Comment travailler avec un collègue qui a une personnalité dominante ?
31 oct. 2019
7min
Psychologue du travail et psychologue clinicienne
Nous sommes tous différents. Ce sont ces différences qui font la richesse du travail en équipe. Mais cette richesse peut être mise à rude épreuve lorsqu’il s’agit de composer avec des personnalités dites “difficiles”, avec qui il est souvent complexe de collaborer.
Ces différents types de personnalité nuisent souvent à leur environnement professionnel et rendent le vivre-ensemble particulièrement pénible. C’est notamment le cas d’une personnalité dite “dominante”. À la lecture de ce mot, vous avez sûrement déjà en tête un ou une collègue qui, (trop) souvent, coupe la parole, impose violemment son point de vue et rabaisse ses interlocuteurs.
Petit tour d’horizon donc de ce qui caractérise la personnalité dite “dominante” et conseils pour mieux collaborer avec celle-ci.
Dominance ou soumission : la loi de la jungle au bureau ?
Notre personnalité est une combinaison unique de traits de caractère : chacun d’entre nous est plus ou moins extraverti, organisé, optimiste, etc.
Mais on a aussi plus ou moins tendance à dominer les autres ou à se soumettre. C’est d’ailleurs ce qui détermine notre capacité à nous intégrer et à nous comporter au sein d’un groupe. On appelle ça le positionnement grégaire. Il est notamment défini par notre structure cérébrale et serait particulièrement lié à notre amygdale, la zone de notre cerveau qui régit nos réactions face à la peur ou à la menace.
On peut donc être plus ou moins dominant ou soumis mais il existe aussi une position dite “neutre” qui n’est ni dominante, ni soumise. Elle permet à l’individu de s’adapter en fonction du positionnement grégaire auquel il est confronté. Ce dernier adoptera ainsi un positionnement plus dominant face à des individus plus soumis que lui, ou plus soumis face à des individus plus dominants.
Les rapports de domination et de soumission façonnent la structure des différents groupes sociaux, notamment en entreprise, révélant ainsi une part primitive des comportements humains, hérités des groupes sociaux que formaient nos ancêtres. Ce serait, en effet, notre cerveau le plus archaïque, appelé “cerveau reptilien”, qui contrôlerait notre positionnement social dans un groupe et serait notamment responsable de la “peur sociale”, une peur intense déclenchée par le regard d’autrui en partie régie par notre amygdale.
D’après les études issues notamment de l’éthologie, de la psychologie sociale mais aussi de la neuropsychologie, telles que la célèbre étude de Stanley Milgram (1963) permettant d’étudier la soumission à l’autorité, ces rapports entre personnalités “dominantes” et personnalités “soumises”, permettraient de préserver la structure sociale d’un groupe. En effet, un groupe social où chacun a une position définie - plus ou moins dominante ou soumise - fonctionne plus facilement qu’un groupe où chacun revendique une place de leader ou de suiveur. Par exemple, si en entreprise tous les membres d’une équipe revendiquaient une place de leader, chacun mettrait en avant son point de vue comme étant le plus pertinent, entraînant une certaine agressivité des autres membres du groupe et compromettant la progression du projet. De la même façon, si tous les membres d’une équipe adoptaient une position de soumission, personne ne serait force de décision. L’inertie de groupe serait alors trop importante et le projet aurait du mal à aboutir.
Caractéristiques de la personnalité dominante
Un comportement de domination se manifeste aussi bien par la communication verbale (parole), para-verbale (intonation de la voix) que non verbale (positionnement du corps dans l’espace et mimiques du visage). Ainsi, le dominant s’exprime souvent par affirmation et a tendance à donner des ordres et des directives. Sa voix est assurée et il n’hésite pas à élever celle-ci si cela peut lui permettre de prendre l’ascendant sur son interlocuteur. Son positionnement dans l’espace est lui aussi très affirmé, laissant croire que l’espace lui appartient.
La personnalité dominante a également tendance à imposer son point de vue, qu’elle considère comme étant le plus pertinent. En conséquence, elle ne supporte pas la critique et tend à user de techniques de séduction pour avoir l’adhésion du groupe à sa vision ou de procédés d’intimidation tels que : les menaces, la culpabilisation, les mouvements d’humeur plus ou moins importants ou l’humiliation.
Par exemple : votre patron vous demande de terminer “ce dossier vraiment urgent” vendredi à 18h alors que vous aviez d’autres projets pour votre fin de semaine… Mais il ne le vous demande pas, il l’exige et vous sentez bien que tout refus pourrait déclencher un mouvement de colère chez lui (cris, sortie de salle, voire porte qui claque ou dossier qui vole à travers la pièce) car c’est son habitude dès qu’il perçoit de la résistance chez l’autre.
Ainsi, ses interlocuteurs n’osent généralement pas froisser une personnalité dominante, ils marchent sur des œufs quand ils doivent la confronter et peuvent avoir peur de déclencher sa colère.
Mais comment réagir face à des collègues ou des managers dominants ?
