Le poids du secret : la lourde charge de la confidentialité des RH

Au-delà des aspects « gestion administrative » et « accompagnement des talents et des leaders » liés à leur mission, les (D)RH jouent un rôle clé dans la protection des informations sensibles de l’entreprise. Contraints de sourire sans rien laisser transparaître ni révéler ce qu’ils savent, cette charge leur impose une sorte de double vie. En coulisses, comment vivent-ils cette posture « d’infiltrés » ? Quels sont les impacts sur leur bien-être psychologique ? Et leurs stratégies pour gérer ?

Le poids de la confidentialité : comment se traduit-il au quotidien ?

« La confidentialité ? Nous y sommes confrontés en permanence, et ce dès l’ouverture de nos mails… “Je suis malade”, “j’ai des problèmes financiers”, “ça ne va pas avec mon manager” », raconte Christelle Vaugelade-Kalipé, CPO chez Bene Bono. « Côté Direction, qu’il soit question d’enquête interne, de licenciement, de changements organisationnels (suppression de postes, réorganisation d’équipes, restructuration, coupes budgétaires, etc.), notre mission nous expose à des données stratégiques sensibles, pouvant impacter les individus et l’entreprise. » Pas évident de garder le secret jusqu’au moment fatidique de l’annonce officielle, surtout face aux salariés directement concernés. Ni de conserver une attitude professionnelle, tout en accompagnant chaque problématique individuelle.

Pour Magaly Charlin Gaudin, DRH chez Chateauform’, le respect de la confidentialité requiert une vigilance au quotidien. « Que ce soit dans un couloir, en réunion, face à un talent en difficulté. Le professionnel RH doit sans cesse gérer ce qu’il sait, et ce qu’il peut dire. C’est nécessaire pour rester équilibré et pleinement présent dans cette fonction délicate », explique-t-elle. Manu Wagner, People Partner chez Shine, insiste lui sur la pression que cela génère : « Les RH sont toujours dans le contrôle. Impossible d’avoir une conversation légère. On fait souvent plus attention à ce qu’on ne doit pas dire qu’à ce que l’on peut dire : une source de stress et une charge émotionnelle non négligeables ».

L’impact de cette vie « d’infiltrés » sur la santé mentale des RH

« Dans notre métier, on dit que le silence est d’or. Mais à quel prix ? », interroge Christelle Vaugelade-Kalipé. « Nous sommes en première ligne pour gérer des décisions lourdes de conséquences, des conflits internes et des annonces difficiles, le tout dans un climat de confidentialité absolue. Derrière notre solidité apparente se cache une autre réalité : la solitude. Nous sommes là pour apaiser, conseiller, résoudre, sans jamais pouvoir dévoiler ce que l’on traverse. » Or, ce silence coûte cher. Selon le baromètre Payfit et Editions Tissot 2022, 82 % des DRH se disent au bord de l’épuisement professionnel.

La confidentialité imposée aux responsables des ressources humaines a un impact considérable sur leur santé mentale, souligne Magaly Charlin Gaudin. Elle décrit un sentiment d’isolement accentué par les situations complexes auxquelles ils font face : « Ne pas pouvoir partager avec d’autres collègues, même proches, est parfois pesant ». Cette charge mentale, exacerbée par des responsabilités difficilement partageables, crée une usure et fatigue constantes. À cela s’ajoute le dilemme des valeurs personnelles. « Tu sais que le sort des personnes que tu côtoies est scellé, explique Christelle Vaugelade-Kalipé. Parfois, tu apprécies ce collègue que tu vas devoir licencier. » Cette situation se complique davantage lorsque les RH ont accès à des informations personnelles des collaborateurs, comme une grossesse ou un projet de départ, qui peuvent influencer leurs décisions. Et la pression devient plus intense encore dans les cas de licenciements économiques. Selon Manu Wagner, « c’est encore pire. Tu as une responsabilité collective : tu sais que tu vas mettre plusieurs personnes au chômage. Et impossible d’expliquer le contexte et les raisons ».

