Pour une communication plus apaisée, et si on adoptait la CNV au travail ?
22 juil. 2019
9min
Communications & content manager
Le mail lui a échappé. Ou plutôt, Louisa n’a pas tourné son clavier sept fois entre ses mains avant d’appuyer sur “envoi”. Ça y est, Robin l’a reçu. De loin, la jeune femme voit le visage de son collègue se crisper. Bientôt, les pommettes tournent au carmin. Un regard furibond traverse l’open-space. Puis, tel un ressort, Robin saute de sa chaise. Louisa se rapetisse sur la sienne. Il marche vivement vers elle. C’est un boulet de canon propulsé à pleine vitesse. Impact dans 3, 2, 1…
La violence verbale est dangereuse pour la santé. Pour le bon déroulement de la journée de chacun, nous nous réservons le droit de passer sous silence cette conversation houleuse. En tout cas, nous espérons qu’à présent vous imaginez pourquoi nous avons tous besoin de la communication non violente au bureau (et dans la vie).
Voici un petit récap’ pour vous indiquer à quoi elle sert, quels en sont les grands principes et vous donner des pistes pour l’utiliser dès demain au travail. Prêts ?
Un peu d’histoire
Mise au point par le psychologue américain Marshall B. Rosenberg (1934 - 2015), la communication non violente (abrégée en “CNV”) est un processus d’échange visant à être bienveillant avec soi et à s’écouter pour ensuite mieux se lier à l’autre.
Cette méthode - que certains considèrent comme un art de vivre - tend vers l’analyse de ses sentiments et ses besoins pour entrer en communication de manière vraie, empathique, authentique et surtout responsable avec autrui.
Le terme “non violent” est une référence à l’ahiṃsā (“non violent” en hindou) de Gandhi. Il désigne à l’origine la forme pacifique de résistance qui a conduit l’Inde à l’indépendance. Il a été repris par Rosenberg pour son éloquente symbolique.
Le principe de la CNV
Toujours selon Rosenberg, la CNV a pour enjeu de nous aider à communiquer avec le cœur même dans des situations de conflit, grâce à trois étapes complémentaires et successives. Pour mieux comprendre ce fonctionnement, nous avons interrogé deux expertes de la CNV : Cyrine Hayouni, formatrice en communication relationnelle, coach et conférencière, ainsi que Clémentine Lego, artisan de la relation, coach professionnel, médiatrice en Communication Non-Violente (CNV) et auteure du livre Ces liens qui nous révèlent aux éditions Leduc.s. Voici donc les trois enjeux principaux de la CNV :
1. L’auto-empathie
Cyrine et Clémentine sont formelles, on peut difficilement aller parler à l’autre sans avoir pris un temps de clarification pour soi.
Et ce qui est bénéfique dans la CNV, nous explique Clémentine, c’est que c’est « un outil bienveillant et empathique. » Pour elle, cette méthode « aide à reconnaître ses émotions et ses besoins. Rosenberg disait que la violence, quelle que soit sa forme, est l’expression tragique de besoins insatisfaits. Or, en identifiant ses émotions et ses besoins, on ouvre les portes pour se connecter aux autres. »
Elle poursuit : « La CNV sert notamment à exprimer des émotions (agréables ou désagréables, c’est important de dire aussi ce qui va bien !), sans être pour autant violent. Cela responsabilise les relations car on accepte ce que l’on ressent comme nous appartenant. De plus, on ne fait pas de reproches à l’autre. Et enfin, on prend le temps de lui partager ce qui est vivant en nous. Cela crée une proximité, une confiance et une ouverture à l’autre qui métamorphosent complètement la teneur des discussions. »
L’exemple : quand je vois que mes objectifs trimestriels sont trop élevés pour que je les atteigne, je ressens du découragement, de la colère et de l’agacement. Une fois que j’ai accueilli ces sentiments comme ma réaction dans cette situation, je peux réfléchir aux solutions à mettre en place pour réduire ma charge de travail et formuler, pour moi, une demande pacifique pour que mon boss adapte la feuille de route. Et comme je vais la formuler de manière apaisée en expliquant le pourquoi de ma demande, j’ai beaucoup plus de chances qu’il accepte.
2. L’expression authentique
Le principe : dire ce qui se passe en nous clairement et de manière à ce que l’interlocuteur comprenne et accepte ce message
Cyrine nous explique en quoi elle consiste et pourquoi il est important de la formuler d’une certaine façon : « Si on aborde l’autre en lui parlant de comment on se sent et de ce dont on a besoin, plutôt que de ce qu’on lui reproche, cela facilite énormément l’échange. »
L’exemple : « Quand pendant la réunion j’ai évoqué tel sujet et tu m’as coupé la parole pour rectifier, je me suis sentie mal à l’aise parce que j’aurais eu besoin d’aller au bout de mon propos. »
3. L’empathie
Le principe : écouter et recevoir avec bienveillance le message de la personne en face, de façon à instaurer un réel dialogue.
