USA : gagner sa vie en réparant les dégâts des catastrophes naturelles
19 janv. 2022
5min
Conceptrice-rédactrice basée à San Francisco
Aux USA ces dernières années, les catastrophes naturelles se sont multipliées : des canicules sans précédents au Nord-Ouest du pays, des tornades ravageuses au Midwest, des ouragans dévastateurs originaires du Golfe du Mexique… Avec tous ces désastres, un nombre grandissant de travailleurs·ses sont déployé·e·s à travers le pays pour effectuer des travaux de reconstruction. Une grande partie de ces individus qui prêtent leur main-d’œuvre sont souvent confrontés à l’exploitation, aux blessures et même à la mort. Et malgré les difficultés, ils sont prêts à subir des conditions de travail insalubres pour se forger un meilleur avenir économique pour eux-mêmes, leur famille et leur communauté. Témoignages.
« Le travail est dur, mais je suis fière de moi quand je rends une famille heureuse en reconstruisant leur maison endommagée »
Mariano Alvarado, “chasseur de tempêtes”, 44 ans
Mariano est originaire du Honduras où il était pêcheur, mais une grave sécheresse provoquée par le réchauffement climatique lui ôte son métier. « J’ai donc décidé de venir aux Etats-Unis pour fuir la pauvreté de mon pays. C’est triste, mais c’était le seul moyen de subvenir aux besoins de ma famille. » Ironiquement, c’est maintenant grâce à ces catastrophes naturelles que Mariano touche un revenu : il s’est fait embaucher par une société de reconstruction qui intervient suite aux catastrophes naturelles dans chaque recoin du pays. Et ce, même si la reconstruction des infrastructures endommagées s’avère être très dangereuse, voire précaire. « Il y a quelques années, lors d’une tempête de pluie j’ai dû travailler sur la réhabilitation d’un toit d’une maison endommagée et l’entreprise de réparation ne m’a pas fourni de harnais de sécurité. J’ai glissé de ce toit et je suis tombé sur le ciment de l’allée. L’entreprise n’a pris aucune responsabilité pour cet accident de travail. J’ai été amené à l’hôpital et je suis tombé dans le coma. Je n’avais pas d’assurance maladie, donc je me suis retrouvé avec une énorme facture médicale quelque temps plus tard. »
Ce genre de situation est très commun dans le secteur de Mariano, et des travailleurs comme lui ne peuvent pas dénoncer leur employeur car ce dernier peut utiliser leurs statuts de sans papier contre eux en menaçant d’appeler les policiers de ICE (U.S. Immigration and Customs Enforcement), qui peuvent les déporter du pays. À ce jour, Mariano vit toujours avec les symptômes de son accident. Il a perdu une partie de sa vision et a constamment des maux de tête, mais pourtant il poursuit quand même avec ces travaux. « Je dois continuer à avancer, même avec tous ces problèmes car j’ai ma famille, mes enfants à nourrir, je dois donc combattre ma douleur. Et puis, le travail est dur, mais je suis fière de moi quand je rends une famille heureuse en reconstruisant leur maison endommagée. »
« On ne fait pas le poids face à la fureur de la nature, mais c’est aussi pour ça que le ‘Resilience Corps’ a été créé »
Tonya Freeman-Brown, membre du ‘Resilience Corps’ de la Nouvelle-Orléans, 53 ans
Lancé en octobre 2020 en Nouvelle-Orléans par l’association Resilience Force, le Resilience Corps mobilise des travailleurs qui aident à redresser la ville suite aux catastrophes naturelles. L’organisation compte 40 travailleurs, principalement des personnes ayant perdu leur emploi pendant la pandémie. Resilience Corps leur propose des formations pour se reconvertir dans les métiers de construction et de community building. Parmi eux, on y trouve Tonya Freeman-Brown qui a commencé à travailler là-bas après avoir perdu son emploi de massothérapeute. À temps plein, elle peut maintenant gagner jusqu’à 18 dollars de l’heure pour assister ceux qui ont subi des dégâts dans leur maison.
Lorsque l’ouragan Ida frappe la Nouvelle-Orléans en septembre 2021, les vents violents de 240 km/h ont laissé d’énormes dégâts : « On ne fait pas le poids face à la fureur de la nature, mais c’est aussi pour ça que le Resilience Corps à été créé. L’objectif de notre organisation est d’aider les habitants les plus vulnérables de la Nouvelle-Orléans à rebondir face à une telle catastrophe. » Une fois l’ouragan passé, Tonya et ses collègues ont fait le tour des quartiers pour distribuer de quoi manger et boire au voisinage et pour s’assurer que les gens allaient bien. Lorsque l’électricité a été rétablie dans la ville plusieurs semaines après, elle et son équipe ont pu entamer des travaux de reconstruction sur des maisons endommagées et aider ceux qui faisaient des demandes d’indemnisation auprès de leur assurance d’habitation.
