Carrière & chance : certains salariés ont-ils plus de “bol” que les autres ?
13 févr. 2024
4min
Votre CV, votre détermination et vos heures sup' dicteront-ils, à eux seuls, votre ascension professionnelle ? Si le mythe du self-made-man a encore la peau dure, un autre facteur pourrait s’avérer déterminant dans la construction de nos carrières : la chance. Qui n'a pas déjà vu un ami décrocher une opportunité professionnelle comme tombée du ciel ? Ou qui ne s'est jamais senti dépassé, voire maudit, en voyant le poste parfait lui échapper ? Coup du destin ou simple coïncidence, voyons de plus près l'impact de se trouver « au bon endroit, au bon moment ».
Albert Moukheiber, psychologue clinicien et neuroscientifique, définit la chance comme, « l’opposition à quelque chose de volontaire, une situation où l’on n’a pas mis d’effort ». On comprend ici qu’au-delà des compétences, des facteurs extérieurs et indépendants de notre volonté jouent un rôle crucial. « La ville où nous sommes nés, l’école où nous sommes allés, ou encore si nous avons pris un job juste avant un plan économique, ou ouvert un restaurant juste avant le Covid », énumère-t-il pour illustrer sa pensée. Mais peut-elle réellement influer sur nos carrières ? Et dans ce cas, peut-on apprendre à l’apprivoiser, voire, à la provoquer ?
Le rôle insoupçonné de la chance dans la réussite pro
La chance en milieu professionnel peut se manifester de diverses manières : une rencontre fortuite lors d’un événement, un poste qui se libère justement au moment où vous cherchiez à avancer, ou même une erreur qui, contre toute attente, se transforme en opportunité inespérée. Ce n’est pas juste un coup favorable, c’est souvent le résultat d’une série d’événements et de décisions, dont certaines échappent à notre contrôle.
Sophie, 27 ans, a vu sa carrière d’architecte d’intérieur se lancer sur la nappe d’une pizzeria. « Un simple gribouillage sur la nappe en papier de ce restaurant en bas de chez moi s’est transformé en une conversation animée avec le gérant, pour finir sur un contrat pour refaire tout son aménagement intérieur », rembobine-t-elle. Même chose pour Samuel, 36 ans, ancien coordinateur de congrès, qui a trouvé sa nouvelle voie grâce à une partie d’échec : « J’étais loin de me douter que mon adversaire deviendrait mon futur associé. Ce propriétaire d’une librairie, a reconnu en moi un potentiel inexploité et m’a proposé de collaborer pour revitaliser sa boutique. »
Karine Triouillier, experte en gestion de carrière, le confirme : « La chance dans la trajectoire professionnelle n’est pas une question de hasard pur, mais souvent d’état d’esprit. Utiliser son intelligence émotionnelle et prendre des décisions alignées avec ses intentions sont des facteurs clés. »
Déjouer le sort ou comment surmonter le cycle de la malchance
Tandis que certains semblent avoir été touchés par la grâce dès leur naissance, d’autres luttent constamment contre la loi de Murphy : ce principe implacable qui prédit que « si quelque chose peut mal tourner, cela se produira très probablement ». Julien, 34 ans, développeur web, l’a vécu : « J’ai enchaîné les refus d’emploi, pas par manque de compétences, mais toujours à cause de circonstances extérieures – mauvais timing, restructuration… J’ai fini par me sentir maudit. » Pourtant, loin de se laisser abattre, Julien a adopté une approche résiliente. « J’ai décidé de me concentrer sur ce que je pouvais contrôler : perfectionner mes compétences, élargir mon réseau, rester à l’affût des opportunités… »*, confie-t-il.
Albert Moukheiber commente : « Face à la malchance, il est important de reconnaître les facteurs hors de notre contrôle, autrement dit que l’on ne peut pas influencer, et de se focaliser sur les aspects que l’on peut à l’inverse changer. » Cette approche stoïcienne permet de lutter contre le sentiment d’inefficacité et d’impuissance, tout en maintenant une dynamique positive. Karine Triouillier poursuit cette idée : « La base d’un parcours chanceux, c’est d’exercer l’optimisme. C’est savoir qu’il n’y a personne qui a décidé que tout allait se passer mal. » En cas de coup dur professionnel, il reste donc crucial d’être curieux : rencontrer des gens, poser des questions… « Si on se repose sur ce que l’on croit connaître, on développe des peurs qu’on entretient », ajoute l’experte.
Albert Moukheiber, quant à lui, met en garde contre les visions extrêmes : « Le danger, c’est de tout attribuer à la chance ou à la malchance, ou au contraire tout mettre sur le compte de nos efforts personnels. Cela peut conduire, dans le premier cas, à l’autosabotage, et dans le deuxième, à l’adhésion aveugle à la méritocratie, où les échecs sont uniquement perçus comme un manque d’effort. »
4 clés pour cultiver sa chance dans le monde du travail
Conseil n°1 : faire preuve d’intelligence émotionnelle
Les éléments clés d’une vie professionnelle couronnée de succès (et de chance), c’est « d’utiliser son intelligence émotionnelle, et d’aligner constamment ses actions avec ses intentions ». Mais qu’entend-on par là ? Par exemple « avoir le courage d’aller ailleurs quand on est dans des situations qui ne nous permettent pas de développer notre potentiel, qui nous tirent vers le bas », ou encore « reconnaître ses schémas ». Karine Triouiller insiste sur l’importance d’être à l’écoute de ses émotions pour guider ses choix professionnels, plutôt que de rédiger une énième liste de « pour et contre ».
Conseil n°2 : travailler sur soi
L’experte en gestion de carrière conseille également de ne pas attendre passivement que les opportunités se présentent, mais de favoriser la prise d’initiatives actives : « Il faut travailler sur soi. Est-ce que j’attends que le poste de mes rêves soit disponible, ou est-ce que je prends un autre poste, qui va ajouter à mon expérience ? » Elle suggère notamment d’explorer des projets transversaux, tout en se tenant informé des exigences du marché, en passant régulièrement des entretiens à l’extérieur. Sans oublier l’exploration de soi par le prisme de la formation, du lancement de projets, ou même en changeant de département au sein de la même entreprise.
Conseil n°3 : apprendre à se connaître
Travailler sur soi, c’est également apprendre à mieux connaître son image, celle que l’on renvoie dans le milieu professionnel. Notamment en demandant régulièrement des retours autour de soi. « Il ne s’agit pas d’être parfait, mais de comprendre comment on est perçu », pose Karine Trioullier. Pour cela, il faut aussi apprendre à ne pas se comparer en permanence aux autres « sinon, on risque d’entretenir sa position de victime ».
Conseil n°4 : rester ouvert et positif
« La chance n’est pas une compétence en soi, mais un état d’esprit, conclut l’ experte. *Les gens chanceux sont ceux qui s’ouvrent à de nouvelles possibilités et savent reconnaître et célébrer les moments chanceux. Il y a une pleine conscience que ce n’est pas un état permanent.* »
Si la chance joue indéniablement un rôle dans nos carrières, c’est finalement notre réponse à ces coups du sort qui définit notre parcours. C’est dans l’action, l’optimisme et la résilience que nous pouvons transformer le hasard en opportunité et le risque en réussite. Gardons en tête que notre capacité à saisir la chance, à cultiver notre réseau et à rester en alerte face aux opportunités inattendues, façonne notre réalité professionnelle autant que nos compétences et notre détermination. En fin de compte, la chance sourit véritablement aux audacieux !
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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