BADASS : et si la boss du Diable s’habille en Prada avait tout compris ?
02 déc. 2021
7min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
Femme-dragon, carriériste obsédée, reine de glace… Le personnage de Miranda Priestly, la boss de l’héroïne du film Le Diable s’habille en Prada (incarnée par Meryl Streep), a bien des surnoms, sauf celui qu’elle mérite : celui de vraie badass de la vie pro. Pourquoi a-t-elle tout compris et comment en tirer des leçons pour sa propre vie pro (avec Prada ou nada) ?
Sexisme in the city
Celle qui mène la vie dure à Andrea (Anne Hathaway) est dépeinte comme un monstre d’insatisfaction, sadique, froide, humiliante, redoutable et terrifiante. Un tyran dont le bruit des talons renverse de panique tout l’open space. Elle n’est certes pas parfaite, mais aussi bien plus inspirante qu’on veut nous le faire croire… Il va sans dire que si elle était un homme, tous ces adjectifs se transformeraient - tadaaa - en compliments (hyper pro, bosseur, challengeant, impressionnant…) . Une forme de sexisme, renforcée par la condescendance habituelle que l’on porte au secteur de la mode (tout “féminin” qu’il est) : Miranda est non seulement une femme et en plus, elle est la tête de proue d’une industrie supposée superficielle et névrosée, raison de plus pour discréditer son travail et son attitude.
Après avoir vu le film quelques dizaines de milliers de fois, je rêvais de rendre à Miranda ce qui lui revient et faire un hymne à ces femmes soit-disant froides, castratrices et ambitieuses que l’on caricature pour leur faire payer, au fond, de s’être trop bien approprié les règles du jeu. Le Diable s’habille en Prada est en réalité une véritable fable professionnelle inspirante dont la (vraie) héroïne est Miranda Priestly.
1. Elle n’a pas besoin de l’approbation des autres
« I don’t really care what anybody writes about me »
Miranda Priestly est franche et directe : normal, son travail est de donner son avis et décider. Ce qui est dit est mérité et justifié par la bonne marche du travail. Certes, elle pourrait avoir plus de tact, mais cette indifférence aux émotions des autres dénote une grande qualité : ne pas avoir besoin d’être appréciée. Ce qui lui importe est le travail, et non la validation d’autrui.
De la même façon, elle ne se justifie jamais auprès des autres, là où certaines femmes expliquent sans cesse leur décision pour se rassurer. Miranda est consciente de son autorité : non, c’est non, et c’est comme ça.
- On lui prend : la légitimité. On ne s’empêtre dans des explications que lorsque nécessaire, auprès des gens à qui on rend des comptes. Tant pis si nos décisions ne remportent pas les votes de tout le bureau : c’est notre job, pas le leur.
- On lui laisse : la mauvaise humeur sans filtre et le sarcasme.
2. Elle gère son temps
« Go bore someone else with your questions »
Expéditive, Miranda passe pour une snob, alors qu’elle gère son temps de façon à pouvoir assurer toutes les responsabilités qui lui incombent. Ceux qui ont besoin qu’on les prenne par la main sont considérés comme des ralentisseurs qui gênent sa quête d’excellence.
Cette gestion du temps millimétrée s’incarne dans une économie de mots et d’énergie ultra poussée. Meryl Streep a eu l’intelligence de ne pas en faire une manager criarde et énervée mais d’adopter une tonalité basse et constante qui ferait presque de Miranda une mastermind de l’assertivité. C’est aux autres de prêter l’oreille et non à elle de réclamer leur attention. Cela participe à son autorité et son pouvoir d’attraction.
- On lui prend : sa notion précieuse du temps, appliquée à travers une communication peu énergivore : l’essentiel de mots dans un timing efficace, et à nous la sortie du boulot une heure plus tôt.
- On lui laisse : les soupirs en guise de phrase.
3. Elle n’est pas dans l’affect
« Do your job »
On s’étonne de voir combien elle n’est pas “gentille” (venant d’une femme, quand même), mais c’est justement ce que Miranda a le mieux saisi : le monde de l’entreprise n’est pas le lieu de la gentillesse ni de l’affect.
Emily a un rhume et sera triste de ne pas aller à Paris alors qu’elle ne mange rien depuis des semaines ? Pas son problème. Le travail d’Andrea lui fait rater l’anniversaire de son petit-ami ? Pas son problème. Elle fait la moue devant la robe-noeud créée spécialement pour elle au risque de heurter le designer ? Pas son problème. En cela, Miranda contredit les attentes que beaucoup ont d’une femme cheffe : elle n’est pas là pour materner mais pour travailler. Ses standards d’exigence priment sur le reste.
Une politique qu’elle applique à elle-même : alors qu’elle vient d’apprendre que son mari demande le divorce, elle recadre la conversation les yeux tout gonflés : « Notre problème est de savoir où placer Donatella au dîner », demandant à Andrea - pleine de compassion - de “faire son job”.
- On lui prend : le sens des priorités. Au travail, on est avant tout là pour le travail. L’empathie et la compréhension vis-à-vis des autres ne sont pas proscrites évidemment, du moment qu’elles ne prennent pas le pas sur notre professionnalisme.
- On lui laisse : sa méconnaissance du droit à la déconnexion.
