Le bureau virtuel : retour vers le futur
03 juin 2021
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Beaucoup de managers voudraient ne plus entendre parler de télétravail, de réunions virtuelles et de collaboration à distance. L’heure serait aujourd’hui au « retour au bureau », à la convivialité retrouvée, aux afterworks, à la sérendipité créative de la machine à café, aux relations informelles et à toutes les joies du « présentiel ». Mais peut-on se permettre de se désintéresser du bureau virtuel ? Absolument pas ! Il est même plus important que jamais.
Comment manager des équipes dispersées ?
Conscient·e·s que la transition numérique, les changements culturels et les aspirations des salarié·e·s appellent à toujours plus de flexibilité au travail, les managers concèdent que le travail sera hybride. Ce terme ne veut pas dire la même chose pour tout le monde et fera l’objet de négociations entre des salarié·e·s qui voudraient plus de télétravail et des managers qui y sont moins favorables. Mais même les plus conservateur·rice·s d’entre eux/elles n’osent plus dire que l’on travaillera demain comme avant le début de la crise sanitaire. Ils/elles ont pris conscience que l’autonomie et la flexibilité au travail seront des arguments essentiels de la marque employeur de leur entreprise.
Dans un contexte où l’espace et le temps de travail seront toujours plus éclatés, où l’ensemble d’une équipe sera de plus en plus rarement présent dans un même espace physique au même moment, le bureau virtuel s’impose comme un dénominateur commun incontournable. Par défaut, le travail hybride repose forcément sur un espace virtuel où l’information est accessible et les échanges toujours possibles.
Le bureau virtuel : un concept déjà ancien
Dans son sens le plus large, le bureau virtuel fait référence à l’ensemble des services qui permettent de flexibiliser les espaces de travail, c’est-à-dire d’offrir aux entreprises des espaces et services (physiques et technologiques) sans qu’elles aient à faire les dépenses d’investissement liées à la possession ou à la location d’un bureau traditionnel. On en parle depuis les années 1960.
Cela recouvre donc deux concepts : d’une part, la location à la demande de bureaux physiques avec services (accueil, ménage, restauration) comme en offrent Regus, Spaces, Wework et de nombreux espaces de coworking ; d’autre part, des services numériques (stockage numérique, services de communication, outils de gestion de projet, bases de données) comme ceux sur lesquels Microsoft s’est imposé dans les années 1990, rejoint depuis par Google et bien d’autres.
Que l’on s’intéresse aux tendances de l’immobilier de bureau ou à celles des usages numériques au travail, force est de constater que le bureau virtuel est l’un des principaux moteurs de transformation depuis plusieurs décennies. Il offre plus de flexibilité aux salarié·e·s et indépendant·e·s qui peuvent travailler dans un tiers-lieu, à domicile ou en déplacement, grâce à des outils mobiles. Il permet une plus grande continuité du travail via un accès fiable à des commodités importantes (adresse permanente, conciergerie, boîte aux lettres, stockage de documents) quand l’organisation du travail est flexible et changeante.
En bref, le bureau virtuel renvoie aux deux tendances qui transforment le bureau traditionnel : l’éclatement des espaces physiques et la montée en puissance des outils numériques hébergés dans le cloud. Il nourrit deux secteurs en forte croissance, les bureaux physiques (et services associés) à la demande et les applications numériques qui permettent de travailler n’importe où. Bureau virtuel et bureau hybride pourraient presque être synonymes !
Un vecteur de lien social et d’inclusion
Ce n’est pas parce qu’on peut à nouveau travailler de temps à autre dans un même espace physique que l’on peut se permettre de mettre de côté les chantiers associés à la transition numérique du bureau. Les confinements auront eu ce mérite de faire gagner aux entreprises plusieurs années dans ces chantiers. On a trouvé des réponses aux questions concernant la sécurité informatique, les achats de licence, les usages, la culture d’entreprise, les processus de prise de décision, le bien-être et l’inclusion des salarié·e·s, qui ont permis aux équipes de collaborer à distance pendant la crise.
Or ces réponses rendent durablement plus efficace le travail hybride sous toutes ses formes. Quand on ne sait pas où sont les gens, souvent, on leur envoie un message électronique. C’était déjà une tendance forte pré-Covid : avec la banalisation de l’open space et la crainte de briser la concentration de ses collègues, on se replie toujours plus sur les e-mails et les applications numériques. Si les salarié·e·s n’ont plus forcément de place attitrée dans un bureau physique, alors la « place fixe » est numérique par défaut.
Le bureau virtuel n’empêche en rien les rencontres physiques et le développement des relations informelles. Au contraire, il les favorise ! Depuis des années, les études montrent que les interactions online soutiennent les relations offline, et vice versa. On interagit davantage sur les réseaux sociaux avec les personnes que l’on voit aussi physiquement. Au travail, les échanges électroniques sont plus riches entre collègues qui se connaissent et ont établi une relation de confiance. Il permet une meilleure inclusion de salarié·e·s dispersé·e·s œuvrant avec des conditions de travail disparates.
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La plaque tournante du travail hybride
Un peu (beaucoup ?) de travail à domicile, une dose de bureau classique, une pincée de coworking et quelques réunions au café du coin… les espaces de travail sont multiples et éclatés. Ce qui les relie, c’est le bureau virtuel, plaque tournante et hub essentiel du travail hybride. Voici ses quatre caractéristiques essentielles :
Son accès est universel : sur la route, à l’hôtel, à domicile ou au bureau, l’utilisateur / utilisatrice peut accéder à toutes ses données de travail de la même manière ;
Les documents sont en sécurité sur le cloud : même si un disque dur est perdu ou un ordinateur en panne, la continuité du travail est possible et les données sont préservées. L’argument sécuritaire a longtemps été posé dans l’autre sens — sur le cloud, les données peuvent échapper à l’organisation. Mais depuis plusieurs années, l’idée d’assurer la continuité de l’activité et la préservation des data l’emporte ;
Les outils sont plus ouverts sur l’extérieur : les réseaux sociaux ont brouillé la frontière entre l’interne et l’externe. Des prestataires et freelances plus nombreux poussent les entreprises à s’ouvrir et assurer l’interopérabilité de leurs systèmes. Les outils traditionnels étaient centrés sur une organisation ; le bureau virtuel, lui, est ouvert sur le monde ;
Les outils se consomment à la demande, par abonnement : il fallait autrefois des sommes considérables pour faire développer pour l’entreprise des progiciels et outils dédiés… qui étaient parfois obsolètes en peu de temps mais que l’on continuait d’utiliser pendant des années (à cause du biais des coûts irrécupérables). Aujourd’hui, les meilleurs outils se paient par abonnement mensuel ou annuel et progressent régulièrement sans qu’on ait à investir.
Le « retour au bureau » ne devrait pas nous faire oublier la transition numérique du travail. Aucune « hybridation » ne sera possible sans la meilleure infrastructure pour la soutenir. Or cette dernière repose avant tout sur la couche applicative qui relie tous les espaces de travail entre eux, inclut tous/toutes les salarié·e·s où qu’ils/elles soient et assure à tous/toutes le meilleur accès possible à l’information. J’en suis convaincue, « il en va de la sérendipité comme du networking : le virtuel et le réel se complètent bien plus qu’ils se font concurrence. »
Photo par WTTJ
Article édité par Ariane Picoche
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