Collègues anti-vax VS. pro-vax : comment gérer les tensions au bureau ?
15 sept. 2021
6min
Journaliste indépendante
Jusqu’ici, la rentrée se passait plutôt bien. Vous étiez heureux de revoir vos collègues en chair et en os après des mois passés à distance, de vous lancer dans le récit passionné de vos vacances sans être interrompu par une mauvaise connexion Wi-Fi, et discuter à la machine à café hors écrans interposés. Jusqu’au moment où, entre deux gorgées d’arabica, quelqu’un a posé la question fatidique : « Au fait, vous êtes vaccinés, vous ? » S’en est suivi un débat houleux, à l’issue duquel Jean-Charles, furieusement anti-vax, est parti bouder derrière son ordi, tandis que Charlotte, vaccinée de la première heure, hurlait les résultats des dernières enquêtes sanitaires à qui voulait bien l’entendre.
Depuis début août, le sujet du vaccin déchaîne les passions, et voit s’opposer farouchement pro et « anti-vax ». Si l’on peut espérer que les liens familiaux ou amicaux sont suffisamment solides pour résister à ces différends (encore que), il en va autrement des relations professionnelles, généralement plus superficielles. Comment parvenir à continuer à collaborer en bonne intelligence avec ses collègues, quand on s’est pris le bec sur un sujet aussi clivant ? Celui-ci peut-il mettre à mal durablement ses relations de travail ? Comment passer outre le conflit quand on est contraint de devoir travailler quotidiennement main dans la main ?
Une question qui relève de l’intime
Depuis le 30 août, le pass sanitaire est devenu obligatoire pour les personnes et les salariés des lieux d’activités, de loisirs, de convivialité, des grands centres commerciaux, des transports publics et des établissements sanitaires, relançant ainsi le débat sur la vaccination au sein de la sphère professionnelle. Alors que, jusque-là, ceux qui étaient contre pouvaient encore passer à travers les mailles du filet (au détriment d’une certaine part de vie sociale tout de même), désormais, les salariés concernés doivent montrer patte blanche pour continuer à travailler. Une situation inédite, qui fait craindre à certains que le pass ne s’installe dans la durée, voire ne s’étende à d’autres secteurs professionnels.
Si, pour l’instant, seuls les employeurs des entreprises de certains secteurs ont un droit de regard sur la situation vaccinale de leurs salariés, la question de la vaccination reste brûlante dans nombre d’entreprises. A fortiori au retour des vacances, où récits de voyages et de sorties dévoilent implicitement qui a choisi ou non de se faire vacciner. « Personnellement, je ne suis pas vaccinée, et je sais que tous mes collègues le sont au vu de ce qu’ils ont raconté de leur été. Pour l’instant, j’ai de la chance, nous n’avons fait aucun resto car je viens tout juste de commencer mon nouveau boulot, mais quand il va y avoir des déjeuners d’équipe et que je vais être la seule à ne pas pouvoir y aller, forcément cela va mettre le sujet sur la table », redoute Mélissa, la trentaine, responsable RSE.
Si le sujet est aussi clivant, c’est avant tout parce qu’il contraint à révéler à sa sphère professionnelle une décision qui devrait en théorie relever du domaine privé. Même s’il n’existe en soi aucune obligation à dévoiler sa situation à ses collègues, force est de constater que le sujet est nécessairement abordé dès lors qu’il s’agit d’organiser une sortie au restaurant, un afterwork, ou un séminaire. « Pour moi, le sujet du vaccin appartient au domaine personnel, c’est une question qui touche à l’intimité de chacun. De la même façon que j’estime ne pas avoir à connaître les choix de santé de mes collègues, j’estime avoir le droit de garder privées les raisons pour lesquelles je ne tiens pas à être vaccinée », explique Laure, chargée de communication.
En parler, ou pas ne parler, telle est la question
Pour éviter tout débat stérile, la jeune femme a choisi de taire les détails qui l’ont poussée à faire ce choix. « J’ai préféré ne même pas aborder le sujet, j’ai juste dit que je n’étais pas vaccinée, point barre. J’ai la chance d’avoir des collègues très ouverts d’esprit, et avec lesquels on débat de plein de choses, mais sur ce sujet, je sais que l’on ne va pas arriver à être d’accord. »
C’est aussi la parade pour laquelle a opté Alexia, après avoir eu un échange un peu vif avec l’une de ses collègues à ce sujet. « Nous sommes un petit groupe de collègues avec qui l’on s’entend assez bien : on s’échange souvent des messages, on sort régulièrement… Ma collègue et moi étant enceintes toutes les deux, nos collaborateurs nous ont immédiatement posé la question de la vaccination quand il a été question du pass sanitaire, relate la jeune femme. Nous avons des positions diamétralement opposées, je suis vaccinée, elle ne l’est pas, et nous avons échangé assez vivement sur le sujet avant l’été. Je pensais que nous étions passées à autre chose, mais depuis la rentrée, nos échanges sont assez froids. Je fais comme si de rien n’était pour que la situation revienne à la normale, mais clairement je n’aborderai plus jamais le sujet avec elle ! » Ne pas aborder le sujet du vaccin pour éviter tout conflit peut effectivement apparaître comme une solution pour préserver la bonne entente professionnelle. Mais quid des employeurs qui se retrouvent obligés de poser la question à leurs employés ?
