Billy Pham, CEO de la Bao Family : « Nous voulons rendre la cuisine chinoise “cool” »
13 févr. 2024
5min
Journaliste et responsable de la rubrique Decision Makers @ Welcome to the Jungle
Avec ses adresses branchées, la Bao Family bouscule les codes d’une gastronomie chinoise encore dévaluée et valorise l’image des cultures asiatiques en France. Une réussite culinaire et entrepreneuriale dont nous avons parlé avec son CEO, Billy Pham.
Aubergines hongshao, mapo tofu, canard à la pékinoise… Ces plats qui donnent faim sont à la carte des restos chinois les plus cool de la capitale : ceux de la Bao Family. Son CEO, Billy Pham, a co-fondé l’enseigne avec Céline Chung en 2019. Son parcours à lui est marqué par l’entrepreneuriat – enfant, déjà, il vendait des CD à la récréation avec son frère ! Aujourd’hui, la Bao Family comprend quatre restaurants, un corner boulangerie et café, un bar à cocktails… et 170 salariés. Fort d’un bel alignement entre le fond et la forme, son succès illustre un renouveau de la restauration chinoise en France. En matière de gastronomie, de business et de marketing, Billy et Céline participent à casser les codes et, en creux, un bon lot de stéréotypes.
Quel est ton rapport à la cuisine ?
En Asie, on accorde une grande importance à la nourriture et aux repas, que l’on partage à table. Ce sont les moments les plus intimes de la famille : des félicitations et des sermons peuvent être faits entre deux plats. Les parents asiatiques ne disent pas forcément « je t’aime », mais ils demandent à leurs enfants s’ils ont bien mangé. C’est une marque d’affection. Par ailleurs, la restauration est arrivée dans ma vie par le biais de mes parents, qui possédaient leurs propres affaires. Tout cela explique sans doute mon intérêt pour la cuisine. Quand je prépare mes voyages, mon premier réflexe est de présélectionner des restaurants que je vais pouvoir tester.
« Les parents asiatiques ne disent pas forcément “je t’aime”, mais ils demandent à leurs enfants s’ils ont bien mangé. »
Comment la Bao Family est-elle née ?
J’ai commencé dans la restauration en tant que franchisé, travaillant avec des enseignes comme Bagelstein et Subway. Mais leur carte ne me séduisait pas vraiment. Et le désir de renouer avec mes racines m’a conduit à rechercher quelque chose de plus significatif. Je voulais monter un restaurant qui reflète ma culture asiatique et ses codes, en promouvant l’importance du repas partagé. Ma rencontre avec Céline, par l’intermédiaire de PNY dont elle était le bras droit, a été décisive. Son ambition de lancer un restaurant chinois nouvelle génération rejoignait la mienne. Nous nous sommes associés et sommes partis un mois en Asie. Nous y avons suivi des cours de cuisine : plus de la moitié des recettes de notre menu se sont inspirées de ce séjour. Nous avons d’abord préparé ces plats chez moi et nous avons ouvert Petit Bao. Au départ, nous étions sur le terrain, très polyvalents, puis les rôles se sont vite répartis. Aujourd’hui, Céline est responsable du pôle créatif : elle s’occupe de la communication, du marketing et du branding, et participe au choix des plats. C’est notre « palais ». Moi je suis directeur général, je gère le quotidien de l’entreprise.
Peut-on dire que votre entreprise a une logique « start-up » ?
Oui, elle transparaît dans tous les aspects de notre activité, depuis notre état d’esprit jusqu’aux outils que nous utilisons, en passant par la façon dont nous façonnons notre image. Nous avons ouvert le premier restaurant avec nos propres fonds, et son succès nous a permis d’en ouvrir un deuxième trois mois plus tard. Nous avons ensuite réalisé des levées de fonds avec des investisseurs et des business angels. Depuis nos débuts, nous avons une croissance significative. Au-delà du modèle économique, notre agilité et notre capacité à nous adapter reflètent une philosophie propre aux start-ups. En témoigne la façon dont nous avons géré l’épisode Covid. Nous ne pouvions plus recevoir de clients dans nos restaurants, alors nous avons lancé une dark kitchen et noué un partenariat avec Deliveroo : on a été parmi les premiers à le faire. Nous avons aussi créé la Bao Cup Noodles à ce moment-là, une version saine des incontournables nouilles instantanées, qui soulignait notre souci de la qualité. C’est ce qui nous a permis de résister.
En parlant de défis… Quels sont les principaux auxquels vous avez été confrontés ?
