Collègue enclin au stress : comment gérer cette relation sous haute tension ?

11 juin 2024

5min

Collègue enclin au stress : comment gérer cette relation sous haute tension ?
auteur.e
Pauline Allione

Journaliste independante.

contributeur.e.s

Au milieu de l’open space, il est reconnaissable entre mille : semblable à une boule de nerfs, il achève les missions à un rythme effréné, panique au moindre obstacle et envisage régulièrement le pire. Vous l’avez deviné, il s’agit du fameux collègue stressé. Si nous sommes tous soumis à des tensions dans le cadre du travail, certaines personnes semblent ne jamais se départir de leur anxiété. Comment gérer ces relations de travail sous haute tension, et mieux : quelles sont les solutions envisageables pour plus de détente ? « Ma cheffe est à la fois hyperactive et ultra-stressée, ce qui fait qu’elle a tout le temps besoin de tout savoir et de tout contrôler. Elle est systématiquement derrière moi, et quand je dois faire quelque chose, elle s’empare du sujet et le traite dans la foulée alors qu’il n’y a aucune urgence », relate Sophie, ingénieure en prévention des risques.

Comme un salarié français sur deux, la boss de cette dernière éprouve un niveau élevé de stress au quotidien, à commencer au travail. Un ressenti qui n’est pas forcément inhérent à leurs missions et responsabilités : 48 % d’entre eux se déclarent satisfaits de leur charge de travail, quand seulement 23 % la jugent trop excessive.

Si la situation est souvent inconfortable pour les principaux intéressés, leur entourage pro, lui aussi, en subit les conséquences. En tant que victime collatérale, existe-t-il des bonnes pratiques permettant de ramener un peu de zénitude au bureau ?

Maîtriser son stress, et celui des autres ?

Bosser sous stress

Forcément, travailler aux côtés du stress en personne n’est pas tâche aisée, et cet état physiologique peut se répercuter sur les missions autant que sur l’ambiance de travail. « L’une de nos capacités les plus importantes est de discriminer les choses, de savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Or, une personne stressée ne parvient plus à prioriser, elle trouve tout important et rentre dans une pensée binaire : si ce n’est pas parfait, alors c’est nul », décrypte le psychologue du travail et docteur en neurosciences Albert Moukheiber. Dans un tel contexte, le plaisir à effectuer une tâche est effacé au profit du stress, tandis que celui d’avoir achevé la tâche est à son tour grignoté par la catastrophisation de votre collègue qui envisage déjà le pire se profiler.

Arnaud, qui évolue dans la recherche scientifique, lie surtout son stress à la responsabilité de son métier, mais aussi à l’injonction à la performance dans laquelle il baigne. « On nous dit d’être monotâche pour être productif, mais je n’y arrive pas. Je me sens débordé, alors je commence à faire plein de choses à la fois que je n’arrive pas à finir. C’est le serpent qui se mord la queue », confie-t-il. Et une fois le boulot fini, son stress reste : « Je me demande si j’ai bien fait mon boulot, si je suis assez bon, j’en rêve la nuit, je ne dors pas bien… Ma qualité de vie en prend un coup aussi. »

La mécanique des vases communicants

Sophie, pour sa part, a appris à reconnaître les signes du stress de sa boss, prise en étau entre rapidité et urgence permanente. « Il faut connaître les personnes au préalable pour pouvoir repérer leur stress, mais cela peut déjà se voir au fait d’être “tendu” physiquement. C’est aussi être dans la catastrophisation, soit la tendance à imaginer les pires scénarios, l’hypervigilance, l’urgence même quand ça n’a pas lieu d’être… », explicite Albert Moukheiber, docteur en neurosciences. Des symptômes plus compliqués à identifier chez les autres que pour soi, sans compter que le stress se communique aisément : « Le stress est initialement un signal de danger physique. Donc voir une personne stressée peut être synonyme d’une attaque imminente : en réaction, je stresse aussi par anticipation », explique Albert Moukheiber.

Encore une fois, l’ingénieure en prévention des risques connaît bien cette réaction en chaîne : en parallèle d’avoir sa boss sur le dos H24, elle sait aussi que sa N+1 pense au boulot même le week-end. « J’ai l’impression d’être égoïste à ne pas surveiller mon téléphone pro le week-end, en plus du fait qu’elle fait tout plus vite que moi et bouffe mes missions. C’est très dur à gérer et je pense que mon propre stress est en partie dû au sien », avoue-t-elle. Depuis quelques mois, la Grenobloise se sent en effet très stressée au boulot : elle n’arrive pas à décrocher le soir venu, dort mal, se sent fatiguée et a même découvert les joies de l’eczéma. Alors, comment gérer ce collègue toujours survolté qui respire l’état d’urgence ?

