« Nous sommes tous, à un moment de notre carrière, des illégitimes au travail »
10 mai 2022
6min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste “pas assez” au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
Il y a des jours où vous ne savez pas ce que vous fichez là. Même si vous avez beaucoup d’estime pour vos place et titre professionnels, vous doutez franchement de les mériter. Quand on vous présente à quelqu’un, vous précisez « Enfin, je viens tout juste de commencer » ou « Mais j’ai encore mes preuves à faire ». Avant une réunion, vous craignez de vous décomposer et de dire quelque chose d’idiot, de sorte que le reste de l’équipe découvre la supercherie : en fait, vous n’avez pas les épaules. Chaque jour, vous enviez, admirative, l’assurance de vos collègues -masculins le plus souvent - en pensant qu’il y a eu erreur de casting vous concernant. Du coup, vous faites profil bas, ne demandez jamais d’augmentation, acceptez le travail bonus sans moucher… car vous pensez que vous n’êtes pas au niveau. Que tout ça, au fond, n’est quasiment dû qu’au hasard et à la chance. Votre job, votre équipe, votre boîte… tout est trop bien pour vous. Bref, vous avez le syndrome de l’impostrice.
Le syndrome de l’imposteur, un mal féminin ?
L’impostrice pense qu’elle ne mérite pas sa place, redoute que les autres finissent par s’en rendre compte et a le sentiment que tout peut être perdu à cause d’un détail. Elle complexe et s’auto-flagelle en silence, en se répétant qu’elle “profite” là où d’autres feraient sans doute mieux. Le syndrome de l’imposteur touche hommes et femmes certes -70% de la population se serait déjà sentie concernée au moins une fois -, mais ces dernières ont un terreau plus propice : elles doutent davantage d’elles-mêmes, sont perfectionnistes et se retrouvent plus souvent en minorité. Quand vous êtes la seule femme autour d’une table de réunion, il est plus facile de vous dire qu’il y a eu erreur, que vous ne connaissez pas les codes et que vous “faites tâche”. Parfois, ce sont aussi les autres qui vous font vous sentir impostrice (coucou les boy’s club).
Alors, je pourrais vous dire que non, vous n’êtes pas une impostrice. Que vous avez tout en vous et bien plus que nécessaire, que vous êtes légitime, que vous êtes la mieux placée, que ces doutes ne sont que de la poussière superflue sur votre carrière étincelante… mais non. Parce qu’au fond, je ne vous connais pas, je ne sais donc pas si vous êtes vraiment compétente. Mais aussi (et surtout) parce qu’on n’a pas besoin d’être au top pour avoir le droit de souffler.
Je vous dirais plutôt ce qu’on ne dit pas assez (à mon goût) : nous sommes TOUS des imposteurs.
Le royaume de la méritocratie n’existe pas (encore)
Regardez autour de vous et ne vous laissez pas induire en erreur par le défilé-parade de Benoît dans le hall d’entrée et le menton levé de Kelly à la machine à café : en quoi vos collègues méritent-ils davantage leur place que vous ? Ne sont-ils pas, eux aussi, des imposteurs ? Vous ne connaissez ni leurs lacunes, ni leurs erreurs ou encore les gaffes monumentales qu’ils ont pu faire. Et au fond, sont-elles si “graves” ou dévalorisantes ? Vous voyez la lumière qui irradie d’eux, mais le côté obscur, lui, reste caché.
Ne soyez pas dupe : aucun d’entre nous ne coche 100% des compétences d’un travail avant de l’avoir “fait”. Aucun d’entre nous n’est 100% légitime pour un poste parce que plusieurs profils peuvent correspondre et bien le faire. Aucun d’entre nous ne mérite vraiment son titre à ses débuts alors qu’il n’a pas encore éprouvé l’ensemble du périmètre de son poste. Et plus globalement, aucun d’entre nous n’est tout le temps au top dans son job. Nous sommes tous, à notre façon et à un moment de notre carrière, des fraudes, des arnaques, des illégitimes au travail.
J’irai plus loin : nombre d’individus ne sont pas à leur poste pour les bonnes raisons. Ils/elles ont été embauché·e·s ou promues car ils/elles étaient le/la meilleur·e-ami·e-de-la-fille-du-grand-manitou, car ils/elles sont dociles et consensuel·le·s, car ils/elles étaient là au bon moment, car ils/elles ont accepté un salaire trop bas, car ils/elles ont les skills d’un courtisan à fraise du XVIIe siècle, car ils/elles ne font pas d’ombre, car ils/elles ont les cheveux peignés du même bord que leur boss. Je ris toujours en imaginant une nuée d’hommes en costard aux cheveux gris attablés au comex, regarder une femme arriver et se demander « Est-elle là pour les bonnes raisons ? A-t-elle vraiment mérité sa place ? N’est-elle pas une “femme quota” ? » Là où il y a des “femmes quotas”, il y a aussi des armées de clones.
