Le CDD de remplacement : briller mais pas trop, puis partir sans se retourner

« Au début, j’avais une vision très claire de mon rôle : une personne s’absente quelques mois et je ferai le trait d’union jusqu’à son retour », confie Norah (1), 36 ans, chargée de marketing qui a effectué un CDD de six mois pour remplacer une salariée en congé maternité. Son état d’esprit d’alors colle parfaitement au contexte selon la jeune cadre, qui, après une éprouvante expérience professionnelle, ne souhaite plus s’engager sur le long terme : « Au moment où je postule à ce CDD, je suis ravie de me dire que je signe pour un contrat court avec une date de fin. D’ailleurs, je songe déjà à “l’après” avec un certain soulagement… » Fuir la “prison” du salariat est un principe auquel adhère également Paulina. Éternelle freelance, la rédactrice de 35 ans a accepté un contrat de remplacement de six mois pour cause de congé maternité et s’offrir une « parenthèse en entreprise » entre deux piges. « Dès l’entretien d’embauche, mon futur N+2 n’a pas laissé planer de doute : il n’y avait pas de perspectives d’embauche à l’issue de la mission. J’ai apprécié sa transparence et j’ai gardé la moitié de mes missions en freelance à côté pour assurer la suite. »

Si le deal de départ est satisfaisant pour toutes les parties, il n’empêche pas de faire naître les désillusions chez nos deux remplaçantes. Entre une difficile place à trouver et l’attachement qui se tisse au fil des mois, nos témoins révèlent la complexité de la position de « remplaçant » en entreprise et ce qu’il faudrait mettre en place pour mieux l’appréhender.

Dans ses chaussures

« Je veillerai à perpétuer la façon de travailler de ma prédécesseure », s’était donné comme commandement Norah au début de son contrat, par respect pour la personne qu’elle remplaçait. Bien sûr, la chargée de marketing pense qu’elle amènera un peu sa “patte” sur certains sujets, mais il est hors de question de révolutionner les process ou de remettre en question les projets en cours. « Cela n’aurait aucun sens d’arriver avec mes gros sabots et de saccager le boulot de la personne absente alors que je ne suis là que pour quelques mois ! » Au moment de sa prise de poste, elle fait une passation avec la titulaire, ce qui lui permet de bien comprendre les enjeux. Cette chance, Paulina ne l’aura pas : « Quand je prends le poste, elle est déjà partie. Elle me laisse un document fouillé avec toutes les informations dont j’ai besoin, ce qui m’est très utile. Mais le fait de ne pas l’avoir vue, crée une forme de mystère. La seule image que j’ai d’elle, est sa photo LinkedIn. » Tel un fantôme qui plane, elle projette sur la personne remplacée des compétences élevées. « Elle m’impressionne, elle a beaucoup de responsabilités et de casquettes au sein de l’entreprise. » Une pression pèse sur les épaules de Paulina qui s’investit énormément pour se montrer à la hauteur de la personne qu’elle remplace. « Au début, je prends énormément la parole en réunion. Je veux montrer que j’assure, que j’ai pris possession du poste. Et de fait, je me prends au jeu et il devient mien. »

Comment assurer la continuité du travail d’un autre tout en apportant ses compétences ? C’est le plus grand défi posé au remplaçant. Un équilibre très difficile à trouver selon Norah : « J’ai envie de marquer mon temps de passage dans cette entreprise en montrant ma valeur et à la fois je ne veux pas dénaturer le travail de la personne absente. Il ne faut pas qu’elle se sente perdue à son retour, analyse la trentenaire. Je pense à l’avant, à l’après… et c’est parfois difficile d’être dans l’instant présent. » Pourtant, d’après la consultante et coach Delphine Tordjman, c’est l’objectif premier à atteindre dans le contexte d’un contrat court : « En CDD de remplacement, il faut vivre dans l’instant présent. Un jour à la fois sans penser à l’après. Il faut voir cette expérience comme une aventure qui sert à se développer, un peu comme un voyage. »

Selon la coach, les passages en entreprise sont fondateurs dans une carrière, à condition de s’investir pleinement. « La mission est intéressante et porteuse de sens si on joue le jeu et que l’on donne de soi. C’est la seule façon d’apprendre, de créer de véritables connexions avec les collègues, insiste l’experte. C’est ainsi que naissent les futures opportunités. » Même pour quelques mois, il serait vain d’économiser son énergie en étant sur la retenue. Quitte à se brûler les ailes ?