5 stratégies pour gérer (et amoindrir) le poids du secret

1. Délimiter le cercle de confidentialité

« Une règle d’or ! », pour Charlin Gaudin. « Le RH ne doit pas être seul face au poids du secret. Clarifier le cercle de confidentialité permet de s’assurer que celle-ci est bien respectée, d’éviter tout malentendu, et d’impliquer si nécessaire toutes les personnes concernées. Cette pratique renforce la confiance, et permet de gérer la situation de manière plus sereine et efficiente. »

• Les tips : un salarié vous confie une difficulté personnelle ? Penser à lui demander quelles sont les autres personnes dans la confidence : un manager, des collègues, etc. ?

2. Se souvenir de son rôle et en accepter les limites

« Le RH ne prend pas systématiquement les décisions, il est garant de leur bonne application », souligne Manu Wagner. « Derrière chaque décision, il y a des dirigeants qui ont des idées précises pour le bon fonctionnement de l’entreprise. »

• Les tips : se rattacher à son job, à pourquoi on le fait, et prendre de la hauteur. La confidentialité n’est qu’un aspect de la mission. Accepter aussi que certains choix ne soient pas compris par tous. Penser enfin à valoriser ses actions positives au quotidien, pour éviter de focaliser sur le négatif.

3. Partager les responsabilités

Selon Christelle Vaugelade-Kalipé, « les RH ne doivent pas être les boucliers des décisions difficiles. Il faut laisser le courage managérial s’exercer, et redonner la responsabilité aux bons acteurs ». Il est par ailleurs indispensable « d’impliquer les talents dans la résolution de leurs problèmes et de les encourager à prendre leurs responsabilités face à leur manager, pour alléger le rôle de médiateur des RH », complète Charlin Gaudin.

• Les tips : côté managers, coacher les leaders plutôt que de se substituer à eux… « Ça ne va pas avec X ? Voilà comment faire. » Côté talents, encourager la culture du feedback, en les aidant à formaliser leurs retours en autonomie. De la même manière, responsabiliser les talents qui confient une information sensible aux RH, en leur demandant quelles sont leurs attentes.

4. Instaurer des moments de décompression

Prendre soin de son bien-être mental aide à mieux gérer le stress lié au secret. « On peut organiser des moments de décompression au quotidien, en équipe », précise Manu Wagner. En tant que RH, ajoute Magaly Charlin Gaudin, « nous devons être attentifs à notre bien-être, pour ne pas laisser la charge émotionnelle prendre le dessus. Un quotidien équilibré aide à cloisonner les sujets sensibles et à éviter l’épuisement ».

• Les tips : ritualiser des temps de pause afin de décompresser et de se recentrer. Il est primordial d’adopter une hygiène de vie saine, et de maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

5. Briser l’isolement et se co-développer entre RH

En interne, une équipe RH soudée est un réel atout. Pour Manu Wagner, « avec le temps, on se forge une carapace, on trouve nos propres mécanismes. Mais au début, il est important de bien s’entourer ». Que ce soit au sein de son équipe ou entre pairs, « il est crucial de pouvoir échanger entre RH, de partager des expériences, des conseils, de se coacher mutuellement pour ne pas rester seul face à des décisions complexes. Ce soutien aide à prendre du recul, et évite de se sentir submergé », pensent Christelle Vaugelade-Kalipé et Charlin Gaudin.

• Les tips : ne pas hésiter à solliciter de l’aide auprès de ses collègues, ou au sein de communautés RH d’entraide et de partage (l’ANDRH, HR We Can), pour s’exprimer dans un cadre sécurisé et anonyme. S’appuyer aussi sur des ressources externes (tiers de confiance, formation sur la gestion du stress, etc.). Des solutions efficaces pour rompre l’isolement sans compromettre la confidentialité.

Article écrit par Laure Ott Libera, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