BADASS : Comment refuser de faire (toujours) plus pour le même salaire ?
16 sept. 2021
5min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
C’est une demande qui ressemble souvent à un compliment, voire un adoubement. « Je te fais confiance désormais pour assurer le rétro-planning », « j’aimerais que tu prennes plus de responsabilités », « tu as les reins solides pour assurer le rush, je sais que je peux compter sur toi ». Si bien que, souvent, quand on ajoute des choses à notre barque, on se sent flattée et on dit “oui”. Sans que notre salaire, notre titre, ni nos avantages annexes ne bougent d’un iota.
Hi-han
Il y a mille raisons de penser que c’est intelligent de dire “oui”. Car, primo, c’est ce que notre boss nous demande (coucou la bonne élève). Ensuite, on veut démontrer qu’on est la femme de la situation capable de se démultiplier et de gérer (coucou Wonder Woman). Aussi, parce qu’on ne veut pas être mal perçue (« love me, please love me »). Enfin, on pense que ce surplus de travail est un bon investissement pour l’avancement de notre carrière et qu’au moment voulu, nous récolterons les fruits de notre travail (nous vivons d’espoir).
C’est d’ailleurs une promesse récurrente dans beaucoup d’entreprises : « Montre moi que tu sais faire le job et ensuite je te donnerai la promotion, le titre, et le salaire qui vont avec. » Il faut déjà faire la partie pesante et épuisante d’un travail pour en obtenir la contrepartie bénéfique (oubliant ainsi que les deux fonctionnent en symbiose). Certains appellent ce mode sacrificiel “faire ses preuves”. En langage courant, ça s’appelle la carotte qui fait avancer l’âne.
Quand la “grande famille” a bon dos
On culpabilise encore plus de dire “non” dans les secteurs économiquement frêles où il faut faire plus avec moins pour tenir la tête hors de l’eau. Vous n’osez pas, de peur de passer pour l’individualiste primaire qui pense à elle au moment où “la maison est en feu” et qu’il faut faire passer l’intérêt collectif avant tout. Attention à cette rhétorique prônant l’oubli de soi au profit du groupe (« nous sommes une grande famille », « il faut jouer en équipe », « on se serre les coudes ») : très souvent, ce n’est que l’entreprise (et non le groupe de salariés qui la composent) qui en bénéficie au long terme.
Au final, vous allez peut-être avancer très longtemps en épuisant vos sabots sans jamais croquer dans cette carotte qu’on vous a fait miroiter. Rapidement, ce que vous faites en plus sera considéré comme acquis, normal, et non plus comme un coup de collier exceptionnel. Vous aurez juste travaillé plus, sans plus de reconnaissance.
Alors, comment répondre à son chef quand celui-ci nous demande de faire plus avec moins de temps pour chaque tâche mais le même salaire sans passer pour une infâme ?
Comment dire : « Non, c’est non ! »
1. Checker sa fiche de poste
Vous n’êtes pas obligée de faire tout ce que votre boss vous demande : vous devez faire ce qu’il y a sur votre fiche de poste ou dans votre contrat. Soit des missions bien délimitées, pour lesquelles a été estimé, en miroir, un salaire. C’est autour de ça que se cristallise votre échange avec l’entreprise : non pas un rapport hiérarchique dominant-dominé, mais un rapport donnant-donnant. Jetez un coup d’œil à votre fiche pour savoir si la charge supplémentaire qu’on veut vous attribuer est mentionnée ou non. Si ce n’est pas le cas, vous avez le droit de dire non : on ne peut pas vous licencier pour cela. Vous pouvez aussi ouvrir les négociations pour faire évoluer votre fiche de poste… et votre salaire avec, cela va de soi.
À mon grand désespoir, tout le monde n’a pas de fiche de poste détaillée. Peut-être est-ce l’occasion pour en établir une, et - même logique - faire réviser votre salaire ?