On passe la deuxième

Lancées sur les chapeaux de roue, nos deux remplaçantes carburent à leurs postes, sans craindre les excès de vitesse… « Mon manager me pousse à tester de nouvelles choses. Boostée par sa confiance, je sors du cadre et je me révèle en animant un événement en public avec nos plus gros clients, raconte Norah, enthousiaste. Ma prestation me fait briller dans la boîte et renforce les liens avec l’équipe. » À ce stade, la jeune femme sent qu’un point de non retour est franchi : « Je suis très attachée au poste dont j’ai redessiné les contours en imposant mon style. Je me sens à ma place et j’ai développé un gros affect avec mes collègues. Je sais que ce n’est pas possible, et pourtant je me mets à espérer rester ! » Un état d’esprit qui change à mi-parcours de son contrat, tout comme Paulina, mais pas dans la même direction : « Après trois mois à me donner à fond sur le poste sans m’économiser, je réalise soudain que, bientôt tout sera terminé ! Un déclic qui me pousse à réajuster mon comportement : bien sûr je suis bonne élève et je continue à bien faire mon travail, mais je commence petit à petit à mettre de la distance avec le job. » Une mesure de protection saine pour lui éviter un crash émotionnel.

Pour prévenir les déceptions lors d’un CDD de remplacement, Delphine Tordjman recommande de réfléchir à des objectifs atteignables en amont de la mission. « Il ne faut pas viser de signer un CDI quand on accepte ce type de contrat. Malheureusement, il y a peu de chances que cela aboutisse, quand bien même on a très bien travaillé. En revanche, on peut se fixer d’autres objectifs : acquérir des nouvelles compétences, une meilleure connaissance du secteur, agrandir son réseau… autant de choses dont on bénéficiera pour la suite de sa carrière. » Atteindre ces objectifs apporte alors de la satisfaction aux remplaçants et apaise le manque de récompense parfois ressenti après s’être beaucoup investi.

Un atterrissage avec turbulences

La prise de conscience de l’échéance du contrat laisse un goût amer aux deux remplaçantes. « La date de fin se rapprochant, on se réveille en se rappelant que peu importe les succès, le poste que l’on occupe n’est pas le nôtre », analyse tristement Paulina. Les réunions et les pots d’équipe où l’on se projette sur l’avenir de l’entreprise sont vécus comme des petits coups de poignard dans le cœur de ces salariées, assises sur un siège éjectable. Sans compter que les dernières semaines, les personnes remplacées font leur grand retour au bureau, et c’est au tour des remplaçantes d’assurer la passation sur l’avancement des projets. Une transition qui se fait dans la douleur pour Norah, à qui on propose finalement un poste. La nouvelle est en effet mal reçue par la personne remplacée qui, blessée, malmène la nouvelle recrue. « Elle a l’impression que je lui prends sa place alors qu’un poste supplémentaire a été créé. En même temps, je comprends que ce soit difficile pour elle : de retour après une longue absence, son manager encense mon travail. Elle développe alors un syndrome de l’imposteur. » Si bien que sa collègue demandera une mobilité interne, un mouvement qui laissera Norah prendre sa place au sein de l’organisation.

Pour Paulina en revanche, pas de rebondissements : son contrat se termine à la date prévue, dans une vive émotion. « J’ai eu mal au cœur le dernier jour, et j’ai, à ma grande surprise, pleuré sur mon canapé en recevant les mails de mes collègues et managers à la suite de mon message de départ. C’était triste et en même temps c’était bien la preuve que j’avais vécu quelque chose de fort, une vraie aventure humaine, comme la Star Ac’, lance-t-elle dans un sourire. L’expérience reste très positive, je le recommande. » Philosophe, la rédactrice continue de travailler en freelance pour la boîte qui l’avait embauchée. Mieux, son passage éclair par le salariat a reboosté l’attractivité de son profil auprès de ses clients : elle a depuis triplé ses revenus en freelancing.

« Je suis venu te dire que je m’en vais »

Tout est bien qui finit bien ? Pas toujours, et c’est justement la fin de ces CDD de remplacement qui gagnerait à être davantage anticipée d’après Delphine Tordjman. « Chaque expérience professionnelle qui se termine est un petit deuil, or faire son deuil c’est tout simplement apprendre à bien dire au revoir. » Concrètement en entreprise, cela suggère davantage d’accompagnement et de communication de la part des managers, tant auprès des remplacés que des remplaçants. Mais également la création d’un sas de transition, au début et à la fin du contrat. Quelques semaines de passation, pour que les deux protagonistes puissent apprendre à se connaître et relier le travail effectué au nom de l’autre. Quant aux remplaçants, l’experte leur suggère de s’inscrire dans une démarche proactive pour terminer leur mission en beauté en demandant des feedbacks sur leur travail, en prenant des contacts et en donnant rendez-vous. Bref, tout ce qui permet de sortir de l’entreprise par la « grande porte ».

(1) Le prénom a été modifié.