Retenir les prénoms de ses collègues : un superpouvoir qui fait la différence
19 déc. 2024
5min
Retenir les prénoms des autres, un exercice en apparence banal, qui peut vite devenir un défi dans le tumulte du monde professionnel. Qu'il s'agisse de maintenir une relation cordiale avec un collègue ou d'impressionner un client potentiel, oublier un prénom peut nous plonger dans un moment d'embarras. Pourquoi cette difficulté persiste-t-elle, et comment y remédier ? Entre neurosciences et astuces pratiques, plongeons dans les méandres de notre mémoire.
Coincée entre un serveur stoïque et son plateau de mini-pizzas tristement tièdes et une colonne ionique qui semble mieux à sa place dans un musée que dans ce cocktail corporate, vous vous forcez à sourire. Quinze minutes à peine après votre arrivée, l’atmosphère vous paraît déjà suffocante. L’écran de votre téléphone, avec son éclat froid et rassurant, devient alors votre bouée de sauvetage. Vous scrollez, mais une question reste suspendue : À qui parler ? A cet after work , tout le monde semble connaître tout le monde, sauf vous. Vos collègues alliés habituels de soirée brillent par leur absence, et les rares visages vaguement familiers se fondent dans une masse d’inconnus. Le pire ? Vous avez oublié leurs prénoms. Vous êtes seule, vulnérable, et à deux doigts d’une crise existentielle : « Ces gens sont-ils des clients potentiels ou, pire, des partenaires actuels que je devrais déjà être en train de saluer ? »
Retenir les prénoms au travail, une stratégie de survie sociale
En temps normal, vous êtes consultant·e, et l’art de la bise sociale n’a plus de secret pour vous. Vous le faites avec une aisance presque arrogante, comme ces habitués de l’apéro qui savent toujours quand plonger leur main pour choper la dernière pistache. Mais ce soir, quelque chose cloche. Vous êtes un·e funambule, tentant de naviguer sur le fil tendu du networking, oscillant dangereusement entre la maladresse et l’éclat. Un homme capte votre regard. Cheveux poivre et sel, lunettes subtilement onéreuses, il distribue des poignées de main avec une énergie mesurée. Ce sourire… il vous rappelle quelque chose. Mais quoi ? Un prospect ? Le mari de l’organisatrice ? Vous hésitez, et le prénom qui pourrait résoudre ce mystère s’est évaporé dans le chaos des conversations, des rires trop appuyés, et du clink incessant des verres de vin blanc.
C’est à ce moment précis que vous regrettez amèrement de ne pas avoir suivi les astuces d’Emily Cooper, le personnage principal de la série Emily in Paris, qui associe les prénoms à des adjectifs absurdes pour les mémoriser. Mais il est trop tard. Vous êtes là, à scruter désespérément la salle, espérant un miracle. Ce miracle arrive sous la forme d’une femme anglaise, venue à votre rescousse avec un accent charmant et une conversation légère. En sortant de là, vous vous rappelez cette leçon apprise en cours de latin au collège, lorsque votre professeur citait la célèbre phrase de Platon : « Connaître les noms, c’est connaître la nature des choses. » Dans l’univers impitoyable des cocktails d’affaires, ne pas connaître les prénoms, c’est presque un crime social. Sur ce sujet, le monde professionnel est moins indulgent que la cour de récré : même quand on ne travaille pas dans la communication, le commerce ou les ressources humaines, savoir qui est qui est une preuve de respect et une démonstration de vos compétences sociales.
La scène emblématique dans Le Diable s’habille en Prada où Miranda Presley exige de son assistante qu’elle retienne les prénoms des invités n’est finalement pas un caprice de diva. C’est une stratégie de survie sociale. Les études, comme celles du psychologue Devin Ray, ne laissent aucun doute : l’oubli d’un prénom, aussi anodin soit-il, opère une sorte de fracture invisible entre les individus. Ce n’est pas juste un détail qui s’échappe, c’est un message implicite : « Tu n’es pas important pour moi. » Ce peut être un oubli fortuit, sans intention malveillante, mais le signal envoyé est celui d’une indifférence, d’une déconnexion. Laura King, psychologue à l’Université du Missouri, va plus loin encore : « Ne pas se souvenir d’une personne, c’est presque une insulte. » Elle ne parle pas de méchanceté, mais du simple fait que l’absence de mémoire personnelle peut laisser l’autre se sentir dévalorisé, comme si son existence n’avait pas été pleinement intégrée. Face à ce péril, chacun développe ses techniques. Certains déploient un art subtil pour éviter les noms : une discussion floue mais engageante, un regard furtif vers un badge, ou un signe discret pour qu’un collègue murmure l’information manquante.