Cyrine l’assure, « Il est beaucoup plus facile de parler à quelqu’un quand on envisage que son point de vue est aussi valable que le nôtre. Je peux dire les choses tranquillement, de mon point de vue, de la manière dont j’ai vécu la situation. Et cela tout en sachant que cela reste ma perception propre, et en évitant de l’imposer au reste du monde. Partant de ce constat, c’est plus facile d’aborder les choses. »
L’exemple :
« - Voici ce que j’ai compris et observé de telle situation. Est-ce que c’était cela pour toi ?
- Non, je pensais plutôt que c’était (…) »
Pour Cyrine, quand on accepte le témoignage de l’autre comme tout aussi valide que le sien, c’est plus facile de se rencontrer, de se comprendre. Cela crée du lien et du respect.
Clémentine précise que cette posture empathique « permet au cours d’une crise, d’avoir une écoute sensible, d’entendre ce qui se passe réellement pour l’autre. Après, on décide si on est d’accord ou pas. Mais quoi qu’il se passe, on instaure un dialogue de qualité et on est dans la réponse plutôt que la réaction, loin de la réaction primaire qu’amènent les émotions fortes qui ne sont pas canalisées en amont. Être en empathie avec soi-même et avec les autres permet de faire circuler de bonnes et belles énergies. On se sent mieux avec soi-même et avec les autres. »
Comment favoriser la réussite de ces trois étapes ?
Deux conditions préalables sont nécessaires :
- Une intention claire des deux parties de favoriser l’écoute, le dialogue et la compréhension
Ce processus change tout au dénouement de la discussion, comme nous l’assure Cyrine. « Quand je convoque une réunion, que je parle à quelqu’un, il faut d’abord avoir clarifié mon intention. Est-ce créer de l’harmonie dans l’équipe, de laisser la place à l’innovation, de faire contribuer chacun ou est-ce plutôt imposer mon point de vue ou ma décision ? C’est décisif pour faire aboutir favorablement une discussion que l’intention soit bienveillante. »
- Une concentration sur l’écoute et le fait d’être vraiment dans “l’ici et maintenant”.
En somme, ces quatre étapes sont, d’après Clémentine, « le moyen de développer l’empathie tout d’abord avec soi-même puis avec les autres. Cela contribue à la bienveillance. Au lieu d’utiliser le « tu » qui tue on parle avec le « je », cela change déjà pas mal de choses… La CNV transforme en outre le « ou » en « et », pour ne plus être dans la dualité et l’opposition mais dans la conciliation et l’association. »
Quels sont les bienfaits de cette méthode au travail ?
Au bureau, la CNV est une baguette magique pour :
- Mieux communiquer avec son manager et lui faire des retours constructifs sur son mode de management, tout en douceur ;
- Formuler à son chef une demande quelle qu’elle soit : sur les modes de communication, les objectifs fixés, le salaire…
- Partager un ressenti négatif, une déception, en étant cependant dans la construction et dans la recherche de solutions ;
- Tuer dans l’œuf des conflits avec ses collègues ;
- Partager de façon non dogmatique son point de vue sur la stratégie, l’organisation ou les étapes d’un projet ;
- Installer ou rétablir la confiance avec un collègue ou un supérieur hiérarchique.
Comment pratiquer la CNV ?
L’expression de la communication non violente se fait en quatre étapes.
1. L’observation
Il s’agit là de la phase d’introspection. L’idée est de repérer toutes les pensées, positives et surtout négatives, derrière une situation pour comprendre dans quel état émotionnel on est.
« La première étape essentielle, c’est l’observation. Cela consiste à comprendre la situation sans la juger. À être le plus objectif possible sur ce qui se passe. À essayer de ne pas y plaquer des jugements, ne pas faire jouer la salle des archives (soit, ruminer le passé) et rester le plus factuel possible. » explique Cyrine.
2. L’identification d’un sentiment
Grâce à l’observation, on peut sentir comment était notre température intérieure et mettre le doigt sur notre sentiment dominant. La CNV propose de l’affiner autant que possible via des listes de plusieurs centaines d’états émotionnels distincts.
Exemple : pour la colère, en allant crescendo, on peut citer : agacé, énervé, contrarié, courroucé, saturé, ulcéré, fâché, gonflé à bloc, sur le point d’exploser, frémissant de colère, furieux, dans une colère noire, furibond, en rage, fulminant de rage…)
3. La reconnaissance d’un besoin
Le sentiment désagréable induit la présence d’un ou plusieurs besoins inassouvis. Pour Rosenberg, ils sont universels et communs à tous les Hommes, seules les “stratégies” pour les combler diffèrent.
Exemple : si une personne a besoin d’être plus à l’aise financièrement, l’entreprise peut lui payer du sport, une formation ou une complémentaire si elle ne peut pas augmenter son salaire)…
Dans chaque situation, le besoin peut être différent. Il faut donc savoir auquel on a affaire pour pouvoir dénouer le problème.
4- La demande
Elle doit être humble, ouverte, précise, formulée clairement et positivement. Et surtout, elle ne doit pas avoir d’exigence, elle doit être négociable.
