Le secret bien gardé des équipes les plus productives : la gentillesse
02 nov. 2021
6min
Journaliste indépendante.
À l’heure de l’optimisation permanente des outils et des process, il est parfois facile d’oublier que le succès d’une entreprise repose avant tout sur les personnes et les équipes qui la composent. Alors que les salariés estiment que le travail collaboratif a un impact particulièrement positif sur le partage des connaissances, la productivité, la résolution des problèmes, la motivation et la créativité, “se la jouer solo’’ ne semble plus vraiment de bon ton. Faire preuve d’entraide, de bienveillance et de gentillesse est même devenu un élément indispensable pour tirer toute une équipe vers le haut.
À la recherche de la recette secrète
Découvrir le secret des équipes les plus efficaces, c’est le challenge que s’est lancé Google en 2012. Un groupe de chercheurs a ainsi étudié près de 180 équipes et relevé des dizaines de paramètres – organisation interne, âge, complémentarité des compétences, centres d’intérêt communs, etc. – sans parvenir à dégager un modèle unique ou une preuve que la composition des membres a un impact sur la productivité. C’est seulement en s’intéressant aux « normes » qui régissent les quelques équipes les plus productives qu’ils ont commencé à entrevoir les premiers ingrédients de cette recette miracle.
Les normes : quèsaco ?
Les normes sont un mélange de traditions, de comportements et de règles écrites ou tacites qui régissent le fonctionnement d’un groupe. Leur influence est très importante et elles ont la faculté de transcender les comportements individuels pour proposer de nouveaux modes de fonctionnement. C’est la raison pour laquelle certains collaborateurs se conduisent différemment dans un travail individuel et dans un travail d’équipe. L’équilibre d’un groupe est donc fragile : un nouveau membre qui n’adhère pas à ces normes implicites peut remettre en question le fonctionnement global et la sérénité.
Les deux comportements communs des équipes stars
L’étude de Google identifie deux points communs à toutes les équipes les plus productives :
- Chacun y est libre de s’exprimer. Les chercheurs ont remarqué qu’il est nécessaire de laisser à tous les membres d’une équipe la possibilité d’une prise de parole et d’un partage de point de vue.
- Les membres qui composent ces équipes sont empathiques. En effet, les bonnes équipes réunissent des personnes capables de comprendre le ressenti des autres, en se basant simplement sur l’expression de leur visage, le ton de leur voix ou d’autres indices non verbaux.
Possibilité de s’exprimer + empathie = sécurité psychologique
La possibilité de s’exprimer librement et la capacité empathique des membres d’une équipe créent alors ce que l’on appelle la « sécurité psychologique ». Amy Edmondson, professeure à la Harvard Business School, définit ce phénomène comme un sentiment de confiance partagé par tous qui assure à chacun la liberté de s’exprimer sans être jugé. C’est cette sécurité psychologique qui permet à la gentillesse de s’exprimer.
La bienveillance ambiante offre alors un climat de confiance et de respect mutuel dans lequel chaque individu peut donner le meilleur de lui-même, prendre des initiatives, parler de ses erreurs et apprendre à les corriger. Résultat : une vraie tribu de « gentils », au sein de laquelle on travaille plus vite, plus efficacement et où l’on collabore davantage. Ce n’est finalement pas si compliqué, il suffit de vous rappeler de ce que disait votre maman lorsque vous étiez haut comme trois pommes : « sois gentil avec les autres enfants ! » Sinon, pas de goûter !
Les travers de la gentillesse
En permettant aux membres d’une équipe d’être gentils et donc en leur offrant une sécurité psychologique, vous leur permettez de franchir la première marche de l’efficacité. Cependant, si elle est une condition nécessaire, elle ne se suffit pas à elle-même. Celle-ci doit évidemment s’articuler avec d’autres facteurs : objectifs clairs, culture d’entreprise adéquate… Surtout, la gentillesse connaît des limites qui se manifestent à un niveau individuel, mais qui peuvent aussi menacer l’équilibre du groupe.
La gentillesse mal maîtrisée impose une charge de travail supplémentaire…
Mark Bolino, professeur à l’université d’Oklahoma, parle d’un phénomène de « citoyenneté croissante » par lequel on impose, souvent involontairement, une charge supplémentaire aux salariés qui sont les plus gentils. Leur situation professionnelle peut alors rapidement dégénérer et les conduire à crouler sous les demandes diverses, en rendant inefficaces à accomplir leurs tâches principales : c’est le syndrôme du « people pleasing », soit la difficulté à imposer ses limites dans un cadre professionnel.
… qui n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur
Les salariés qui offrent naturellement leur aide ne sont pas toujours valorisés en interne. Dans les entreprises de taille importante, où chaque salarié est évalué selon des objectifs précis, les managers de ces supers gentils, qui travaillent généralement avec de nombreux interlocuteurs, peuvent avoir du mal à évaluer le travail fourni et donc, impacter leur progression de carrière.
La gentillesse est parfois mal reçue.
