Les « judas » : ils ont décidé d’aller travailler chez un concurrent et racontent

« J’ai commencé à postuler secrètement dans d’autres cliniques », Séverine, 35 ans, vétérinaire

Je suis vétérinaire en collaboration libérale (membre non salarié d’une profession libérale, ndlr) et à ce moment-là, je travaillais pour une clinique appartenant à un groupe de plusieurs cliniques. J’étais en binôme avec un autre vétérinaire depuis sept mois, mais ça se passait mal. Je le trouvais égocentrique. De plus, il me laissait régulièrement en plan en fin de journée pour aller à son cours de yoga et sans m’en parler, il me laissait gérer les tâches ingrates, ses corvées administratives en retard et m’obligeait à assurer des consultations supplémentaires. J’ai tenté d’avoir une discussion avec lui. Rien n’a changé. J’ai donc décidé d’en référer au patron du groupe, son supérieur.

Ce dernier est un businessman connu pour être très imbu de sa personne, près de ses sous et manipulateur. Pour autant, je ne m’attendais pas à ce qui allait suivre. Je lui ai tout expliqué en essayant de rester factuelle et j’en ai profité pour lui parler de mes heures supplémentaires non payées. Il m’a annoncé qu’il ne pouvait rien faire concernant mon collègue et qu’il ne me paierait pas mes heures dues. Il faut savoir qu’en libéral les contrats sont moins réglos que lorsqu’on est salarié et cet homme m’avait fait signer un contrat de travail bancal. Il était impossible de me retourner contre lui.

J’ai commencé à postuler secrètement dans d’autres cliniques jusqu’à en trouver une qui me proposait un meilleur salaire (7% de plus). J’ai d’abord annoncé ma démission à mon binôme que je côtoyais tous les jours, en lui expliquant que comme nous n’arrivions pas à régler nos différends, j’avais trouvé un meilleur poste ailleurs. Je lui ai remis ma lettre de démission qu’il a par la suite transmise au patron du groupe.

Dès qu’il en a été informé, il m’a appelée et m’a hurlé dessus. Il estimait que ma façon de démissionner était « incorrecte », « puérile » et « procédurière ». Que cela ne se faisait pas d’arriver et de « balancer une lettre de démission comme une connasse ». Selon lui, j’aurais dû lui parler de mon intention de partir, insinuant qu’il aurait essayé de me retenir. Il s’est ensuite indigné en haussant le ton que je demande une réduction de mon délai de préavis. « J’avais l’intention de te proposer de t’associer avec nous », a-t-il argumenté, ce qui était faux et seulement destiné à me faire culpabiliser. Avant de poursuivre : « Tu nous mets dans la merde. » J’ai fondu en larmes au téléphone.

Suite à cet échange, j’ai géré la fin de notre collaboration avec la DRH à qui il avait dit qu’il ne voulait plus entendre parler de moi (pas très malin de me le répéter…) J’ai perdu beaucoup d’argent en partant, car mon contrat étant bancal, plusieurs jours de travail ne m’ont pas été réglés. Par la suite, j’ai appris que promettre des avantages salariaux, ne pas les intégrer au contrat et faire semblant de ne pas s’en souvenir, était une technique de manipulation récurrente dans ce groupe. Cet homme est vraiment manipulateur et je suis tombée dans le panneau.

Il aurait ensuite dit à son équipe qu’il allait « me griller dans le métier ». Je ne suis pas inquiète, car quand j’en ai parlé à quelques vétérinaires du département, ils m’ont tous donné un avis très négatif sur cette personne et son groupe. Je ne pensais pas qu’il avait une si mauvaise réputation.

Finalement, ça ne l’a pas fait non plus dans la nouvelle clinique, mais j’en ai trouvé une autre qui me correspond parfaitement et qui m’a offert une autre augmentation de salaire ! Je gagne maintenant 12% de plus que dans la première, j’ai un contrat réglo et je travaille avec des personnes bienveillantes.

« J’ai vu passer une offre d’emploi de l’un de nos concurrents directs… », Marion, 27 ans, Acheteuse Transport

J’étais acheteuse transport depuis environ cinq ans au sein du Groupe La Poste. À mon âge, autant de temps dans une même société, c’est beaucoup. Cela faisait un moment que j’avais envie de découvrir autre chose et que j’avais l’impression de stagner à mon poste. Puis, il y a eu une évolution en interne. Alors qu’initialement nous étions deux pour couvrir mon département, suite au départ de mon binôme, on m’a proposé de reprendre seule le périmètre avec l’aide d’une assistante. Une évolution importante.

Ma direction m’a toujours soutenue et a toujours été reconnaissante pour le travail accompli. Mes responsables ont toujours joué le jeu en termes de salaire et de missions/responsabilités. Je n’avais rien à leur reprocher de ce côté-là. Seulement, je maîtrise plusieurs langues étrangères et n’avais pas l’occasion de mettre ces compétences à profit, mon secteur se limitant au nord-est de la France.

C’est à ce moment-là que je vois passer une offre d’emploi de Mondial Relay, l’un de nos concurrents directs. Je comprends que ce sont les mêmes missions, mais en mieux ! Cette fois, le périmètre s’étend à toute l’Europe, donc ils cherchent quelqu’un qui parle couramment anglais, toutes autres langues étrangères étant fortement appréciées. C’est le job de mes rêves ! J’hésite un peu avant de postuler car j’ai un bon équilibre vie pro/vie perso dans mon entreprise actuelle, mes missions me plaisent et ça se passe très bien avec mon assistante. Mes résultats sont bons et ma hiérarchie ne manque pas de me féliciter.