Quand la question ne peut être évitée…
Pour les employeurs des secteurs concernés par l’obligation du pass sanitaire, le sujet se doit d’être mis sur la table. Et si cela ne pose, en général, pas de problèmes aux salariés qui ont déjà reçu leurs deux doses de vaccin, il en va autrement pour ceux qui dont ce n’est pas le cas. Pierre, gérant d’un salon de thé, en a fait les frais. « Nous sommes une toute petite structure, avec une seule employée. Nous nous sommes toujours très bien entendus, et je savais qu’elle n’était pas favorable au vaccin. Jusque-là, cela ne nous avait jamais posé problème : elle m’avait exposé ses raisons, je n’adhérais pas, mais ce sont ses choix et je n’ai pas à les juger. Mais depuis que le pass est devenu obligatoire, je ne peux plus l’employer si elle n’est pas vaccinée. Ce qui était un non-sujet est devenu assez conflictuel : j’ai dû suspendre son contrat car je n’ai aucun autre poste à lui proposer. Elle a bien compris mes raisons, mais toujours est-il que ça a jeté un froid. Si le pass est supprimé mi-novembre et qu’elle revient, je crains que nos relations ne soient plus vraiment les mêmes… »
Continuer à collaborer ensemble après avoir été en conflit sur un sujet aussi clivant, voilà une problématique qui risque de toucher de plus en plus de travailleurs. Notamment pour les employeurs, amenés à priver certains salariés de leur emploi lorsqu’ils refusent de se soumettre aux règles sanitaires, et avec lesquels les relations étaient jusque-là plutôt au beau fixe.
Comprendre ses collègues et respecter l’opinion de l’autre
Pour ne pas s’enfermer dans un débat stérile, ou à l’inverse éviter d’aborder un sujet qui risque de faire irruption à la moindre pause-déjeuner, le coach en management Léo Pierre propose plutôt de voir ces moments de tension comme des occasions de s’interroger sur ce qui nous touche réellement derrière ce débat en faveur ou contre le vaccin. « La question du vaccin soulève les notions de liberté, de bien-être, de famille, de responsabilité…, explique-t-il. Mais ces mêmes notions peuvent résonner de façon très différente selon les gens. Prenons la liberté par exemple : certains vont dire qu’ils sont en faveur du vaccin car il leur donne la liberté de se déplacer, là où d’autres sont contre, car ils considèrent qu’au contraire il les prive de leur liberté de choix. Le sujet du vaccin peut donc être vu comme l’opportunité de mieux se connaître et de mieux comprendre ses collègues : quelles valeurs entrent en jeu ? Pourquoi cela nous fait réagir si fortement ? Quelle corde sensible cela touche ? » Plutôt que de susciter un débat sans issue, il s’agirait alors d’en profiter pour s’interroger sur les émotions que la question suscite, chez nous comme chez nos collègues, afin de mieux parvenir à communiquer ensemble.
Enfin, quand le débat est lancé et que les opinions semblent irréconciliables (ce qui, soyons honnêtes, est souvent le cas), mieux vaut s’arrêter là, et ne pas essayer à tout prix de convaincre l’autre. « Il s’avère que je travaille très bien avec mes collègues, et habituellement je n’ai aucun problème à discuter ouvertement de sujets “touchy”, mais parfois, il faut savoir ne pas rentrer dans le débat si celui-ci n’apporte rien, explique Laure. À mon sens, c’est aussi ça le respect dans le travail : ne pas se battre pour faire changer d’avis à tout prix des gens qui ont des convictions différentes. On peut tout à fait s’entendre et travailler en bonne intelligence en ayant des points de vue opposés fort heureusement ! »
Ne pas aborder le sujet du vaccin au travail semble difficile, mais il est toutefois possible d’en parler en écoutant les arguments de chacun, en marquant son désaccord si besoin, sans forcément chercher à tout prix à rallier ses collègues à son opinion. Et si la dispute a éclaté, rien ne sert de revenir sur le sujet : mieux vaut passer à autre chose, et se rappeler que l’on n’est pas obligé d’être d’accord sur tout pour bien collaborer avec ses collègues !
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Photo by WTTJ
Édité par Romane Ganneval
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