Congé sabbatique : la fausse "bonne idée" pour sauver vos salariés du burn-out ?
15 mars 2022
7min
Rédactrice indépendante.
Une nouvelle pratique RH est en vogue aux États-Unis : pour éviter le départ de salarié·es en burn out, certains groupes tels que Citigroup, Goldman Sachs ou Asana leur proposent de partir en congé sabbatique. Le « big sabbatical » leur offre une parenthèse de plusieurs mois leur permettant de prendre du temps pour eux/elles, tout en ayant l’assurance de retrouver leur poste à leur retour. Derrière cette proposition, les entreprises espèrent éviter le phénomène de « la grande démission » avec le risque de voir partir leurs talents. Cette pratique est-elle envisageable, voire souhaitable, en France ? Comment la mettre en place ? Que dire de la promesse de rétention des salarié·es épuisées ?
Congé sabbatique : nouvelle soupape pour faire face au burn out ?
Dernièrement, le Wall Street Journal relatait différents témoignages de salarié·es « parti·es » en pause sabbatique alors qu’ils/elles étaient au bord du craquage. Cette vague a été timidement initiée par LinkedIn ou encore Nike sous la forme de congés supplémentaires offerts aux équipes afin de les aider à reprendre leur souffle après deux ans sous tension. Face au « big quit » et à la démotivation généralisée, d’autres entreprises ont décidé d’aller un cran plus loin. Chez Asana par exemple, Johana Miller, employée au sein du service RH, n’en pouvait plus après deux ans de surcharge de travail qui lui ont valu un épuisement professionnel. Elle a décidé de prendre six semaines de congé sabbatique payés au lieu de quitter son job comme plus de 4 millions d’Américains. Les banques, surtout, s’emparent du sujet, pour tenter de retenir leurs talents au bout du rouleau : Synchrony Financial a récemment introduit ce nouvel avantage à son offre RH. À savoir, la possibilité de poser un congé d’un an en contrepartie d’un salaire réduit (et deux ans d’ancienneté). Aaron Brown, vice-président senior du groupe, explique ce choix : « Les gens veulent du temps, ils en ont besoin pour diverses raisons. Il est important pour nous de ne pas perdre le contact avec eux/elles ». D’autres banques telles que Citigroup avaient déjà engrangé le pas avec la possibilité de prendre un congé sabbatique de 12 semaines payées à hauteur de 25 % du salaire : 200 salarié·es ont déjà pu bénéficier du programme.
Mais est-ce la clé de voûte contre l’hémorragie de départs ?
Une enquête réalisée par the Sabbatical Project’s, une association dédiée à la recherche sur le congé sabbatique, révèle des points intéressants : sur cinquante personnes ayant pris un congé sabbatique, la majorité d’entre elles avait une tendance au sur-engagement ou souffrait de « workaholisme ». Le congé sabbatique se présente comme une des solutions (mais loin d’être la seule !) pour accompagner les profils « engagés-épuisés », pour reprendre le terme utilisé dans une enquête de Yale. Passionné·es mais stressé·es, leur premier réflexe quand ils/elles sont en surcharge est souvent de démissionner. Elles/ils quittent leur employeur, non pas par manque de motivation, mais à cause d’un stress intense. Pour prévenir le départ de ces « high performers », chèrs à l’entreprise car véritable moteur de croissance, le congé s’avère très utile. Côté chiffres, l’enquête corrobore cette intuition : seize des employé·es interrogé·es sont resté·es au moins un an de plus dans leur entreprise après leur retour de congé. Dans le cas de Synchrony, Aaron Brown affirme que le turnover est resté bas par rapport au secteur depuis le lancement du congé sabbatique, et espère que sa mise en place va juguler la fuite des talents.