Le plus dur a été de trouver un équilibre, notamment en termes de gestion. On s’est beaucoup laissé guider par notre intuition, ce qui a amené de la complexité. Par exemple, on a dépensé de grosses sommes dans la décoration de nos lieux, convaincus que le public aimerait, et cela s’est parfois fait au détriment d’autres budgets. Il a fallu structurer les choses. Et à titre personnel, apprendre à être CEO a été une étape importante. La dimension RH de mon rôle est sans doute la plus challengeante, surtout dans le secteur de la restauration où les métiers sont fatigants. Le pire, c’est de se séparer d’un collaborateur avec lequel on a des liens, même si c’est nécessaire. Néanmoins, les ressources humaines, ce n’est pas seulement annoncer de mauvaises nouvelles, c’est construire et soutenir une équipe, alimenter une culture d’entreprise forte, et ça, ça m’anime.
Vous êtes fier de votre boîte ? Affichez-la sur Welcome to the Jungle !
Sur votre site, il est écrit que votre objectif est de révolutionner la scène food chinoise…
En effet, nous voulons démocratiser et rendre la cuisine chinoise « cool ». Cela passe par la scénographie et la beauté des lieux, notre offre culinaire, mais aussi notre stratégie de branding et de marketing, qui s’appuie sur l’humour et l’esthétisme, deux notions au cœur de notre ADN. Il est important pour nous d’offrir aux clients des moments hors du temps au sein de restaurants populaires. Nous avons donc créé des menus et des identités différentes pour chaque adresse, dont les décors et ambiances sont uniques. C’était l’occasion de casser l’aspect péjoratif de la « chaîne de restaurants ».
Et les préjugés parfois associés à la cuisine chinoise en France, comment les cassez-vous ?
Dès le départ, nous avons joué avec les mythes et les stéréotypes sur la communauté chinoise pour mieux les déconstruire. À l’ouverture de Petit Bao, nous avons choisi de nous démarquer de la concurrence en misant sur une campagne d’affichage provocante : « No dogs, no cats, no rats ». Cette stratégie a fait naître une communauté solide autour de notre restaurant. Chez la Bao Family, nous mettons l’accent sur la créativité pour proposer une cuisine chinoise différente. Nous avons composé des menus exigeants et modernes, et ouvert les espaces, loin des « appartements raviolis » dénoncés dans certains médias il y a quelques années. La diversité et l’inclusion sont également une priorité. Notre équipe comporte 18 nationalités, ce qui contredit le cliché des asiatiques renfermés. Ce parti pris novateur a attiré des partenaires comme la marque Puma.
« Il s’agit de montrer la richesse et la complexité de cette gastronomie, tout en utilisant les codes de notre génération. »
Vous réinventez le restaurant chinois, mais vous rendez aussi hommage à une forme d’authenticité, non ?
Notre approche de l’authenticité est flexible, elle englobe la variété des diasporas chinoises et leurs spécialités. Nous partons de recettes typiques et nous nous les réapproprions. Il s’agit de montrer la richesse et la complexité de cette gastronomie, tout en utilisant les codes de notre génération. Nous défendons une cuisine plus légère, avec moins de viande, en combinant des bases chinoises, des influences traditionnelles et des twists de modernité. Tout est une question d’harmonie.
Qui est votre clientèle ?
Elle s’est formée naturellement, sans cible définie. La cuisine chinoise parle à tous, et elle est présente partout dans le monde. Notre volonté a toujours été de rassembler toutes les générations, nos parents, nos enfants, nos amis… Si nous devions définir un cœur de cible, ce serait Céline et moi en fait. Maintenant, élargir notre base en démocratisant la cuisine asiatique est notre priorité.
Comment vois-tu l’évolution de la cuisine chinoise en France ?
Rappelons que la restauration traverse une période difficile, entre l’inflation, les difficultés de recrutement et le retour de bâton lié à la fin des aides gouvernementales pendant la crise Covid. Pour perdurer, il me semble essentiel de développer des concepts forts et de se concentrer sur l’expérience client. Je suis par ailleurs convaincu de l’essor de la culture asiatique dans le domaine de la restauration, et mon ambition est que la Bao Family se positionne comme un leader dans cette évolution. Je souhaite que l’on passe de la tendance à la normalisation, que la cuisine chinoise traverse le temps et l’espace comme l’italienne et la française. D’ailleurs, cette transition a déjà eu lieu dans les pays anglo-saxons comme aux États-Unis, où manger chinois est devenu aussi courant que déguster un burger.
Photos : Thomas Decamps pour WTTJ
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