On peut prendre le problème à l’envers : peut-être que la plupart des femmes ne sont pas trop perfectionnistes, et dans le doute, peut-être que ce sont les autres qui ne le sont pas assez ? Mais n’ont-ils pas finalement raison ? Vous me direz qu’il est terrible de prendre exemple sur eux, que si l’on raisonne ainsi, on nivelle par le bas. Dans un monde du travail juste et méritocratique, je serais d’accord avec vous. Mais, en l’état actuel des choses, où les discriminations, le favoritisme, les inégalités femmes/hommes, le zèle, le présentéisme et les mécanismes de reproduction sont persistants dans nos vies professionnelles, on peut déjà, juste, se lâcher la bride.
Comment apprendre à faire la paix avec soi et son sentiment d’imposture ?
1. Appuyez-vous sur vos résultats
Gardez en tête que le factuel, ça ne ment pas. Donc plutôt que de tirer des plans sur la comète quant à votre valeur et vos compétences à l’aune d’une confiance en soi parfois fragile, mieux vaut miser sur du concret. Vos résultats donnent une idée de votre niveau de compétences, puisqu’ils vous permettent de vous évaluer objectivement. Comparez les objectifs attachés à votre poste et vos résultats : chiffre d’affaires, clients, projets, apports, collaborations… Ainsi, les chiffres parleront d’eux-mêmes.
2. Reposez la boule de cristal
Il y a de bonnes chances pour que votre sentiment d’imposture soit entretenu par un deuxième syndrome : celui de la boule de cristal. Vous supposez, anticipez, pensez des choses là où vous ne possédez pas les faits, ni le contexte entier. Vous imaginez toujours le meilleur pour les autres et le pire pour vous : les autres sont évidemment excellents, ils sont là par leur seul mérite, ils ne doutent pas, ils sont à leur place. Vous vous faites ainsi du mal par comparaison. Ce que vous ne savez pas, c’est que Martin est en plein bras de fer pour obtenir une rupture co et que Clarisse est en train de programmer sa reconversion en dompteuse de zèbres, malgré leurs éclats de rires avec le N+2 en afterwork.
3. Décrivez les faits
Pensez au nombre de personnes qui ont le même titre que vous et en parlent sans rougir, alors que leur parcours n’est pas plus impressionnant. Et pourtant, ce titre est le leur : car c’est un fait, et non une interprétation. Si vous vous sentez impostrice en parlant de votre travail, dites-vous que vous décrivez la situation plus que vous ne vous vantez. Vous aurez moins de retenue à dire que vous êtes l’autrice de cinq livres (même si vous n’êtes ni Balzac ni Proust), ce que les autres projettent sur ce titre n’étant pas de votre responsabilité.
4. Faites attention au contexte
Loin de moi l’idée de vous inciter à rejeter la faute sur les autres… Mais quand même : demandez-vous si des causes extérieures ne nourrissent pas votre sentiment d’imposture ? Comme le fait de ne pas être proche de vos collègues (ce qui n’est pas étrange en soi), d’être en minorité dans votre entreprise ou, plus grave, de vous sentir harcelée. Si vous ne vous sentez pas à la bonne place à cause du contexte dans lequel vous évoluez et travaillez, c’est peut être, au contraire, le signe que votre entreprise manque de collaborateurs comme vous.
5. Calmez le niveau de perfectionnisme
Sentiment d’imposture et perfectionnisme sont cousins. Pour ne pas vous sentir en dessous, il faut parfois juste baisser la barre d’attente de trois niveaux. Reprenez votre fiche de poste (celle que vous avez consciencieusement mise à jour après ce papier) et comparez : tout ce que vous faites en plus doit vous rassurer (et vous inciter à demander une augmentation très rapidement). Et rappelez-vous que l’on paraît encore plus compétente quand on parle de soi et ses succès aux autres : ne négligez donc pas votre storytelling. Qui sait, peut-être que c’est en faisant votre auto-promotion que vous vous convaincrez vous-même !
Je ne sais pas si vous êtes compétente, mais je sais d’expérience - à force d’interviews sur le sujet - que la conscience professionnelle des femmes leur fait placer la barre bien plus haut que beaucoup d’hommes. “Se sentir impostrice” signifie que vous estimez qu’il y a un écart entre votre niveau et celui requis pour votre poste/titre. Rien que cela démontre une conscience professionnelle plutôt élevée. Vous doutez, vous êtes probablement perfectionniste… Il y a de grandes chances pour, qu’en réalité, vous soyez tout à fait légitime.
Article édité par Mélissa Darré
Photo de Thomas Decamps
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
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