Selon un sondage réalisé par Cadremploi, un cadre sur deux aurait déjà été en proie au burn out durant sa carrière. 37% d’entre eux ont ainsi réclamé une rupture conventionnelle, tandis que 22% ont démissionné ! En proposant un temps hors de l’entreprise avec la garantie de revenir au même poste, l’employeur démontre surtout sa capacité à accompagner le/la salarié·e dans sa trajectoire professionnelle, avec ses hauts et ses bas. L’expérience collaborateur prend alors une ampleur sociale voire sociétale : implicitement, la culture d’entreprise autorise chacun·e à traverser des épreuves, à ne pas être tout le temps au top, et à l’exprimer. Un tournant quand on sait que 38% des salarié·es français·es sont en « détresse psychologique » ?
Burn out et congé sabbatique : attention à la nouvelle soupe miracle !
Pourtant, le congé sabbatique utilisé comme réponse magique au burn out comporte quelques dangers. Mal encadré, ou encore systématisé, il peut s’avérer délétère pour l’organisation. Le pôle recherche de Moodwork, solution pour le bien-être au travail, avance que « le congé sabbatique systématique peut rapidement devenir un paravent face à des conditions de travail difficiles ou une organisation de l’activité défaillante ». En gros, le vernis risque de s’écailler très vite si le fond du problème n’est pas adressé ! De plus, selon ces chercheurs, « les études démontrent que la mise en place de ce type de dispositif n’améliore pas la qualité de vie au travail dans les entreprises où celle-ci est délétère, mais a un impact uniquement lorsque les salarié·es se sentent déjà en confiance ». Pour un effet positif, « la mise en place d’une politique autour de la QVT et la santé mentale reste la pièce maîtresse dans laquelle chaque solution, comme par exemple le congé sabbatique, doit s’inscrire, en fonction des attentes des salarié·es ». D’un point de vue plus humain, proposer systématiquement ce type de dispositif peut être également mal vécu par une partie des collaborateur·ices : « Ils/elles y verront, pour certain·es, une façon de les pousser vers la sortie. Ainsi, mal préparé et dispensé comme un cadeau, il peut même présenter un danger pour les collectifs de travail et l’engagement des salarié·es. »
Liz Wiseman, auteure et consultante en management, émet également des réserves. Le fameux « time off » ne peut pas faire de mal, selon elle. Mais, il n’est pas une solution durable contre le burn out. Au contraire ! Dans les recherches qu’elle a menées, l’auteure a découvert que le burn out n’est souvent pas lié à la [surcharge de travail](https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/surcharge-travail-capacites-stress-deborde. Il s’explique davantage par un manque d’impact alors que le/la salarié·e a l’impression de travailler beaucoup. La question de l’utilité et du sens ressort et ne pourra être uniquement résolue par l’opportunité d’un congé sabbatique. D’autres aspects sont en jeu : management, organisation, conditions de travail… allant, ainsi, dans le sens d’une approche plus holistique de la prévention du stress au travail.
Quel cadre juridique pour le congé sabbatique en France ?
Congé sabbatique et burn out sont-ils compatibles dans le cadre du droit social français ? Si, dans les tribunes américaines, cette trêve semble une solution plutôt prometteuse en termes de rétention et se présente comme une parenthèse salvatrice pour les personnes fragilisées, le dispositif n’est pas aisé à mettre en place. Marylaure Méolans, avocate en droit social chez Victoire Avocats et créatrice du podcast Droit Devant rappelle quelques règles de base : un/une salarié·e qui souhaite bénéficier d’un congé sabbatique doit remplir trois conditions cumulatives. D’abord, il/elle doit prouver une ancienneté d’au moins 36 mois dans l’entreprise (ou plus, en fonction de la convention collective), avoir effectué 6 années d’activité professionnelle et ne doit pas avoir bénéficié au cours des 6 années précédentes d’un projet de transition professionnel d’une durée d’au moins 6 mois, d’un congé pour création d’entreprise ou reprise d’entreprise, d’un précédent congé sabbatique.