5 conseils pour la jouer zen avec un collègue hyper-stressé

Le docteur en neurosciences Albert Moukheiber et la philosophe du travail Marie Robert nous livrent leurs conseils pour aborder la situation sereinement… et en ressortir tout aussi zen.

Conseil n°1 : éliminez les agents stressants

Avant de balancer à votre collègue son stress en plein visage, repérez les manifestations du stress : catastrophisation, pensée binaire, urgence permanente… Dans votre phase d’analyse, balayez du regard votre environnement de travail, puisqu’il pourrait participer à alimenter ce stress. « Préférez un éclairage plus doux, évitez de passer vos coups de fil devant la personne, limitez les sonneries de téléphone… Le stress est une réaction normale et des va-et-vient continus ou un téléphone qui sonne toute la journée peuvent constituer des agents stressants », alerte Marie Robert.

Conseil n°2 : misez sur le corps

« Le stress est une réaction physiologique avant d’être psychologique, et il est difficile d’être stressé psychologiquement si le corps est calme », expose quant à lui Albert Moukheiber. Le corps peut donc constituer un premier terrain d’attaque pour diminuer le stress, afin d’éviter une discordance entre un esprit calme et un corps agité – puisque ce duo est de toute façon bancal. Pour vous détendre et au passage, tenter de relaxer votre collègue survolté, pourquoi ne pas lui proposer d’aller faire un tour, de faire quelques étirements… Histoire de souffler un peu ensemble.

Conseil n°3 : réhabilitez l’incertitude

On a vite tendance à vouloir rassurer une personne stressée avec des paroles douces et encourageantes qui élimineraient tout danger. Sauf qu’imaginer la meilleure issue possible à une situation ne contrera pas forcément la pire issue qu’anticipe votre collègue. « Si une personne se dit qu’un projet va foirer, on peut rétablir l’incertitude et lui dire : “On jugera après”. On ne sait pas si le projet va foirer, comme on ne sait pas si ça va bien se passer : on n’en sait rien, on va faire de notre mieux et on verra. L’incertitude permet d’accepter les différentes issues et de procrastiner son stress », explique encore le docteur en neurosciences. Autrement dit, inutile de stresser deux fois pour un même événement, dont une première fois sur l’éventualité que quelque chose ait lieu.

Conseil n°4 : évitez de verser dans le paternalisme

« Entendre que l’on est stressé peut parfois être insupportable ou intrusif, ce qui peut s’avérer contre-productif. On ne sait jamais si ce stress est lié au travail ou à une situation personnelle », rappelle Marie Robert. Plutôt que de dire à votre collègue de se calmer – spoiler : ça ne fonctionnera pas –, optez plutôt pour un comportement sécurisant et proposez-lui votre aide. Préférez un discours tourné vers la protection, qui ne verse pas dans le paternalisme. « On est souvent seul face à ses problèmes en entreprise, et la compréhension, l’empathie et l’aide de différents collègues me permettent de mieux gérer certaines situations », relate Arnaud, qui rêve toujours de son travail la nuit… mais moins.

Conseil n°5 : soignez votre routine

Inévitablement, travailler avec une personne stressée peut se répercuter sur votre propre stress. Pourquoi ne pas intégrer cette idée et anticiper en prenant le temps de vous détendre. « On a longtemps écarté les émotions de l’environnement professionnel, mais il faut comprendre que les énergies positives comme négatives circulent, et tenter d’avoir un cadre opérant et relaxant pour soi » explicite Marie Robert. Vous pouvez ainsi intégrer certaines habitudes à votre routine journalière comme des pauses respiration, des balades à la lumière du jour entre midi et deux ou un bureau rangé. Quand cela s’impose, faites aussi le point avec vos propres émotions et si besoin, rapprochez-vous d’autres personnes pour conserver une zone tampon. « Les gens stressés me tendent, j’ai tendance à me fermer, à être moins agréable… Alors parfois, je limite les interactions avec ma cheffe quand je sens que j’en ai besoin », poursuit Sophie.

Le stress n’est pas une émotion facile à gérer, encore moins chez autrui. Malheureusement, c’est aussi une émotion très courante, dans le pro comme dans le perso. Mais grâce à ces quelques conseils – de la relaxation, un curseur d’anticipation ramené à l’incertitude, des zones de calme à soi – vous assisterez peut-être bien à la reconversion votre collègue extra-stressé en prof de yoga.

Article rédigé par Pauline Allione et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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