Un peu coupable, je finis par postuler pour me challenger en me disant que ça ne m’engage à rien. Très vite, je passe un premier entretien, puis un deuxième et un troisième. On me fait rapidement comprendre que ça colle bien. Je le sens aussi. Je suis totalement séduite par le poste et l’entreprise. La situation est assez délicate car je sens que le moment de faire un choix se rapproche.

Le jour où l’on m’annonce que ma candidature a été retenue pour le poste arrive. J’accepte sur-le-champ car c’est vraiment ce que je voulais. Problème, je dois l’annoncer à ma hiérarchie et ne pas traîner, car j’ai trois mois de préavis et Mondial Relay a besoin de moi au plus vite. Je prends mon courage à deux mains et programme un point avec mon responsable pour lui annoncer la nouvelle.

Honnêtement, je ne savais pas à quelle réaction m’attendre. On s’entendait très bien, mais le fait que je sois désormais la seule acheteuse sur le périmètre et que l’arrivée de mon assistante soit encore toute fraîche pouvaient les embêter. Finalement, la nouvelle a été très bien accueillie ! Il était heureux pour moi, il m’a félicitée et m’a même proposé de « fêter ça ». Il était conscient que c’était une belle opportunité pour ma carrière et que la partie internationale me manquait. J’ai reçu beaucoup de mails bienveillants et encourageants. On m’a fait comprendre que la société était triste de me voir partir et que « Mondial Relay avait de la chance de m’avoir ».

J’étais très touchée par la façon dont les événements se sont déroulés car c’était une étape importante dans ma vie. Le fait que ma direction me soutienne dans ce projet m’a aidée à préparer la suite avec légèreté. Cette réaction bienveillante a eu un impact positif sur moi. C’était très important pour moi de ne pas partir fâchée et finir en mauvais termes. Mes responsables m’ont dit que les portes me seront toujours ouvertes et qu’ils n’hésiteraient pas à me solliciter pour participer aux conventions et autres évènements à venir dans notre secteur d’activité. Y-a-t-il une plus belle façon de quitter son poste pour la concurrence ?

En outre, postuler chez la concurrence peut susciter du stress et de la culpabilité, mais s’avère souvent bénéfique. Car si votre hiérarchie réagit mal à la nouvelle, elle ne fera que vous conforter dans l’idée qu’il est temps de quitter le navire et d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Et si au contraire vos supérieurs se montrent bienveillants et encourageants, vous aurez l’opportunité de donner un nouvel élan à votre carrière en toute sérénité.

« J’ai eu une ouverture avec une entreprise concurrente dans le même secteur », Cyril, 28 ans, Technico Commercial dans l’électroménager

À cette époque, je travaillais dans une jeune agence qui n’allait pas très bien, puisque nous n’avions plus de clients. Un jour, mon boss m’a conseillé de partir estimant qu’il ne pourrait plus me payer d’ici trois mois. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai donc cherché un nouveau job tout en essayant de trouver de nouveaux clients pour éviter que la boîte ne s’écroule. Après avoir enchaîné, une dizaine d’entretiens d’embauche, j’ai eu une ouverture avec un concurrent. Je savais qu’il y avait des avantages à travailler pour eux. C’était le même secteur d’activité, donc je pouvais être opérationnel tout de suite. Pour autant, je me suis laissé un peu de temps pour considérer toutes mes options.

Je touche un mot à propos de cette opportunité à mon manager un mois avant la fin de mon préavis, mais il ne réagit pas. Il en avait une vision négative et ne pensait pas que leur façon de travailler pouvait me correspondre. Un peu avant la fin de mon préavis, je lui annonce que j’ai choisi de rejoindre cette entreprise.

Surpis, mais ne voulant pas passer pour un incompétent face à ses concurrents, il me fait des contre propositions. Puis, il se montre hyper arrangeant avec tous les détails liés à mon départ et m’organise un pot de départ. Il était hyper cool, c’était louche. Une semaine avant mon départ, il me glisse qu’il aimerait que je signe une clause de confidentialité. Sur le moment, je ne réalise pas et lui réponds quelque chose comme « ok, pourquoi pas… » Sauf qu’une clause de confidentialité se signe généralement au début du contrat où à l’occasion d’une rupture conventionnelle. Dans mon cas, mon départ était déjà acté, le délai de rétractation était passé et il était seulement temps de me payer.

Je reçois quand même des documents avec une note me demandant de signer cette clause, afin de percevoir mon paiement de mon solde tout compte. Je la lis et me rends compte que si je le fais, je ne pourrais pas avoir les mains libres pour travailler pendant deux ans. Je ne devais pas dévoiler sa stratégie sous peine d’être traîné en justice et de lui payer des dommages et intérêts.

En fait, je me suis rendu compte que si je la signais, je ne pourrais tout simplement pas faire mon nouveau job ! Il me mettait un peu la pression pour que je signe car il savait que je connaissais tous ces process. Il m’a appelé plusieurs fois et m’a envoyé des mails pour me dire que je pouvais faire couler sa boîte. Mais la loi était de mon côté, je n’avais pas à signer cette clause. Je lui ai répondu que je ne signerais pas et qu’il devait me payer. Il a fait traîner les choses mais a fini par le faire.

Aujourd’hui, je suis super heureux dans ce nouveau job. Je me suis plus éclaté dans cette nouvelle boîte en quinze jours, qu’en six mois dans l’ancienne. La culture d’entreprise et les avantages y sont plus intéressants et stimulants. J’ai des primes, alors que là où j’étais avant, on me disait que je coûtais cher. Je n’ai pas gardé de contact avec mon ex patron, mais peut-être qu’avec cette histoire, il fera les choses autrement la prochaine fois !

Article édité par Romane Ganneval ; Photo de Thomas Decamps