4. Elle est exigeante
« Flowers ? For spring ? Groundbreaking »
Elle n’est pas une diva névrosée sadique et cruelle qui est dure pour être dure : elle a juste de grandes exigences professionnelles et respecte son travail tout comme son secteur. C’est en le comprenant qu’Andrea arrête de pleurer sur son sort, gagne peu à peu en confiance en répondant aux requêtes difficiles de sa boss et elle finit par se découvrir des ressources et qualités inattendues. C’est d’ailleurs pour cela que Miranda est respectée par ses équipes. Son management ne consiste pas à se pencher sur chaque employé pour l’aider à révéler son potentiel. Ici on marche à l’adhésion : chacun est responsable de soi, vise l’excellence et a confiance dans le jugement de Miranda.
Loin d’être harceleuse, sa grille de lecture est, au fond, assez méritocratique et cohérente : « Tu travailles bien, tu montes ». C’est pour cela qu’elle promeut Andrea au dépend d’Emily, félicite son bras-droit Nigel quand il a de bonnes idées (« quelqu’un est venu travailler aujourd’hui je vois ») et Andrea pour savoir « anticiper les besoins des autres et prendre les bonnes décisions pour elle-même. »
Mais établir que “le meilleur gagne” fait d’elle une personne “sans pitié”, là où bon nombre de femmes s’en veulent de “prendre la place” de quelqu’un d’autre, à commencer par Andrea qui se trouve empêtrée dans des dilemmes moraux vis-à-vis de sa collègue suite à sa promotion. Culpabilité, bonsoir.
- On lui prend : son intranquillité. On n’a peut-être pas envie de repousser ses limites tous les jours, certes, mais ne pas s’endormir sur ses lauriers et viser toujours plus haut nous épargne des regrets futurs. Les managers peuvent aussi retenir son sens de la méritocratie : donner sa chance, reconnaître les qualités des autres, les récompenser en fonction, ce n’est jamais un mauvais programme.
- On lui laisse : sa mémoire courte saupoudré de mauvaise foi (« je n’ai pas commandé ce steak »).
5. Elle défend sa valeur elle-même
« There is no one that can do what I do »
Il faut avoir une sacrée audace pour dire que personne ne ferait aussi bien que vous. Qu’elle ait raison ou non, Miranda Priestly est une stratège qui a compris que pour gravir la montagne et s’y maintenir, il faut connaître sa valeur et la défendre. Là où les autres attendent d’être récompensés (Nigel, Emily…), elle fait valoir son investissement en dressant “la liste” de designers et photographes qu’elle a fait émerger et qui lui ont prêté allégeance. Elle a ainsi l’intelligence de constituer son propre capital professionnel : il n’appartient qu’à elle et la rend nécessaire à l’entreprise. C’est avec ce capital qu’elle a du pouvoir et peut engager un rapport de force pour ne pas se faire éjecter.
- On lui prend : sa vigilance, en ne donnant pas tout à l’entreprise aveuglément. On veille à toujours avoir à son nom les fruits de notre travail et des ressources à soi en cas de sortie de route (répertoire, certification, droits, fichier clients, base de données…).
- On lui laisse : sa capacité à jeter ses amis sous le bus pour se maintenir.
6. Elle assume son identité
En avance sur son époque (2006, et bam), Le Diable s’habille en Prada illustre aussi le revers subi dans la vie privée par les femmes investies dans leur job. Alors qu’il ne fallait qu’un an de dur labeur à Andrea pour obtenir ce qu’elle voulait, son petit-ami boude tout du long : négatif, culpabilisant, condescendant et peu empathique… Il déforme les enjeux en prétextant qu’elle fait tout ça « pour des chaussures. » À la fin, il la reprend après qu’elle se soit prosternée en excuses, et lui propose de le suivre dans une autre ville… Ça ne s’invente pas.
Miranda en pâtit également : son mari se sent “humilié” de l’attendre en public quand elle est en retard et finit par demander le divorce en pleine fashion week parisienne (pas cool). De fait, on constate que, si Miranda a cumulé les divorces, elle est toujours là où elle est. Ne pas faire une croix sur sa passion, rester fidèle à son ambition et oser assumer se réaliser dans son travail plus que dans son couple, c’est d’une certaine façon respecter qui l’on est. Implicitement, Miranda nous dit que notre travail peut aussi être le lieu de l’accomplissement de soi plus que n’importe quel autre.
- On lui prend : sa confiance en elle. Prendre au sérieux son ambition, privilégier son épanouissement plus que l’ego des autres, assumer qui l’on est, quelles que soient ses envies, on en a encore besoin.
- On lui laisse : ses difficultés à accepter les autres tels qu’ils sont. Après tout, chaque salarié devrait avoir le droit de manger de la soupe de maïs en paix, de ne pas faire une taille 38, porter des baskets et être appelé par son vrai prénom.
Certes, Miranda ferait l’objet de mille critiques légitimes. Mais dans la balance des pour et des contre, elle a laissé sur l’écran la marque d’une femme de pouvoir. Et fait rare : elle n’est pas punie à la fin. Le film a beau retourner sa veste en cinq minutes à la fin en nous montrant qu’elle est une personne narcissique (« tout le monde veut être nous ») et qu’Andrea a cédé aux sirènes du glamour pour une paire de bottes Chanel, nous avons pu observer pendant 1h49 que Miranda ne travaille pas pour être enviée, mais par passion pour son travail. Et qu’Andrea a pris du plaisir à se sentir monter en puissance au-delà de ses attentes. Le Diable s’habille en Prada est un hymne à l’accomplissement de soi à travers l’amour du travail bien fait, que ce soit pour Prada, Gabbana ou Groupama.
Édité par Eléa Foucher-Créteau
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