Burn-out : quand d’anciens malades ouvrent leurs maisons d'accueil
16 oct. 2023
7min
Journaliste indépendante
Considéré en France comme un syndrome et non comme une véritable maladie professionnelle, le burn-out reste mal pris en charge par la médecine traditionnelle. Pour faire face, les anciens malades sont de plus en plus nombreux à monter leurs propres structures d’accueil.
C’est une coquette maison nichée au fond d’une petite rue à la périphérie de Bordeaux. Une pelouse, des murs en crépis et de jolis volets blancs. L’endroit a des allures de petit château. C’est ce petit coin de paradis que s’est choisi l’association Les Burn’ettes pour accueillir depuis quelques mois les femmes victimes de burn-out dans la région. Pour soigner ce syndrome d’épuisement physique, émotionnel et mental souvent lié à une surcharge de travail, salariées et bénévoles ont imaginé un endroit dans lequel il serait possible de se reconstruire. Ici, les adhérentes de l’association - des victimes de burn-out qui fréquentent le lieu et participent régulièrement aux activités - et les nouvelles venues peuvent rencontrer des psychologues, des sophrologues, assister à des ateliers de médiation et de pratique artistique pour canaliser son anxiété et oublier les angoisses. Depuis ses débuts en 2018, l’association a déjà accueilli plusieurs centaines de femmes. Pour faire face à l’afflux de demandes - qui viennent de tous les coins de France -, l’équipe de huit salariées envisage de se développer et d’ouvrir de nouvelles maisons sur le territoire.
Ce projet d’association a germé il y a quelques années dans l’esprit d’Anne-Sophie Vives, directrice de la structure. Cette ancienne notaire, cheveux blonds et teint hâlé, se souvient « n’avoir rien trouvé » pour lui venir en aide à l’époque où elle-même est tombée en burn-out. Dans le cabinet de notariat où elle officiait, le sujet était tabou. Dans son entourage proche aussi. Face à un management défaillant et à une surcharge de travail, elle est peu à peu submergée, sans en prendre réellement conscience ni le formuler. Différents symptômes du mal-être apparaissent, se cumulent, et elle les traite séparément sans jamais faire de lien entre eux. « J’avais des troubles de l’attention terribles, des maux de tête en permanence, je perdais ma mémoire immédiate, avais des infections gynécologiques, faisais des sciatiques. À la fin, j’avais même des troubles du rythme cardiaque. Au bout de presque cinq ans à vivre comme ça, je me suis effondrée. Il y a un matin où je n’ai pas réussi à me lever. » Après ce qu’elle appelle son « effondrement », elle passe de longs mois à dormir et à essayer de se reconstruire.
« Les médecins n’étaient pas formés. »
Les différents médecins que consulte Anne-Sophie Vives mettent du temps à mettre un mot sur son mal : le burn-out. Or sans diagnostic, pas de traitement. C’est cette barrière-là que la directrice espère aujourd’hui voir tomber. « J’ai vécu mon burn-out de manière totalement isolée. L’association, c’est pour que les personnes qui traversent cette épreuve puissent se sentir comprises » témoigne-t-elle.
« Pour une dépression, on conseille aux gens de voir du monde alors que pour un burn-out, c’est tout l’inverse ! Il faut se reposer ! » - Nadia Droz, psychologue.
