et experte du Lab, la communauté d’experts de Welcome to the Jungle, qui met en garde contre ces questionnaires un peu trop séduisants pour être pertinents…
On a tous déjà cédé aux charmes d’un test de personnalité… Pour vous, que peuvent-ils vraiment nous apprendre sur nous-même ?
Norine : Déjà, il faut bien comprendre que l’appellation “test de personnalité” n’est pas tout à fait correcte. En réalité, ces exercices nous donnent plutôt des clés pour comprendre la manière dont nous communiquons. Ils ne nous disent pas qui nous sommes profondément (ce qui revient plutôt à un psychologue de faire), mais nous permettent d’observer et d’analyser les (non-)manifestations extérieures de notre personnalité, bref notre comportement. Donc, pour moi, ils peuvent surtout nous aider à prendre de la hauteur, à faire le point sur nous-même. D’abord, en nous permettant de mettre des mots sur notre style de communication, notre attitude, ou de confirmer ou infirmer l’image que nous nous faisons de nous-même. Mais aussi en nous donnant les moyens d’identifier d’éventuels décalages entre notre propre perception et celles des autres puisque certains d’entre eux - comme le test du “modèle persona” pour lequel je suis certifiée - impliquent notamment d’aller récolter des feedbacks de notre entourage.
Laetitia : Ce sont effectivement comme des lunettes qui nous éclairent sur les différents styles de communication, sur nous-même, et c’est un très bon point de départ ! Mais pour moi, c’est quand même à double tranchant…
Vous voulez dire qu’il y a des dérives possibles ?
Laetitia : Oui, j’en ai peur. La première limite, et pas des moindres, que je vois à ces tests, c’est qu’une fois le résultat dévoilé, on tombe très facilement dans le piège de la croyance exacerbée, voire de la fatalité. C’est-à-dire que l’on se dit : « Je fonctionne de cette manière et je ne peux rien y changer. » C’est exactement comme avec l’horoscope, pour lequel on entend souvent : « Oh non mais n’essaye même pas de discuter avec lui, c’est un scorpion ! » ou « Je suis super sensible mais c’est normal, je suis cancer… » Il m’est déjà arrivé de me dire « Ah non mais lui c’est un IST, à fuir, hum hum ! » en me référant au MBTI !
Norine : Rassurez-moi Laetitia, vous ne parlez pas d’une Infection Sexuellement Transmissible !?
Laetitia : Non, bien sûr (rires). En fait, le problème, c’est qu’ils nous forcent à voir les choses de manière très statique. Par exemple, un test peut nous dire qu’on est introverti, mais en réalité, ce n’est peut-être le cas qu’à un moment T. En tant qu’humain, on fluctue constamment ! Personne n’est complètement introverti ou extraverti, il y a des moments où on l’est plus, et d’autres où on l’est moins, voire pas du tout…
Norine : Je suis d’accord pour dire que la connaissance de soi ne peut effectivement pas se faire uniquement via un test à réaliser en un quart d’heure. Il faut bien se dire que ce n’est qu’un outil au service d’une introspection plus large et plus poussée. Il est d’ailleurs préférable de le faire accompagné·e, par un·e coach par exemple, pour que celui/celle-ci nous détaille ce que l’on peut en attendre, et nous mette également en garde sur ses limites, comme celle de s’enfermer dans un résultat. Et pour compléter ce travail, il peut aussi être intéressant d’aller voir un psy, pour une thérapie courte par exemple - un format de plus en plus courant.
Ce n’est pas tout rose, donc. Laetitia, quelle est la deuxième limite que vous évoquiez ?
Laetitia : Elle concerne la conception même de ces exercices. En 2021, le documentaire “Persona, the dark truth behind personality test” paru sur HBO, révélait que ce test, Persona (mais c’est valable pour d’autres également), comportait une bonne dose de sexisme, de classicisme et de validisme car les questions et les réponses ne prennent pas en compte toute une partie de la population, comme les personnes neuroatypiques (asperger, hypersensibles, hyperactifs, etc.) Et puis, il ne faut pas oublier que nous sommes tous biaisés. Les femmes, par exemple, sont nombreuses à avoir intégré, depuis leur plus tendre enfance, ce que la société voulait qu’elles soient, à savoir des personnes sensibles, empathiques et bonnes communicantes. Donc elles ont développé plus facilement ces qualités. Et lorsqu’un jour, elles remplissent un test, ces appétences se reflètent dans le résultat et les confortent dans des stéréotypes de genre. Mais si elles ont envie d’être plus analytiques, directes ou audacieuses ? Et bien, elles se sentiront freinées… Finalement, les tests de personnalité sont assez déterministes et limitants. C’est dommage.