D’après Russell Johnson, professeur à l’université du Michigan, il faut faire preuve de prudence lorsque l’on offre une aide qui n’a pas été sollicitée, notamment dans une relation manager/collaborateur. Et ce, pour plusieurs raisons : il est compliqué d’avoir une vision complète d’un sujet de l’extérieur, il faut parfois plus de temps pour contextualiser un problème à un tiers que pour le résoudre soi-même, mais, surtout, de nombreuses personnes préfèrent résoudre un problème de façon autonome.
Et si on est une femme ?
Une expérience menée par Madeline Heilman, psychologue à l’université de New York, montre qu’un homme resté plus tard au bureau pour aider un collègue obtient une appréciation 14 % plus élevée qu’une femme qui ferait la même chose. Les femmes subissent le stéréotype de la collègue serviable et attentionnée. Elles se doivent, en entreprise, d’incarner la gentillesse et sont pénalisées si elles transgressent ce que l’on attend d’elles.
Alors, vaut-il mieux être méchant ?
La mauvaise humeur permettrait de gravir les échelons. C’est ce qu’affirme Laurent Auzoult, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Franche-Comté : « On octroie naturellement un statut plus élevé, un salaire plus important et des opportunités de promotion plus nombreuses à un dirigeant coléreux qu’à un manager doux. » Heureusement, d’autres études semblent indiquer le contraire. Donc, dans le doute, soyons gentils.
Comment répandre la gentillesse dans une équipe ?
Les « normes de groupe » dont nous parlions plus haut sont le résultat d’une culture d’entreprise autant que le fruit des individus qui composent une équipe. Demander aux collaborateurs de s’écouter davantage ou d’être attentifs aux ressentis de leurs collègues ne donne pas des résultats instantanés. Créer ce sentiment de sécurité psychologique est donc un challenge à part entière !
Si votre équipe ne baigne pas dans la guimauve, tout n’est pas perdu. Vous avez le pouvoir d’encourager le changement de comportement de vos collègues, et ce, même si vous n’occupez pas un rôle de manager. Car, bonne nouvelle, la gentillesse est contagieuse et vous pouvez créer les conditions favorables à sa propagation.
Montrez l’exemple.
D’après une étude menée par le Journal of Applied Psychology, les extra milers – ces personnes qui font toujours un peu plus que leur rôle – peuvent améliorer et entraîner vers le haut les performances d’une équipe entière. Souvent repérés et récompensés par leur manager, ils sont la preuve que la gentillesse peut devenir une qualité reconnue et appréciée. Leur capacité à offrir spontanément leur aide et à se dépasser donne l’exemple et encourage les autres à en faire de même.
Mettez en avant les bénéfices.
Expliquez à vos collègues les bienfaits de la collaboration et de l’entraide pour eux et pour l’ensemble de votre équipe. Pour mieux les convaincre, n’hésitez pas à utiliser des éléments factuels sur le sujet : chiffres, statistiques, rapports, études scientifiques…
Incitez-les à parler de leurs ressentis.
Il est nécessaire d’encourager les discussions autour de ces normes avec les personnes qui pourraient se sentir mal à l’aise avec l’idée de s’ouvrir davantage dans un contexte professionnel. Aucun individu ne souhaite devenir une autre personne et enterrer une partie de sa personnalité en arrivant au travail. Mais pour être pleinement soi-même et se sentir en confiance, il faut être capable de partager librement ce qui nous fait peur sans craindre d’être pénalisé.
Apprenez à filtrer et à hiérarchiser les demandes.
En montrant que vous savez être aidant sans vous laisser dépasser, vous encouragez la « meilleure partie » de votre gentillesse à s’exprimer et encouragez les autres à faire de même. Les avantages, sans les inconvénients.
Reconnaissez et mesurez la gentillesse.
L’analyse de réseau, les évaluations croisées ou encore la production de fiches de partage de connaissances peuvent aider à mesurer et à quantifier des performances à valeur ajoutée dont les résultats ne sont pas directement perceptibles. À votre échelle, apprenez à reconnaître les preuves de cette bienveillance et pensez à remercier et partager les réussites communes.
Les bons comportements, comme les mauvais, ont une tendance naturelle à se répandre en entreprise. Le psychologue Jamil Zaki, professeur à l’université de Stanford, parle de « conformité positive » : les personnes qui croient les autres plus gentils et généreux… deviennent plus gentilles et généreuses elles-mêmes.
Finalement, les conditions qui créent la sécurité psychologique – à savoir la liberté de parole et l’empathie – sont les mêmes que celles auxquelles nous nous référons pour créer du lien dans un environnement amical ou familial. Cette nécessité de tisser des liens humains compte autant au travail que partout ailleurs. La collaboration et la bienveillance sont l’une des réponses à de nombreux problèmes structurels qui touchent le monde de l’entreprise et les premières entreprises à l’intégrer prendront de l’avance sur leurs concurrents. Ni bonne poire ni grand méchant, le seul comportement gagnant sur le long terme à l’échelle d’une équipe consiste à se respecter soi-même en respectant l’autre.
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Photos Thomas Decamps pour WTTJ
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