Arrêtons de rabaisser les « bons élèves » au travail !

20 déc. 2023

4min

Arrêtons de rabaisser les « bons élèves » au travail !
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Le fameux « syndrome de la bonne élève » gravite de longue date dans le monde du travail, illustrant une approche basée sur des qualités scolaires plutôt que le sens de l’initiative attendu dans le milieu professionnel. Pour notre experte Laetitia Vitaud, son utilisation est, à bien des égards, moins anodine qu’il n’y paraît.

Depuis des années, on enjoint les femmes à se défaire du « syndrome de la bonne élève », qui les figerait dans une posture trop passive vis-à-vis du travail, les empêchant de chercher promotions et augmentations. Je dois avouer que j’ai longtemps adhéré à ce discours. Je l’ai probablement même nourri, dévalorisant moi aussi quelques « bon·nes élèves » au passage. Mais je suis aujourd’hui plus critique vis-à-vis de l’utilisation de cette expression et l’injonction qui l’accompagne. Je suis même convaincue qu’elles sont délétères.

Que le contexte soit scolaire ou professionnel, l’expression « bon·ne élève » -un peu comme l’adjectif « gentil »- est presque toujours péjorative. Elle sous-entend que vous n’êtes pas bien intelligent·e. Tout au plus êtes-vous capable, comme un singe bien entraîné, de comprendre les consignes et d’exécuter sagement les ordres. Mais vous manquez certainement d’esprit critique, de créativité et d’initiative. Adressée quasi-exclusivement aux femmes, cette critique à peine voilée est porteuse de sous-entendus toxiques, tant pour l’entreprise que pour la société dans sa globalité. Voici donc trois raisons pour lesquelles je vous invite à la bannir.

Raison n°1 : il n’y a rien de mal à être un·e « bon·ne élève » !

Un·e « bon·ne élève » est une personne qui obtient de bons résultats à l’école, autrement dit de bonnes notes, et démontre un engagement sérieux envers l’apprentissage et l’institution scolaire. En général, les qualités exprimées pour y parvenir sont le sens de l’écoute, la compréhension des consignes (en se mettant dans la peau de ceux qui les donnent pour bien comprendre les attentes), un travail régulier et un respect des règles qui soutiennent le vivre ensemble, comme ne pas parler en même temps que quelqu’un d’autre. Un·e bon·ne élève fait aussi montre de compétences sociales, de motivation, de créativité et de persévérance.

Mais alors pourquoi l’expression est-elle utilisée comme une critique au travail ? Qu’y a-t-il de mal à avoir de bons résultats et à respecter les normes et règles qui maintiennent l’harmonie et la cohésion au sein du groupe ? La dévalorisation du respect des consignes est on ne peut plus paradoxale. Valoriser les « rebelles » et les « génies », ces individus qui aiment rarement la jouer collectif, contournent les règles et préfèrent ramener la couverture à eux, cela revient à encourager un comportement de « sale con ». Peut-être souhaitez-vous seulement encourager créativité et esprit d’initiative ? À la bonne heure ! Les bon·ne·s élèves vous apporteront tout cela, si vous leur offrez des consignes claires, le cadre de travail adéquat et l’autonomie qui va avec.

Raison n°2 : attention aux considérations sexistes

Il faut être honnête, l’expression « bon·ne élève » est utilisée en grande majorité à propos de femmes. Déjà, parce que dès l’école, les filles forment le gros des troupes des bons élèves. Ensuite, parce qu’à performance égale, il existe hélas de nombreux stéréotypes de genre qui affectent encore la perception de l’intelligence des femmes. En gros, si les femmes réussissent c’est parce qu’elles travailleraient dur, là où les hommes seraient naturellement plus intelligents. Un constat évoqué par la journaliste Mary Ann Sieghart dans son livre The Authority Gap : « Même si nous prétendons croire à l’égalité, nous sommes toujours, dans la pratique, plus réticents à accorder l’autorité aux femmes qu’aux hommes, même lorsqu’elles sont leaders ou expertes. Chaque femme a des anecdotes à raconter sur le fait d’avoir été sous-estimée, ignorée, traitée avec condescendance et généralement pas prise au sérieux comme un homme. »

Parce que les femmes sont considérées comme moins intelligentes, elles doivent donc surcompenser, en travaillant effectivement davantage, sans développer la confiance qui devrait aller avec. Et force est de constater que cette dévalorisation commence très tôt. L’autrice mentionne une étude britannique tristement éclairante : « Nous nous imprégnons de cette idée de la supériorité masculine dès le plus jeune âge. Les parents britanniques, lorsqu’on leur demande d’estimer le QI de leurs enfants, placent leur fils, en moyenne, à 115 (ce qui est en soi amusant, puisque la moyenne devrait être de 100) et leur fille à 107, une différence statistique considérable (…) Les garçons, en moyenne, grandissent en pensant qu’ils sont plus intelligents que les filles. »

Raison n°3 : l’école et les enfants valent mieux que ça

Les filles ont, en moyenne, de meilleurs résultats à l’école que les garçons, mais cela ne les sert pas, pour autant, dans le monde professionnel. On peut évidemment pointer le fait que les compétences scolaires ne sont pas celles qui permettent de réussir au travail. Mais n’y a-t-il pas aussi une dévalorisation systématique de tout ce qui relève de l’école ? Cette dernière souffre d’une dépréciation sans précédent, qui explique en partie les nombreuses démissions d’enseignants. On fait comme si on n’y apprenait rien de vraiment valable, comme si rien de ce qui s’y fait n’était vraiment pertinent. Et si les filles y réussissent mieux, ce serait parce que les compétences acquises ne valent finalement pas grand-chose.

Mais est-ce vraiment le cas ? La culture générale comme l’apprentissage de l’esprit critique et du bien vivre ensemble ne sont-ils pas des bases essentielles qui doivent beaucoup à l’école ? Enfin, en renvoyant les salariés « bon·ne·s élèves » au monde de l’école, on les renvoie à l’état de personnes non émancipées qui dépendent de leurs tuteurs légaux. Comme un rappel qu’ils doivent être dociles et soumis à leur « manager-parent ». Or, si cette forme d’infantilisation est si humiliante, c’est parce qu’on ne fait pas grand cas non plus de l’intelligence et des droits des enfants…

Plutôt que d’envisager les « bon·nes élèves » avec condescendance, voire parfois une forme de mépris, félicitons-nous de leur désir de bien faire. Mieux, tenons-les pour les précieuses ressources qu’ils et elles sont, en les encourageant, en les promouvant et en les mettant en valeur. Vive les « bon·nes élèves » !

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps

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