La durée du congé varie entre 6 et 11 mois maximum et le/la salarié·e, qui doit informer son employeur au moins trois mois avant par mail ou LRAR, n’a pas à justifier la raison de ce départ. « D’ailleurs, pendant la durée du congé sabbatique, le contrat de travail est suspendu. Ainsi, le congé sabbatique n’est pas rémunéré, mais peut l’être en cas de dispositions conventionnelles contraires ou d’usage institué dans l’entreprise. Par ailleurs, le/la salarié·e peut financer son congé sabbatique par une partie de ses congés payés », souligne l’avocate. On comprend alors pourquoi ce dispositif est peu utilisé en France : « C’est aussi peut-être en raison de la crainte de perdre son employabilité ou des difficultés que l’on pourrait rencontrer à son retour puisque la loi prévoit que l’on retrouve à son retour un “emploi similaire”, c’est-à-dire aux caractéristiques équivalentes, mais pas nécessairement le poste que l’on a quitté. »
Les quatre conditions de réussite d’un congé sabbatique « pour » burn out
Envisager le congé sabbatique comme l’une des solutions au craquage des équipes nécessite donc quelques points d’attention pour éviter les faux-pas et les effets contre-productifs :
Des entretiens en amont et aval pour préparer à la fois le départ et le retour du/de l’employé·e : après son congé sabbatique, « le/la salarié·e a le droit de bénéficier d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à des perspectives d’évolution professionnelle », explique Marylaure Méolans. Mais, ne faudrait-il pas aller plus loin dans le cadre d’un congé sabbatique « pris » en raison d’un burn out ? En effet, un entretien en amont avec un RH ainsi qu’un psychologue du travail, permettrait de préparer le départ du/de la salarié·e. Mais aussi, il offre la possibilité d’anticiper le retour en donnant de la visibilité sur les étapes et les conditions du retour, à savoir le poste, l’équipe, le/la manager… Anna Binder, DRH chez Asana, insiste sur le fait qu’un congé sabbatique réussi se co-crée, au moins, trois mois à l’avance ! Au retour, idem, des entretiens spécifiques peuvent être proposés, mais non imposés, afin de faciliter l’atterrissage, comprendre l’état d’esprit du/de la salarié·e, ajuster son emploi du temps et poser ses nouveaux objectifs.
Un parcours de « reboarding » : certaines entreprises proposent un « re-entry program ») (comme General Motors) pour faciliter la transition du retour tant au niveau des compétences que de la culture d’entreprise. Particulièrement, il est important de se replonger par étape dans l’univers professionnel, surtout après un burn out. L’idée serait aussi de proposer un retour progressif, à mi-temps par exemple, pour s’ajuster et temporiser avec un univers avec lequel le/la salarié·e a choisi de se déconnecter pendant un temps.
Un pilotage global pour encadrer et gérer au mieux les départs en congé : en effet, il s’agit de réguler la surcharge de travail ponctuelle des équipes qui récupèrent les tâches ou missions de la personne qui est partie en congé. Ce point est critique car source de tensions, notamment au retour de celle-ci. Au sein de Synchrony, tout un processus a été mis en place pour coordonner les départs et leur transition. L’idée est de passer par des recrutements temporaires au besoin, et d’assurer la cohérence des départs avec les enjeux business.
Communication et formation : comme nous l’avons vu, la raison du congé sabbatique n’a pas à être divulguée à l’employeur. Alors comment proposer ou informer un·e salarié·e de ce dispositif de manière subtile ? C’est toute la difficulté en cas de burn out. L’idée serait de promouvoir le congé sabbatique dans le cadre de son offre RH (sans raison particulière) : Paypal, par exemple, le propose tous les cinq ans à ses salarié·es. Puis, en complément, il faut absolument informer les RH et les managers que cet outil est aussi un levier d’accompagnement en cas de difficultés de leurs équipes. Néanmoins, pour éviter les dérives, la formation des managers et des RH sur les risques psychosociaux demeure essentielle pour déployer cette initiative dans les meilleures conditions.
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*Article édité par Héloïse de Montety et Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps
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