Démission d'un salarié : nos conseils pour avaler la pilule et en tirer parti !

Publié dans Humans at work

16 mai 2022

5min

Démission d'un salarié : nos conseils pour avaler la pilule et en tirer parti !
auteur.e
Bénédicte Tilloy

DRH, ex-DG de SNCF Transilien, conférencière, professeure à Science-Po, autrice, cofondatrice de 10h32

HUMANS AT WORK - La carrière d’un DRH ou/et d’un dirigeant est jalonnée d’histoires et de rencontres avec des collaborateurs. Notre experte du Lab Bénédicte Tilloy en sait quelque chose. Au cours de sa carrière, elle a recruté, managé et collaboré avec quelques milliers de salariés dans des écosystèmes divers et variés. Dans cette série, elle revient sur les rencontres les plus marquantes de sa vie pro, ce qu’elles lui ont appris sur elle, les autres et le monde de l’entreprise. Aujourd’hui, elle vous adresse ce message : non, les démissions de vos salariés ne doivent pas forcément être vécues comme des trahisons ou des abandons.

Je l’avais trouvé bizarrele jour du Secret Santa, ce moment un peu kitsch dans la vie des entreprises, quand on s’échange des cadeaux de Noël sous le sapin, près de la machine à café. J’avais d’abord pensé que mon mug à message ne lui plaisait pas. Je comprendrais ensuite que c’était plus grave, quand il me prendrait à part pour m’annoncer son départ. Personne, ou presque, ne s’y attendait.

Quand on travaille bien avec quelqu’un, il ne nous traverse pas l’esprit qu’il puisse être tenté de nous laisser tomber. Et le jour où cela se produit, on le prend personnellement. D’ailleurs, un mot m’était venu ce soir-là : « trahison ». Jérémy était le ciment de l’équipe, un bon professionnel qui avait toujours le mot pour rire. La perspective de le voir s’envoler m’était d’autant plus insupportable que j’avais le sentiment d’avoir largement contribué au développement de sa carrière. Je l’ai battu froid pendant quelques jours avant de me faire à l’idée de sa démission. Mais j’ai mis du temps à lui pardonner…

L’histoire s’est reproduite il y a peu de temps dans la boîte que j’ai cofondée. Un jeune collègue a aussi choisi le moment de Noël pour nous faire savoir qu’il mettait les voiles. Passée la surprise, l’équipe s’est immédiatement réorganisée pour absorber ses tâches, et nous avons lancé le recrutement de son successeur. Personne ne lui en a voulu. Ne croyez pas, pour autant, qu’il n’était pas apprécié. C’est même l’inverse, et d’ailleurs, on continue tous à le voir.

Partir n’est pas trahir

Ces deux histoires ont presque vingt ans d’écart. À l’époque de la première, on envisageait tranquillement de faire toute sa carrière dans la même entreprise. Les départs étaient mal vus : un signe d’instabilité ou d’inadaptation, ou carrément d’infidélité. Quand un “ambitieux” partait pour trouver mieux, on était “déçu qu’il n’ait pas la reconnaissance du ventre”, et on pouvait se donner bonne conscience en coupant officiellement les ponts avec lui. On mesure aujourd’hui combien tout ceci était exagéré voire ridicule. Personne n’envisage plus de réaliser l’ensemble de son parcours professionnel au même endroit. C’est même un talent que de savoir passer d’une entreprise à l’autre pour multiplier les expériences et enrichir son CV, et surtout sa vie.