Exemple : « Quand je vois que je ne suis pas mentionnée dans la présentation de notre travail commun devant notre hiérarchie, je me sens déçue et vexée. J’ai besoin d’être reconnu-e et considéré-e pour ce travail au même titre que toi, puisque j’ai tout autant contribué. La prochaine fois que tu présenteras un projet sur lequel nous aurons travaillé ensemble, serais-tu d’accord pour mettre mon nom à côté du tien ? »
Cahier d’exercices pratiques
Pour apprendre, rien de mieux que la pratique. Voici quelques exercices proposés par Cyrine et Clémentine pour vous entraîner.
Poser les bases du dialogue
Le principe : écrire son intention pour la discussion qui va suivre.
Cyrine remarque que souvent, on confond deux objectifs : avoir raison et comprendre la raison pour laquelle une décision a été prise. Il faut avoir de l’humilité de creuser pour comprendre ses motivations profondes et ainsi poser de meilleures bases pour dialoguer.
La gratitude
À utiliser dès que possible à l’oral et à l’écrit sans modération. Remercier pour établir des relations respectueuses. Clémentine pense notamment aux réponses par écrit par mail ou autres outils de communication. En voulant aller vite, nous oublions souvent ce geste simple et gratifiant.
Le lâcher de chacal
Le principe : “écrire, déchirer, brûler”
Cyrine propose d’écrire sur une feuille volante (qui sera jetée ensuite) tout ce qu’on a en tête de négatif, désagréable, frustrant, colérique sur une personne ou une situation, sans se censurer. « Parfois, assure-t-elle, on est débordé par les émotions. Donc, lâcher sa colère sur papier avant de parler est clé, surtout pour les extravertis et les émotifs, qui pourraient la lâcher sur l’autre à la place ! »
Le “vis ma vie”
Le principe : se mettre dans la peau de l’autre.
Qu’est-ce que j’imagine qu’il perçoit ou qu’il comprend de là où il est ? Que peut-il penser de cette situation ? Se poser de telles questions permet de « de voir que nos deux points de vue sont valables. Cela efface la notion d’avoir tort ou raison et cela permet de co-construire», assure Cyrine.
Le bonhomme griffonné
Le principe : ralentir pour clarifier une situation avant d’agir.
Pour comprendre les étapes de la CNV, Clémentine dessine un bonhomme. « Il y a la tête, le cœur, le ventre et les jambes. Ils correspondent à : la partie mentale, la partie des sentiments, les besoins et la demande ou l’action, selon le contexte. Si on arrive à prendre en compte les 4 dimensions, on intègre toutes les composantes de la CNV. En Occident, on va plus vite que la musique. On passe de la tête à l’action. Mais si on ralentit et qu’on intègre la dimension du cœur (émotions) et du ventre (besoins), on gagne en puissance, car on a fait un travail pour clarifier ce qu’on ressent et de ce dont on a besoin. »
Quelles limites à la CNV ?
1. La réciprocité avortée
La CNV nécessite que la personne en face soit un minimum réceptive au dialogue, que son intention soit d’échanger de manière constructive. Si c’est quelqu’un de trop empli par la colère et qui ne travaille pas sur lui, ou alors qu’il est sur son téléphone et ne se sent pas concerné, la CNV a peu de chances d’aboutir.
2. Une condition sine qua non
Elle fonctionne mieux si les deux personnes connaissent la méthode, même si Cyrine nous assure qu’elle l’utilise tout aussi bien si ce n’est pas le cas.
2. La manipulation
La CNV peut donner lieu à de la manipulation. Certains arguent que comme elle passe a priori pour bienveillante, elle peut cacher des desseins crapuleux (notamment chez les pervers narcissiques) qui visent à soumettre l’autre sans en avoir l’air. Méfiance, donc !
3. La prise de hauteur impossible
Face à des sentiments envahissants, il peut être difficile de se mettre dans une position d’observateur pour prendre de la hauteur, ce qui est néanmoins nécessaire pour instaurer un dialogue sain. Le mieux alors est de laisser décanter ses émotions un jour ou deux, de les observer calmement, avant d’en parler.
En un mot
Les fervents défenseurs de la CNV sont convaincus que si elle était appliquée au quotidien, les échanges, qu’ils soient professionnels ou intimes, s’en trouveraient fluidifiés.
D’ailleur selon Cyrine, la CNV convient à tous types de personnalités, et n’apporte que du positif. « Pour les gens qui ne disent jamais rien, elle prépare à dire, en posant les mots. À partager les choses sereinement, sans avoir peur que ce soit mal pris. Elle permet de ne surtout ne pas attendre qu’une situation pourrisse. Et pour ceux qui sont trop spontanés, qui disent tout tout de suite et de manière violente, de réussir à s’approprier leurs émotions et à construire un dialogue qui ne blesse pas la personne en face. Dans les deux cas, on évacue deux écueils aux conséquences dramatiques : le cas de figure où on ne se respecte pas soi même en ne disant rien, et celui où on ne respecte pas l’autre en disant tout trop vite et avec trop de fougue. »
La CNV libérerait donc la parole et permettrait de construire des relations saines et authentiques, tout en étant en accord avec soi-même. « Plus on pratique, plus on grandit et nos relations s’enrichissent. Il y a quelque chose d’assez lumineux là-dedans » conclut Clémentine.
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