« Un matin, à la pause café, j'ai fait mon coming out »
27 févr. 2020
6min
48% des personnes LGBT+ n’ont pas fait leur coming out au travail, selon une étude du magazine Têtu, tandis que 35% des interrogés pensent qu’être out au travail peut représenter un risque pour leur carrière. C’était le cas de Jean-Baptiste avant qu’il ne fasse son coming out un matin, à la machine à café. Et que tout s’accélère. Entretien.
Jean-Baptiste, aujourd’hui tu es out au travail et fier de l’être, mais ça n’a pas toujours été le cas. Quand est-ce que tu as commencé à vivre et à revendiquer ton homosexualité ?
Je me suis assumé relativement tard en fait. C’est à partir de mes 21 ans que j’ai commencé à vivre mon homosexualité, sans forcément me dire homo, parce que j’ai vécu une phase de transition un peu trouble où je me considérais davantage comme “hétéro curieux”. Autrement dit, je ne vivais pas une vie 100% accomplie en tant que personne homosexuelle, contrairement à aujourd’hui. C’est donc dans ma vingtaine que j’ai commencé à apprendre les codes de l’homosexualité, de la culture LGBT+, de la drague, etc.
Puis, tu as décidé d’en parler au travail. C’était comment la première fois où t’as dit à quelqu’un au bureau que t’étais homo ?
C’était dans mon entreprise actuelle. Un collègue m’a demandé si j’avais une copine et j’ai juste répondu de manière très naturelle : « Non je suis gay, je suis célibataire en ce moment mais j’ai des dates ». À partir de là, je me suis rendu compte que c’était ok. Mon collègue s’est montré très ouvert et je me suis dit bon, je vais être out au travail sans problème !
Tu n’avais donc pas préparé le terrain ?
Il faut savoir que je suis quelqu’un de très out aussi sur les réseaux sociaux, donc en fait mes collègues me suivaient déjà depuis longtemps et voyaient que je postais des choses très régulièrement sur la pride, sur l’égalité, l’inclusivité, la culture LGBT… Ils ont pu faire le rapprochement facilement.
Est-ce que quand tu n’étais pas encore out au travail, cela te pesait ou, au contraire, tu t’en fichais ?
Un peu des deux en réalité. J’avais l’impression de ne pas pouvoir être moi-même et de ne pas pouvoir être honnête avec mes collègues de travail à l’époque. Même dans les relations informelles qu’on pouvait avoir au travail, à la machine à café ou même à la pause déjeuner où on discutait de nos vies, j’étais toujours un peu en retrait et je n’osais pas vraiment me dévoiler. Ne serait-ce que sur mes goûts musicaux par exemple ! Je me gardais de dire que j’écoutais du Nicki Minaj. Donc je sentais que j’étais en train de cacher qui j’étais, ça a été assez difficile.
Parfois, je m’inventais carrément une vie sentimentale. Je parlais de ma copine ou, tout simplement, si on en venait à me poser la question, je disais que j’étais hétéro.
Est-ce que quand tu rentrais chez toi le soir tu te sentais mal à l’aise avec ça ?
Oui, car souvent j’avais l’impression de faire un pas en avant pour deux pas en arrière. À l’époque je commençais ma vie de jeune homme gay, mais je continuais à mentir sur la personne que j’étais au travail. Je sentais que je trahissais qui j’étais.
Tu te souviens d’un moment particulier ?
C’était plus des moments ordinaires du style « Oh elle est jolie cette fille » où j’acquieçais aussi. Sauf que pour mes collègues, quand ils parlaient de cette fille, c’était parce qu’ils étaient attirés alors que moi je me fondais juste sur des critères purement objectifs. Evidemment je ne l’ai pas verbalisé comme ça mais je faisais tout pour essayer de m’intégrer. Je les rejoignais aussi sur certaines blagues qu’aujourd’hui je considère très violentes, parce qu’elles sont potentiellement sexistes, alors que je ne m’en rendais pas vraiment compte à l’époque. En revanche, j’ai plus de souvenirs de moments d’homophobie ordinaire vécus une fois que je me suis vraiment assumé.
Tu l’as ressenti comment, cette homophobie ordinaire ?
Déjà, je me suis beaucoup confronté au cliché du « dans le monde du marketing et de la communication, il y a beaucoup d’homosexuels », sauf que dans les boîtes dans lesquelles j’ai évolué ce n’était pas du tout le cas, par exemple. Mais c’est à partir du moment où j’ai commencé à être out que je me suis vraiment rendu compte que la langue française et les expressions utilisées au quotidien sont bourrées de clichés, de stigmates homophobes, ou plus « follophobes », liés au fait qu’un homosexuel sera forcément fragile, une “tapette”, une “lavette”. À l’époque, même quand j’étais déjà out, je ne faisais pas de remarque. J’en rigolais carrément pour essayer de m’intégrer ! Et au fur et à mesure je me suis rendu compte que toutes ces remarques là n’étaient pas anodines, j’ai commencé à leur faire comprendre que ce n’était pas ok et petit à petit ils ont arrêté de les utiliser. Peut-être qu’ils le disent encore, mais ils ne le font plus en ma présence.