Et finalement, partir n’est pas trahir. Mon ancien président l’avait bien compris. Lui, qui, à la fin de son mandat, avait constitué officiellement un cercle des alumni du Comex de l’entreprise. Une fois par trimestre, il mettait les petits plats dans les grands dans les salons d’un grand hôtel, réunissant à la fois ceux qui l’avaient quitté à son corps défendant, mais aussi ceux qu’il avait fini par convaincre d’en prendre l’initiative. Une occasion pour lui de distiller quelques messages sur l’actualité de l’entreprise – sans doute pour éviter des interprétations qui auraient pu ne pas être à son avantage –, mais aussi pour garder le contact. À ses intentions tactiques s’ajoutait pour chacun de nous le plaisir de se retrouver. Je peux d’ailleurs attester qu’une fois les enjeux de pouvoir derrière nous, les quelques félons avec lesquels j’avais pu croiser le fer devenaient des camarades sympathiques, les plus redoutables à l’époque n’étant pas les moins amusants aujourd’hui. Comme dans les familles recomposées dans lesquelles on s’entend bien, la tribu des actuels et des ex cohabitait dans la bonne humeur et composaient une entreprise agrandie, prête à défendre les intérêts supérieurs auxquels chacun continuait à croire malgré ses nouvelles fidélités.

Et puisque j’ai pris l’initiative moi aussi de partir de cette entreprise, je peux témoigner à mon tour. La quitter ne m’a pas empêchée de continuer à l’aimer ; je l’aime presque davantage aujourd’hui, maintenant qu’il ne m’appartient plus de répondre de ses dysfonctionnements. Je me sens toujours solidaire des équipes avec lesquelles j’ai travaillé, d’autant plus que les avoir côtoyées dans des moments difficiles a renforcé notre confiance les uns envers les autres. Il arrive souvent qu’elles m’appellent pour un conseil, ce que je fais moi aussi. À nous tous, nous sommes une entreprise augmentée. La transmission ne s’est pas arrêtée avec le contrat de travail, elle se poursuit dans les liens que nous avons créés, elle se démultiplie dans le réseau que chacun de nous a construit et qui prolonge la confiance que nous avons les uns pour les autres.

La morale RH de l’histoire

Évidemment, pour que tout ceci soit possible, il faut qu’à la direction des ressources humaines, on y veille comme le lait sur le feu.

  • Inutile de se rouler par terre ou de faire sauter la banque pour retenir un collaborateur qui exprime l’envie de quitter l’entreprise : s’il part parce qu’il est malheureux, chercher à recoller les morceaux n’est pas efficace et ne permet pas à la personne de passer à autre chose. En revanche, il est indispensable de comprendre pourquoi et d’en tirer les enseignements, à la fois pour ceux qui restent et pour les nouveaux à recruter. Même chose s’il a trouvé mieux ailleurs, dans un contexte de marché de l’emploi tendu, cela vaut le coup de savoir ce que la concurrence a proposé pour l’attirer dans ses filets. Dans les deux cas, il s’est projeté autre part. Alors n’hésitez pas à organiser un entretien dédié à ces questions avec lui. Et s’il fait du chantage à la rémunération, c’est qu’il a déjà la tête ailleurs, laissez-le partir quand même !

  • Dans tous les cas, il faut soigner son départ. Tout doit être fait pour lui permettre de garder le meilleur souvenir possible de l’entreprise qu’il quitte, et pour faciliter la relation avec lui après. C’est dans l’intérêt de la boîte, mais aussi dans celui de l’équipe. Un collaborateur qui part doit pouvoir devenir un ambassadeur de la société qu’il a quittée. Il ne refait pas sa vie. Il la poursuit.

  • Continuer à l’inviter aux afterworks de l’entreprise : voire créer explicitement un club d’alumni pour entretenir la communauté de l’entreprise élargie, la faire animer par une nouvelle recrue et par un ancien ayant quitté l’entreprise pour favoriser la transmission. Cela donnera à tous le signal que les gens qui partent ne deviennent pas persona non grata, mais qu’on continue à investir sur eux.

Pour l’anecdote, j’ai été appelée cette semaine par une ancienne collègue à la recherche d’un bon profil pour un poste stratégique. Cela m’a amusée de lui suggérer une personne déjà présente en interne à laquelle elle n’avait pas pensé. À cette occasion, elle m’a appris le départ de quelqu’un d’important pour la structure. J’aurais bien aimé lui dire que c’est moi qui l’avais recruté. Le monde est petit, et les entreprises plus grandes qu’elles ne croient, si elles savent entretenir les liens qu’elles ont un jour tissés.

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Article édité par Ariane Picoche, photo par Thomas Decamps