Lorsqu’un dominant rencontre un soumis, le comportement de ce dernier (tendance à s’auto-culpabiliser, effacement, grande attention portée à autrui au détriment de soi) va renforcer le comportement du dominant, provoquant un cercle vicieux dans les échanges entre ces deux individus, chacun renforçant le comportement de l’autre. Ainsi, pour reprendre notre exemple cité plus haut, lorsque votre patron exige le vendredi à 18h que vous terminiez ce dossier urgent, quitte à y passer votre week-end, si vous avez une tendance à la soumission (de façon excessive). Vous prendrez alors l’entière responsabilité si ce dossier n’est pas encore traité (on parle ici d’auto-culpabilisation) et lorsque des collègues voudront vous aider, vous refuserez, supposant qu’ils ont forcément mieux à faire de leur week-end (il s’agit là d’une attention portée à autrui au détriment de soi).
Les personnalités dominantes sont de véritables nuisances pour le travail d’équipe car elles ont une grande difficulté à écouter les discours divergents de leur propres opinions, leur mouvement d’humeur rend la communication très difficile et le moral au sein de l’équipe peut rapidement chuter. La personnalité dominante a tendance à percevoir l’autre comme une menace potentielle et, de ce fait, se met dans une position de dominance à l’autre pour se prémunir contre toute agression. Ils ont tendance à voir le positionnement social des individus de façon manichéenne : entre les forts et les faibles. Il prend alors un positionnement de dominant pour se définir comme “fort” plus ou moins consciemment.
Mais ce n’est pas peine perdue pour autant, voici quelques pistes pour apprendre à être en interaction avec une personnalité dite “dominante” sans forcément rentrer dans ce cercle infernal.
Ne pas rentrer dans l’émotionnel, rester factuel : il est important de ne pas se laisser déborder par l’émotion lorsqu’on échange avec une personne dite “dominante” car cela lui laisse l’opportunité d’user et d’abuser de comportements d’humiliation ou de séduction. Il faut donc maîtriser le message que l’on lui donne (prendre le temps de poser sa voix et de préparer son discours) en restant le plus factuel et le plus neutre possible. Il peut être intéressant alors de préparer par écrit et en amont les points importants que l’on souhaite transmettre. Rester le plus factuel possible va également passer par votre langage non verbal : il s’agit d’essayer au maximum de fixer la personne dans les yeux et d’adopter une expression de visage neutre (bon à savoir : tout sourire ou mouvement de menton vers l’avant pourrait être interprété comme une position de défi). Si le ton de la conversation commence à s’échauffer, une astuce consiste à garder un visage neutre en pensant à autre chose… Tout peut y passer : votre liste de course, votre programme du week-end ou pourquoi pas le bon petit plat que vous allez vous cuisiner ce soir !
Se montrer assertif et ferme : l’assertivité est la capacité à s’affirmer dans le respect des autres et de soi. Ici, elle peut se caractériser par un positionnement neutre, à savoir ni dominant ni soumis, mais aussi par une certaine fermeté dans le ton ou dans le message. Si l’individu dominant hausse le ton pour vous intimider, vous pouvez utiliser la technique du disque rayé qui consiste à répéter votre message, de manière factuelle et en gardant un ton de voix ferme et neutre. Par exemple, lorsque vous allez pour poser vos congés pour les fêtes de fin d’année, vous présentez vos jours sans vous justifier, en posant votre voix et si on vous demande comme les quatre dernières années de faire des concessions, vous pouvez répéter calmement « je ne pourrais pas me libérer à cette période. »
Rappeler le cadre, la règle : le rappel du cadre légal, du règlement ou de la loi permet souvent de recadrer le discours du dominant. Ainsi, on peut lui rappeler que « la règle concernant les heures supplémentaires stipule que… »
Demander des traces écrites : passer par l’écrit permet de garder une trace de vos échanges et vous permet de relayer le message si celui-ci vous paraît inadapté. L’intervention d’un tiers peut être alors bénéfique pour recadrer un comportement de dominance trop important. Ainsi, pour toute demande qui vous paraît délicate, il ne faut pas hésiter à la faire par mail et si l’on vous donne une réponse entre deux portes, demandez qu’on vous la signifie également par écrit.
Ne pas se justifier ou s’excuser : lorsque l’on s’adresse à un individu plus dominant que soi, au-delà d’utiliser le factuel et la neutralité, il est important de ne pas se dénigrer devant lui, ni se justifier. Ainsi, il n’est pas utile de recourir à des « je suis désolé mais … » ou « je ne pourrais pas car j’ai… » Donc lorsque vous délivrez un message, par exemple que vous ne pourrez pas assister à la prochaine réunion car vous êtes en déplacement ce jour-là, ne vous excusez pas de votre absence ou ne vous justifiez pas, mais dites juste que vous ne pourrez vous libérer pour cette réunion et proposez une date qui vous convient mieux. Et si vous avez tendance à vous auto-dénigrer, faites également attention aux formules du type : « je suis trop bête » ou « je me suis encore trompé. »
Le comportement de dominance ou de soumission est un comportement humain tout à fait normal qui régule les interactions au sein des différents groupes sociaux. Cependant, lorsqu’un individu abuse de son “statut” et démontre un comportement de dominance exacerbée, collaborer avec lui peut s’avérer rapidement très difficile. Rappelons que, bien que ces comportements aient des origines neurobiologiques, il est possible à travers une prise en charge psychothérapeutique adaptée, de travailler à l’assouplissement de nos modes de fonctionnement rigides, qu’ils soient plutôt dominants ou plutôt soumis.
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Photo d’illustration by WTTJ
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