Faut-il dire qu'on est « le candidat idéal » en entretien ? 3 recruteurs répondent

16 juil. 2024

4min

Faut-il dire qu'on est « le candidat idéal » en entretien ? 3 recruteurs répondent
auteur.e
Barbara Azais

Journaliste freelance

contributeur.e

Est-ce “too much” d’assurer que l’on est « le candidat idéal pour le poste » ou est-ce que cette audace a toujours le vent en poupe chez les recruteurs ? On a demandé aux principaux concernés.

En rédigeant nos premières lettres de motivation, lorsque nous n’avons encore ni expérience ni expertise, les seuls atouts dont nous disposons pour nous démarquer sont la confiance en soi, l’audace et la motivation – des qualités souvent fragiles en début de carrière certes, mais que l’on feint plus aisément qu’une expertise que l’on n’a pas. Et sur un marché du travail qui cherche parfois des profils juniors avec tout de même 3 à 5 ans d’expérience (allez comprendre la logique), il faut bien ruser un peu. Ces trois qualités, sur les conseils avisés de nos aînés, nous les résumons très tôt en une seule et même phrase clé : « je suis le candidat idéal pour le poste ». Une promesse subjective, puisque dans les faits nous ne connaissons pas les autres candidats et ne pouvons assurer que nous sommes meilleurs qu’eux, mais qui, à défaut d’avoir de l’expérience, fait mine que nous avons une personnalité affirmée.

Puis au fil du temps, nous avons pris l’habitude de la recycler et de la glisser dans chaque lettre de motivation. Au point qu’elle est devenue un classique pour les recruteurs qui ne la remarquent même plus : « Je l’ai tellement vue dans les lettres de motivation que c’est devenu une banalité, reconnaît Pierre Audierne, DRH chez Smile & Pay. Je n’y fais plus attention, c’est assez cliché ». Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice de ReThink RH confirme que cette formulation est « une consigne très ancrée » chez les candidats « parce que c’est ce qu’on leur a toujours dit d’écrire. » Mais pour Thomas Chardin, fondateur de Parlons RH, cette affirmation « nécessite une certaine prudence. Initialement, cette phrase était peut-être perçue comme un moyen de se démarquer, mais avec le temps, elle peut avoir perdu de son impact en raison de son utilisation excessive. C’est ce qui arrive toujours quand l’originalité devient la norme. »

La preuve par A+B

Ces trois recruteurs s’accordent sur l’importance d’étayer son propos lorsque l’on se vend de la sorte. Car cette formulation seule « ne suffit pas », explique Marie-Sophie Zambeaux. « Il faut argumenter et prouver pourquoi on estime être le candidat idéal pour le poste. Sinon, ce n’est que du déclaratif ». En d’autres termes, du blabla. Car en y réfléchissant bien, « sur quoi se basent ces candidats pour avancer qu’ils sont idéaux, interroge Pierre Audierne. Le dire sans preuve ça sonne creux, ça ne décrit ni leurs compétences intellectuelles, ni leur personnalité. »

Car oui, confirme Thomas Chardin, en plus de sembler « trop générique et de manquer d’originalité », cette promesse « risque d’être perçue comme arrogante sans preuves suffisantes. » Donc si vous choisissez d’affirmer que vous êtes « le candidat idéal », encore faut-il être prêt à le démontrer de façon concrète. C’est-à-dire en parlant des projets que vous avez menés, des résultats que vous avez obtenus ou encore, en appuyant votre propos avec les recommandations de vos anciens managers.

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L’effet Dunning-Kruger

Car les apparences sont souvent trompeuses. « Lorsque l’on reçoit beaucoup de candidatures, on tend instinctivement vers celles des candidats qui semblent avoir le plus confiance en eux, parce qu’on a peur de se tromper, concède Marie-Sophie Zambeaux. C’est plus rassurant. Mais il faut suffisamment réfléchir et calibrer l’entretien pour détecter un éventuel faux positif. » Notamment à cause de l’effet Dunning-Kruger, un mécanisme cognitif mis en évidence en 1999 par les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger. Selon eux, les personnes les moins qualifiées et/ou compétentes auraient tendance à surestimer leurs capacités du fait qu’elles ne seraient pas capables de reconnaître leur incompétence. « C’est que moins on est compétent, moins on a conscience de son incompétence et plus on a confiance en soi, explique la spécialiste. À l’inverse, plus on a la capacité de se remettre en question, plus on se rend compte de ce qui nous reste à améliorer et donc moins on a confiance en soi. »

C’est ce qui est arrivé à Délia, 37 ans, manager dans le tourisme. « J’ai reçu un candidat hyper classe en entretien, raconte-t-elle. Il était sûr de lui et s’exprimait de façon claire avec assurance. Il semblait tellement convaincu qu’il en était convainquant et tellement assuré qu’il me paraissait ultra compétent. Je l’ai embauché et je me suis vite aperçue qu’il ne pigeait rien, ne prenait pas d’initiative et n’était pas investi ».

Le coût d’un recrutement raté

Comme nous l’avons vu dans un autre article, un recrutement raté a un coût financier pour l’entreprise (en moyenne entre 30 000 euros pour un poste de technicien et 150 000 euros pour un poste de dirigeant) mais aussi humain, puisque l’équipe doit recommencer son processus de recrutement avec tous les inconvénients que cela implique (perte de temps, d’énergie, de motivation, retards dans la mise en place des projets, dans le planning des livraisons, etc).

Autant dire que les recruteurs qui sont déjà passés par là – ils étaient 43% en 2023 selon Laure Charbonneau, directrice régionale du cabinet de recrutement Robert Half – sont rôdés et ont besoin de preuves concrètes que vous êtes LE candidat idéal. « Les recruteurs ne peuvent pas se laisser avoir par de l’assurance et doivent tester les compétences des talents avec des mises en situation, des cas pratiques, etc », confirme Marie-Sophie Zambeaux.

Les alternatives pour se vendre

Dans tous les cas, estime Pierre Audierne, « soit on écrit cette phrase en ayant conscience des possibles conséquences - que cela puisse être mal perçu et qu’il faudra, de toute façon, le prouver - et on assume son audace jusqu’au bout pour rester cohérent. Soit on opte pour une autre formulation. Car il arrive que cette phrase écrite perde tout son sens lorsque l’on appelle les candidats, qui se révèlent parfois moins audacieux qu’ils ne le prétendaient. C’est un peu décevant et ils perdent en crédibilité. »

Pour éviter d’en arriver là et mettre toutes les chances de votre côté, il est possible de démontrer que vous êtes « le candidat idéal » sans pour autant paraître vantard ou arrogant. Et surtout, en restant crédible aux yeux des recruteurs. « Vous pourriez utiliser des formulations qui montrent plutôt comment votre expertise et vos expériences spécifiques font de vous un bon match pour le job, explique Thomas Chardin. Telles que : “Mon expérience en [domaine spécifique] et mes compétences en [compétence spécifique] correspondent étroitement aux exigences du poste” ou “J’ai [compétence ou réalisation spécifique] qui est directement applicable aux défis que votre équipe cherche à relever” ».

Opter pour ce genre de formulations est une façon plus aboutie (et peut-être plus mature ?) de démontrer votre potentiel. Enfin, rester soi-même semble encore être la meilleure façon de rester cohérent et crédible tout au long d’un processus de recrutement. Ne serait-ce pas là une grande preuve de confiance en soi ?

Article écrit par Barbara Azais, édité par Manuel Avenel, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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