Pour la directrice de l’association Les Burn’ettes, il est essentiel d’avoir un lieu associatif dédié pour éviter aux personnes en burn-out d’être mal diagnostiquées. « Lorsque j’étais malade, les médecins ne parlaient pas du tout le même langage que moi, ils n’étaient pas formés sur la question. En fin de compte, les burn-out sont souvent traités comme des dépressions, alors que les deux maladies n’ont rien à voir l’une avec l’autre », rembobine-t-elle, cigarette à la main, depuis un petit banc en pierre à la lisière du jardin. « Pour une dépression, on conseille aux gens de voir du monde alors que pour un burn-out, c’est tout l’inverse ! Il faut se reposer ! abonde Nadia Droz, psychologue spécialiste de la santé au travail. Puisque le burn-out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle en France, les médecins sont obligés d’invoquer un autre motif sur l’ordonnance et l’arrêt de travail. Ils parlent soit de dépression - qui diffère du burn-out -, soit de trouble de l’adaptation. Mais c’est problématique aussi, puisque cela sous-entend que c’est la faute du salarié de n’avoir pas réussi à s’adapter à une organisation de travail défaillante. »
Bataille politique
Lorsque l’on se rend rue Dubernat, à Talence, un lundi de septembre, un cours de yoga débute pour les résidentes. La professeure est elle-même une ancienne victime, qui s’est reconvertie après son burn-out. De l’autre côté du hall, c’est dans une cuisine aux tons rose pastel qu’une sophrologue accueille trois nouvelles venues. Elles n’ont pas encore adhéré à l’association, qui demande quelques dizaines d’euros par an aux femmes qui viennent régulièrement pour participer aux activités organisées par des bénévoles - souvent d’anciennes bénéficiaires.
Alignées sur un canapé crème, elles évoquent timidement leurs arrêts de travail, la fatigue constante qui ne les quitte jamais vraiment, mais l’envie de travailler à nouveau. « Je voulais reprendre le boulot. Je pensais que cette fois-ci, c’était la bonne. Et puis finalement, j’ai senti que je n’allais pas en être capable », analyse M., des tremblements dans la voix. « Je ne pensais pas que ça serait si long », renchérit S., à côté d’elle. Toutes n’attendent qu’une chose : reprendre leur activité professionnelle et retrouver une vie normale. « Il ne faut pas brûler les étapes », leur rétorque la sophrologue, carnet de notes rose et stylo à la main. D’après une étude du service public fédéral belge, les femmes ont deux fois plus de chances d’être victimes d’épuisement professionnel, notamment à cause des inégalités intrafamiliales qu’elles subissent - c’est la fameuse double journée, durant laquelle elles doivent à la fois gérer un emploi salarié et leur vie de famille.
« Il ne faut pas oublier que ce sont les conditions de travail difficiles qui rendent les gens malades » - Nadia Droz, psychologue.
Investie d’une mission quasi-politique, l’association se rend régulièrement dans les entreprises pour des séminaires à destination des salariés. En apprendre davantage sur le burn-out, c’est parfois le prévenir. « Si on est formé, on peut le repérer assez facilement, explique Anne-Sophie Vives. Cela permet parfois à des salariés ou des managers de l’identifier sur leur collègue et d’éviter au malade de contracter la maladie sous sa forme la plus grave qui laisse beaucoup de séquelles. »
L’initiative permet aussi de mettre sur la table l’épineuse question des conditions de travail. « Il ne faut pas oublier que ce sont les conditions de travail difficiles qui rendent les gens malades », pointe Nadia Droz. Pour la psychologue, également autrice de “Burn out, la maladie du XXIe siècle ?”, la dégradation de la qualité de vie au travail rend les burn-out plus fréquents. « Depuis la pandémie, on observe un resserrement économique dans les entreprises. Le travail est plus intense et il y a moins d’argent pour s’occuper de la santé des salariés. On sent que certaines entreprises se disent : “Mon but, c’est de gagner de l’argent. La santé du collaborateur, on y pensera une prochaine fois”. » Avec son association, Anne-Sophie Vives espère également faire reconnaître la responsabilité des entreprises dans le nombre croissant de salariés en burn-out. « Aujourd’hui, on fait peser le poids du burn-out sur les individus qui n’ont “pas su” (sic) s’adapter à des managements défaillants ou violents, sans jamais les remettre en cause. »
Des maisons de repos privées
Anne-Sophie Vives n’est pas la seule victime à s’être muée en justicière de la cause. D’autres comme elles ont décidé de monter leurs propres structures d’aide après avoir été confrontées à un burn-out. Difficile de les recenser avec exactitude - les projets, très hétérogènes, ne répondent à aucune norme de l’État - mais une dizaine d’associations existent désormais sur le territoire, ainsi que des lieux gérés par des particuliers, parfois des chambres d’hôtes “spécialisées”.