Et même lorsqu’ils requièrent de récolter des feedbacks de notre entourage, qui nous dit que ces derniers ne sont pas eux-mêmes influencés par des stéréotypes sur notre genre, notre ethnie ou notre origine sociale ? Peut-être nous décrivent-ils d’une certaine manière parce qu’ils sont subjectifs ? Alors oui, des décalages entre nos propres perceptions et celle des autres peuvent alors émerger, ce qui peut être intéressant, mais le problème, c’est que nous allons nous sentir responsables de ne pas renvoyer la “bonne” image, alors que nous n’avons pas le pouvoir de changer les idées reçues…
Norine : Nous avons tous une histoire, nous sommes tous issus d’un certain milieu social, nous avons tous des origines différentes et cela joue bien évidemment dans notre construction et notre développement, mais finalement je ne pense pas que cela soit si important, car ces tests veulent observer la partie visible de notre iceberg. Encore une fois, il faut bien se rappeler que ce sont des tests de communication ! Ils ne sont pas là pour raconter notre histoire ou refléter notre identité profonde, mais à savoir si nous reflétons bien l’image que nous souhaitons renvoyer au monde. S’il y a un décalage entre ce que nous pensons être (ou devrions être) et nos résultats, alors rien ne nous empêche de travailler sur nous. Finalement, la seule question qui compte réellement c’est “est-ce que je suis satisfait·e du résultat ?”
Justement, y a-t-il des “bons” et des “mauvais” résultats ?
Norine : La plupart du temps, les gens que j’accompagne sur ces tests en sont plutôt satisfaits, ou en tous cas, ils les assument. Et c’est normal, puisqu’aucun profil n’est jamais présenté comme parfait, chacun a ses propres forces et faiblesses, ou plutôt ses axes d’amélioration. Et lorsqu’on obtient un résultat, l’idée est justement de pouvoir obtenir des clés pour mieux se connaître pour, dans un second temps, opérer des changements : apprendre à mieux communiquer avec les autres, à gagner en capacité d’adaptation… Le test n’est qu’une première base de travail. Mais attention, il n’est en aucun cas question de modifier sa personnalité. Simplement de se retrouver face à soi-même, s’observer objectivement, s’apprivoiser et travailler sur ses défauts seulement si on le souhaite.
Laetitia : J’ai souvent entendu dire, comme vous le soulignez, qu’il n’y avait pas de “mauvais profil”, mais j’en doute. On sait très bien que dans la société, on survalorise les extravertis et les intuitifs par exemple. À l’inverse, c’est toujours aux introvertis qu’on va demander de faire des efforts pour mieux communiquer, parfois même pour s’adapter à des personnalités toxiques (des managers tyranniques, des personnes qui ont le complexe de dieu…) qui, elles, ne vont jamais ressentir le besoin de passer de tests pour se remettre en question.
Norine : Si on ne s’entend pas avec quelqu’un, on ne va pas forcément en faire son/sa meilleur·e ami·e, nous sommes bien d’accord. Mais ce qui nous importe, c’est simplement d’aller mieux soi-même, non ? Alors pourquoi ne pas s’outiller pour pouvoir adapter notre style de communication, mieux comprendre les autres, et tirer malgré tout des bénéfices de nos relations avec les personnes qui ne nous ressemblent pas ?
Pour finir, dans quel cas recommanderiez-vous de réaliser un de ces tests de “personnalité” malgré leurs imperfections ?
Laetita : Je pense qu’on est plus à même de tirer des bénéfices de ces tests quand on est déjà fort psychologiquement. En situation de faiblesse, on risque de s’enfermer dans un diagnostic qui ne nous ressemble pas forcément. Et surtout, pour en tirer partie, il faut être dans une démarche positive d’amélioration. Se dire que les résultats, ce n’est que le début d’un travail sur nous-même, pas une fatalité. S’inscrire à un cours de théâtre si on veut apprendre à mieux s’exprimer devant un public ? Des ateliers d’écriture créative si on a envie de travailler notre intuition ?
Norine : Tout à fait d’accord. Déjà je pense qu’il faut que l’envie de faire ces tests vienne de nous et puis, il faut avoir envisagé l’option où le résultat nous indique certains défauts qui ne nous plaisent pas pour, dans un second temps, pouvoir se demander ce que l’on pourrait faire pour s’améliorer… Et bien sûr, à l’issue du test, si on se sent fragile et perdu, ne pas hésiter à aller consulter un coach, voire un psychologue, surtout si on ressent le besoin de travailler en profondeur sur soi-même. Et je suis tout à fait d’accord avec vous, Laetitia, je pense qu’il est plus intéressant de faire ces tests lorsque nous allons bien, comme pour prendre une photo de notre état d’esprit à ce moment-là et se donner la possibilité de s’y replonger quand nous allons moins bien.
Laetitia : Oui, c’est vrai, et ça peut même aider à prévoir les crises ! Ou quand elles ont lieu, ça peut nous remettre en tête les grandes qualités qu’on peut mobiliser pour y faire face.
Norine : Voilà une belle conclusion ! Mais, bien sûr, comme pour beaucoup de choses avec le développement personnel, il ne faut pas que cela génère en nous une injonction au bonheur… Mais ça, c’est un autre débat (rires) !
Article édité par Elea Foucher-Créteau
Photo de Thomas Decamps
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