2. Dire non au nom du professionnalisme
Vous en avez le cœur net : c’est bien du travail supplémentaire. Et vous n’avez pas envie de donner plus pour autant et n’y voyez là aucun intérêt stratégique.
Rien de mieux que l’argument du professionnalisme : « Je préfère te dire non car, avec cette charge supplémentaire, je ne pourrais plus avoir le temps ni l’énergie de remplir correctement mes missions prioritaires et je ne veux pas mettre en danger mes résultats ni ceux de l’entreprise. » Vous admettez que vous n’êtes pas une sur-femme et c’est très bien (étant donné que Wonder Woman est une arnaque), tout en vous montrant responsable et fiable.
3. Demander quels sont les moyens mobilisés
Vous trouvez que c’est un peu gonflé de vous le proposer entre deux couloirs, mais en vrai, devenir la bras-droit officieuse de votre chef ·fe correspond bien à votre stratégie d’évolution. Pour ne pas fermer la porte ni vous faire marcher sur les pieds, demandez l’air de rien ce qui est logiquement prévu pour faire “plus”.
Y a-t-il des heures supplémentaires comptabilisées ? Comment cette nouvelle responsabilité sera traduite en salaire ? Comment votre titre de poste évoluera-t-il ? Certaines de vos missions seront-elles transférées à une tierce personne ? Bénéficierez-vous d’une formation ? Bref, avec quels “plus” allez-vous faire “plus” ?
4. Fixer une deadline
On vous répond que l’entreprise va mal, qu’elle n’a pas de moyens supplémentaires à investir et qu’il faut se serrer les coudes et être patient mais qu’un jour, promis, vous en verrez la couleur.
Si vous décidez de faire ce pari, demandez bien une deadline. « Très bien, je comprends que nous allons tous donner un coup de collier vu le contexte. Quand prendra fin cette période d’ajustement exceptionnelle et seront réévaluées les contreparties ? »
La deadline est cette balise temporelle qui force votre employeur à vous rendre des comptes et ne pas transformer cet effort exceptionnel en habitude acquise.
5. Passer un deal noir sur blanc
Vous êtes aussi tout à fait en droit de conditionner votre participation à l’effort de guerre. Ok, vous ne compterez pas vos heures et prendrez une partie du travail de Camille (qui en est à son troisième arrêt renouvelé pour burn out, il n’y a pas de fumée sans feu…) Ok, l’entreprise ne peut pas vous augmenter tout de suite, ni vous libérer une place en crèche dans l’immédiat pour vous aider au quotidien malgré la surcharge. MAIS inscrivez noir sur blanc, chez les RH, par mail suite à un entretien individuel, dans un bilan annuel (s’il arrive bientôt), ce que l’entreprise vous doit : une prime de tant, une évolution de salaire de 10%, un passage au barème supérieur accéléré, une voiture de fonction, une place en crèche dès la prochaine rentrée, plus de congés payés… Votre travail gratuit au temps présent est la carotte pour laquelle l’entreprise doit s’engager à avancer des gains futurs concrets et factuels à l’écrit.
Si votre employeur ne veut s’avancer ni sur une deadline, ni sur des moyens supplémentaires, ni sur une contrepartie future, je vous conseillerais de retourner vous asseoir, mais libre à vous. Et quoi que vous décidiez, pensez à la suite puisque visiblement, il ne compte pas se donner les moyens de ses ambitions.
Dire non au travail supplémentaire ne signifie pas que vous vous opposez à l’entreprise, que vous êtes dans la confrontation ou de mauvaise volonté. Au contraire, vous restez dans un rapport relationnel sain, où l’échange réciproque prévaut sur la subordination. C’est une démarche parfois dure à tenir, mais qui vous permet de savoir si l’endroit où vous êtes vous reconnaît à sa juste valeur. Ou si vous pouvez croquer une meilleure carotte ailleurs.
Photo by WTTJ
Édité par Eléa Foucher-Créteau
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
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