Pour Jean-Baptiste van den Hove, ancien cadre dans les télécoms, l’évidence s’est imposée d’elle-même : « J’avais un désir intérieur et très profond d’aider les autres gens en burn-out », se souvient-il. À l’époque, lui avait passé plusieurs années en cure avec des toxicomanes puis des personnes handicapées pour réussir à se soigner… Sa ferme associative, Au temps pour toi, est submergée par la demande au moment de son ouverture en 2016.
« Au début, je voulais créer une toute petite maison et accueillir quelques personnes qui se reposeraient dans le cadre de séjours d’environ un mois. L’idée était d’accueillir juste suffisamment de gens pour pouvoir se rémunérer nous-mêmes. Sauf qu’en pratique, nous recevions entre dix et quinze demandes par semaine, les médias se sont rapidement intéressés à notre cas. Nous étions submergés », relate-t-il.
Les formules varient. Les structures, qui prennent souvent la forme d’une association subventionnée par l’État, innovent et inventent leurs propres programmes pour remédier à l’épuisement professionnel. Si Les Burn’ettes n’organisent pas de stages longs - seulement des activités ponctuelles -, d’autres établissements accueillent les malades pour des durées pouvant aller de trois jours à plusieurs semaines. Les propositions s’adaptent à la sévérité de la maladie. C’est le cas au Credir, une ONG spécialisée dans la prévention de l’épuisement et du burn-out en entreprise. L’organisation, chapeautée par Jean-Denis Budin, lui-même ancienne victime de burn-out, met en place des stages payants pour aider les salariés à se remettre de la maladie. « On travaille sur le sujet parce que la communauté médicale n’est pas au point, explique cet ancien directeur chez Natixis. La plupart des initiatives qui existent, ce sont des gens comme au Credir qui l’ont vécu personnellement et se spécialisent dans le sujet. » Pour trois jours de soin, le malade doit débourser 3 320 euros s’il paie avec son compte personnel de formation, 2 900 euros s’il tire l’argent de sa propre bourse.
« Il faut que les pouvoirs publics et les entreprises comprennent que c’est dans leur intérêt de prendre soin des salariés et qu’elles prennent leurs responsabilités vis-à-vis du mal-être qu’elles génèrent. » - Clémence Le Divelec, autrice.
Doit-on s’étonner que ces maisons de repos restent l’apanage d’initiatives privées ? « Ça ne me semble pas anormal, avance Jean-Baptiste van den Hove. Le monde associatif a toujours précédé les initiatives étatiques. Avec des aides fiscales, l’État nous confie la responsabilité de faire des essais et le jour où ça fonctionne correctement, il investit. Ça s’est passé comme cela pour d’autres maladies que l’on ne savait pas soigner auparavant, comme l’autisme. »
Si la responsabilité de l’innovation est laissée aux associations, le problème du burn-out doit être pris à bras le corps par les pouvoirs publics, estime Clémence Le Divelec, autrice de La prise en charge du burn-out (éd. Gereso): « Aujourd’hui, le gouvernement fait la chasse aux arrêts maladies “de complaisance”. Si l’on est atteint de burn-out, le terme peut sembler révoltant ! Il faut que les pouvoirs publics et les entreprises comprennent que c’est dans leur intérêt de prendre soin des salariés et qu’elles prennent leurs responsabilités vis-à-vis du mal-être qu’elles génèrent. » Avec près de 3,2 millions d’actifs qui présenteraient un risque de burn-out selon une étude du cabinet Technologia, le syndrome d’épuisement professionnel est d’ores et déjà un problème de santé publique. Plutôt que de laisser la prise en charge de cette maladie à des acteurs privés, la France pourrait imiter le modèle suisse, où les burn-out sont des motifs valables d’arrêt maladie, et permettent aux salariés d’être accompagnés gratuitement par des psychologues spécialisés.
Article édité par Clémence Lesacq - Photo Pauline Roussely pour WTTJ
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