Et, au quotidien, est-ce que tu as déjà rencontré des gens homophobes ?
Pas des gens vraiment homophobes, non. En revanche, j’ai rencontré des cas un peu particuliers. J’ai connu des collègues ou des supérieurs hiérarchiques homosexuels, qui avaient des propos homophobes soit à mon égard, soit en général. Un jour, dans l’open space, un collègue m’a traité de « jeune pd». Parce que nous étions tous les deux gays, il a dû penser que nous étions dans une sorte de proximité mais personnellement, je l’ai vraiment vécu comme une insulte. Même si je comprends l’utilisation du terme “pd” dans une logique de réappropriation des insultes et des stigmates, cela n’a pas sa place dans une relation professionnelle. Qu’on soit homo ou pas, nous n’étions pas suffisamment proches pour qu’il se permette ce genre de remarques. J’ai dû lui faire comprendre que c’était déplacé. Après, ce n’est pas simple parce qu’on n’a pas toujours les ressources pour répondre à des remarques homophobes, surtout quand on veut le faire passer sous le couvert de l’humour.
Et aujourd’hui tu les as, ces ressources ?
Je pense que j’y arrive de plus en plus. Mais c’est aussi le fait de savoir que mon entreprise actuelle est très bienveillante et que mes supérieurs me soutiennent. Par exemple, récemment je devais aller faire un voyage à Dubaï et j’ai dit à mon supérieur « Écoute, les Emirats Arabes Unis ce n’est pas génial pour les personnes LGBT+ » et il m’a dit : « Pas de problème, t’y vas pas, j’irai à ta place ».
De la même manière que si un jour je reçois des remarques homophobes, je n’hésiterais pas à dénoncer la personne au RH en disant que c’est inapproprié en entreprise.
Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Ils sont toujours nombreux à ne pas oser être out parce qu’ils pensent que cela peut représenter un risque pour leur carrière…
Je pense que ça peut être un frein à plusieurs niveaux : ça peut être un frein en entretien, mais aussi en entreprise, en fait dès que l’on a une personne homophobe en face de soi. Dans mon cas, c’est d’autant plus fort puisque j’ai fait le choix d’être vraiment 100% out : je le crie haut et fort sur les réseaux sociaux et même sur les réseaux sociaux professionnels. Même sur LinkedIn.
Sur LinkedIn ?
Alors j’ai pas mis “#gay” dans ma biographie mais je poste très régulièrement du contenu sur la communauté LGBT+. Ce qui peut être gênant pour certains types d’entreprise. Aujourd’hui, une entreprise qui me refuse à cause du contenu que je choisis de partager sur Instagram, Twitter ou LinkedIn, ce sera une entreprise dans laquelle je ne me sentirais pas à l’aise et où je ne pourrais pas évoluer. Donc, c’est aussi une démarche qui me sert.
En faisant ça tu te protèges en quelque sorte ?
En effet, pour moi c’est une protection, mais c’est aussi un moyen de sensibilisation qui est assez important, je trouve. C’est aussi pour ça que je poste des contenus LGBT+ sur LinkedIn) par exemple. Parce qu’en fait, les problématiques de diversité et de représentation des LGBT+ touchent toutes les sphères de la société, donc aussi l’entreprise.
Je discutais justement de ça avec une amie homo qui me disait « Je vois pas pourquoi je devrais faire mon coming out au travail, ça ne regarde que moi, c’est ma vie privée », mais je pense qu’il faut en parler. J’ai un exemple très concret : j’ai parlé des agressions homophobes à des collègues et ils n’en avaient pas entendu parler. Donc pour moi, ma manière d’être out c’est ça : ce n’est pas toujours dans la revendication, c’est aussi la sensibilisation.
Mais pour beaucoup c’est aussi une question de vie privée. Pour toi ce n’est pas du tout le cas?
Pour moi, c’est aussi politique. Je me suis tellement caché tout au long de ma vie que maintenant j’ai l’impression de posséder à nouveau toutes mes identités, toutes mes facettes, en un seul profil en fait. C’est aussi pour ça aussi je suis hyper ouvert sur des sujets qu’on peut considérer privés.
Je me suis tellement caché tout au long de ma vie que maintenant j’ai l’impression de posséder à nouveau toutes mes identités.
Cette témoignage est issu de l’épisode « Celui qui avait fait son coming-out » de notre série de podcasts Le Bureau. Pour découvrir d’autres histoires de travail, qui questionnent ce qu’on met de nous dans ces milliers d’heures passées au travail, rendez-vous sur notre page dédiée.
Photo d’illustration by Giordano Poloni
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