« J’étais constamment loin de ma fille, si seulement j’avais pu trouver un autre gagne-pain plus tôt »
Bellaliz Gonzalez, ancienne travailleuse dans le domaine de réparation après sinistre, 54 ans
Au Vénézuela, Bellaliz était ingénieure en environnement et gérait plusieurs parcs nationaux du pays. À la fin des années 2010, elle a fait une demande d’asile auprès des Etats-Unis et s’est tournée vers le travail manuel pour gagner sa vie. Depuis un peu plus de trois ans, elle a réparé des dégâts infligés par des ouragans, des incendies, des inondations et des tornades dans les universités, les usines, les aéroports etc. à travers plus de sept états américains. Un travail qui lui permettait de se sentir “utile”, et de découvrir le pays.
Mais en 2020, en pleine crise Covid, Bellaliz a dû se rendre dans une région du Michigan dévastée par des inondations, et là c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : « On était plusieurs ce jour-là pour restaurer l’hôpital local qui avait fait appel à nos services, mais il n’ y avait aucun protocole sanitaire contre le covid-19 mis en place. Nos superviseurs ne nous ont même pas donné de masques ! Nous avons été traités comme des animaux, ils ne se souciaient pas de notre santé et de nos vies, ils s’en foutaient complètement qu’on était en plein milieu d’une pandémie. Résultat : beaucoup de mes collègues ont attrapé le covid. Je suis tombée malade avec une fièvre, mais finalement j’étais négative. »
Depuis, la Vénézuélienne s’est associée avec Resilience Force, une association nationale qui mobilise et défend les intérêts des travailleurs comme elle. « Ces travaux de reconstruction n’auraient pas lieu sans la présence d’immigrés comme nous dans ce pays. Nous risquons davantage nos vies, mais pourtant on est les moins bien payés, voire pas payés du tout dans certains cas abusifs. Nos employeurs ne nous respectent pas. Ce travail est difficile… j’étais constamment loin de ma fille, si seulement j’avais pu trouver un autre gagne-pain plus tôt. » Aujourd’hui loin de ce milieu, elle effectue un contrat temporaire dans l’industrie pharmaceutique en Floride.
« Ce travail est tellement gratifiant pour moi, ça surpasse mes anciennes ambitions d’acteur »
Claudio Venancio, membre du ‘Resilience Corps’ de la Nouvelle-Orléans, 33 ans
Claudio a rejoint le Resilience Corps de la Nouvelle-Orléans en octobre 2020 après avoir perdu son job d’acteur en raison de la pandémie. Depuis, il a été promu en tant que superviseur d’équipe en août 2021 et souhaite en faire sa carrière pour une bonne partie de sa vie : « Ce travail est tellement gratifiant pour moi, ça surpasse mes anciennes ambitions d’acteur. Ce qui rend le Resilience Corps si spécial c’est qu’on est toujours sur le terrain, on est bien intégré auprès de cette communauté locale, du coup on peut aider plus facilement et au maximum les résidents de la Nouvelle-Orléans. Si quelque chose ne va pas, on peut y remédier directement. » En plus de s’assurer avec son équipe que les habitations des citadins soient bien reconstruites et salubres suite aux dégats issus des catastrophes naturelles, Claudio aide les habitants latinos sans papiers de la ville à reconnaître leurs droits et leur possibilité d’accéder aux aides de dédommagement.
En septembre 2021, le Washington Post a analysé qu’un tiers des américains ont subi une catastrophe naturelle dans leur comté. En août 2021, l’Organisation Météorologique Mondiale a publié un rapport indiquant que les catastrophes liées aux conditions climatiques ont été multipliées par cinq au cours des 50 dernières années et que les pertes économiques qu’elles engendrent ont été multipliées par sept. Claudio affirme que la charge de travail chez Resilience Corps ne cesse d’augmenter car chaque année il y a des catastrophes naturelles mais : « Nous sommes extrêmement engagés auprès de notre communauté et nous tenons à redresser notre ville, donc nous sommes prêts à tout pour assurer la sécurité des gens d’ici à long terme. »
Article édité par Clémence Lesacq ; Crédit photo : Unsplash
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