Pourquoi votre cerveau refuse de retenir les prénoms de vos collègues
Vous avez beau faire des efforts pour éviter d’être confronté à ce genre de situation, rien n’y fait ? Vous êtes loin d’être un cas isolé. Et pour cause, « nous sommes des êtres visuels », rappelle Clea Warburton, neuroscientifique à l’Université de Bristol, dans Science Friday. Une étude publiée en 1986 dans le British Journal of Developmental Psychology est venue appuyer ce constat. Lorsqu’on a demandé à des participants de se souvenir d’éléments tirés de faux CV, ils ont retenu les parcours professionnels, les loisirs, les lieux de résidence. Mais les noms ? Envolés.
Pourquoi ces prénoms glissent-ils entre nos synapses ? Une explication plausible est qu’ils ne disent pas grand-chose de ceux qu’ils désignent. Un prénom est un mot vide, sans aspérité. Contrairement à un surnom ou à une description visuelle. La princesse aux cheveux rouges ? On s’en souvient. Le chat botté ? Impossible d’oublier. Mais Nicolas ? Marie ? Des prénoms sans relief. Zenzi M. Griffin, chercheuse en sciences cognitives à l’Université du Texas, va plus loin dans son étude : « Les noms propres sont difficiles à mémoriser, car ils ne s’inscrivent pas dans la structure cognitive des informations que nous associons aux personnes. » À l’inverse, les surnoms ou les titres établissent un lien affectif ou descriptif immédiat. Alors, la prochaine fois que vous hésitez, souvenez-vous : ce n’est pas vous, c’est votre cerveau. Peut-être qu’un surnom bien senti – « le marathonien de l’open space », « la magicienne des tableurs » – pourrait vous tirer d’affaire. En attendant, il reste toujours le bon vieux « Salut ! ».
Des astuces pour mieux retenir les prénoms
Paul ? Ou peut-être Pierre ? À moins que ce ne soit Pascal ? Si seulement vous aviez pris le temps de faire une sieste. C’est en tout cas ce que préconisent des chercheurs de l’Université Northwestern, dans l’Illinois, qui ont publié une étude dans la revue Nature. À l’issue de leurs tests, ils ont découvert que les vingt-quatre volontaires retenaient bien mieux les prénoms de leurs interlocuteurs après une brève sieste. Une conclusion qui, en apparence, semble évidente : bien dormir, c’est mettre son cerveau dans des conditions optimales.
Mais allons plus loin avec la technique de répétition. Comme un ordinateur, le cerveau jongle entre sa mémoire vive, éphémère et saturée en quelques secondes, et un disque dur aux capacités infinies : la mémoire à long terme, là où finissent, avec un peu de chance, les prénoms. Pour mieux les retenir, vous pouvez demander à votre interlocuteur de répéter son prénom, sans craindre de passer pour distrait. « Excusez-moi, j’ai mal entendu, c’est Sophie, n’est-ce pas ? » Glissez-le ensuite dans la conversation : « Alors, Sophie, que pensez-vous de… » Avant de conclure avec un « Merci Sophie, ravi de vous avoir rencontrée. » Une fois hors de vue, notez ce prénom sur un carnet ou envoyez-lui un e-mail : le simple fait d’écrire le mot enfonce plus profondément ce dernier dans les méandres de votre disque dur interne.
Comme nous l’avons vu, faire l’effort de retenir les prénoms de ses collègues ou de ses interlocuteurs est bien plus qu’une simple politesse : c’est une preuve de respect et un outil précieux pour renforcer vos relations professionnelles. Toutefois, il est important de se rappeler qu’un trou de mémoire peut arriver à tout le monde, même aux plus attentifs. Alors, ne culpabilisez pas : une attitude sincère et quelques astuces, comme noter ou répéter les prénoms, peuvent vous éviter de vous retrouver dans l’embarras. Et si tout échoue, un sourire désarmant accompagné d’un « rappelle-moi ton prénom, s’il te plaît » suffira à briser la glace. Après tout, nous sommes humains, pas des disques durs infaillibles.
Article écrit par Romane Ganneval, édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps
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