Demandes d’augmentation : 5 cas de figures où l’argent n’est pas le vrai problème
15 avr. 2024
8min
Elles ont lieu en général lors du sacro saint entretien annuel ou à l’occasion d’un fameux one-to-one : les demandes d’augmentation. Si elles se suivent, vous auriez tort de penser qu’elles se ressemblent pour autant. Notre expert Alexis Eve démêle le vrai du faux quant à la motivation réelle de vos collaborateurs, cachée derrière certains souhaits de revalorisation.
Peut-être vous êtes-vous déjà retrouvé dos au mur, en tant que manager, face à un collaborateur performant qui souhaitait une augmentation sans réelle justification. Peut-être lui avez-vous d’ailleurs concédé, pour vous rendre compte, quelques mois plus tard, que cette décision n’avait fait que « temporiser les choses » à court terme, mais que le collaborateur en question n’était en réalité toujours pas pleinement satisfait ou engagé dans son travail.
Cette situation, je l’observe très fréquemment dans les entreprises que j’accompagne. Elle met en lumière un paradoxe : les demandes d’augmentation ne sont pas toujours motivées par un besoin financier, et peuvent masquer des besoins ou frustrations plus profonds. Ce que vos collaborateurs réclament vraiment, au fond, ce n’est pas toujours de l’argent. Alors qu’est-ce qui explique ces « fausses » demandes ? Qu’est-ce que vos collaborateurs veulent vraiment vous dire ? Et surtout, comment détecter ces situations et y répondre efficacement ? Voici mon éclairage sur le sujet.
Quand les demandes d’augmentation ne sont pas une question d’argent
L’argent, un facteur de (dé)motivation ?
L’argent est souvent perçu comme le moteur principal de la motivation au travail. Mais en réalité, une fois que les besoins financiers d’un salarié sont comblés, l’effet motivant de l’argent s’atténue. Au-delà d’un certain seuil de rémunération, ce qui compte surtout, c’est la reconnaissance, l’autonomie, ou encore le sens du travail. Le psychologue en moi dirait même que l’argent est une motivation extrinsèque et pas intrinsèque. Dit autrement, c’est une forme de récompense externe qui provoque du contentement et incite à l’action, mais ce n’est pas une source de satisfaction personnelle liée au plaisir même de réaliser une tâche.
La théorie du psychologue Frederick Irving Herzberg, développée dans les années 1950, le montre très bien. Elle pose le principe selon lequel la motivation repose sur deux facteurs, jouant des rôles complémentaires :
- Les facteurs d’hygiène : salaire, conditions de travail, sécurité de l’emploi… qui évitent l’insatisfaction, mais ne suffisent pas à motiver fortement.
- Les facteurs moteurs : reconnaissance, autonomie, croissance personnelle… qui sont de véritables sources de motivation, mais qui ne fonctionnent qu’à partir du moment où l’individu n’éprouve aucune satisfaction en parallèle.
On pourrait résumer l’équation de la façon suivante : la motivation correspond à l’absence d’insatisfaction liée aux facteurs d’hygiène et à la satisfaction liée aux facteurs moteurs.
Tout ça pour dire que si un collaborateur est très mal payé ou que les augmentations sont perçues comme injustes, l’argent peut évidemment devenir une source de démotivation. Mais si le salarié est convenablement payé, le seul fait de continuer à augmenter son salaire ne fera pas de lui un employé plus engagé ou plus satisfait. En clair : le manque d’argent peut démotiver. Mais plus d’argent ne motive pas (toujours) plus.
Comment savoir si les demandes d’augmentation de mes collaborateurs n’en sont pas vraiment
Pour comprendre si les demandes d’augment’ de vos collaborateurs sont réellement motivées par des questions financières, vous devez commencer par vous demander si votre politique salariale est vraiment juste et cohérente. Si vous avez tendance à sous-payer vos employés, ou si leurs salaires sont juste passables, ne vous leurrez pas : les demandes d’augmentation que vous recevez sont probablement de simples appels à une meilleure rémunération !
Si vous considérez que votre politique de rémunération n’est pas totalement à côté de la plaque, mais que vous avez des doutes sur sa complète efficacité, posez-vous ces trois questions :
- Ma politique salariale reflète-t-elle bien la philosophie de mon entreprise ? Exemple : une entreprise qui valorise profondément la performance individuelle et la contribution à la croissance devrait payer très généreusement ses commerciaux pour être cohérente.
- Est-elle alignée avec le niveau d’exigence attendu ? Exemple : une entreprise qui prétend n’embaucher que des A-players et qui leur demande de s’arracher, doit évidemment les payer mieux que partout ailleurs.
- Est-elle alignée sur le marché ? Exemple : une entreprise qui recrute sur des métiers pénuriques (ce qui est le cas pour la plupart des métiers de la French Tech), doit proposer des salaires suffisamment compétitifs pour que ses talents ne partent pas à la concurrence.
Si vous répondez « non » à au moins une de ces questions, c’est qu’il est temps de vous (re)pencher sérieusement sur votre politique salariale. Il existe des méthodes pour calibrer sa rémunération, qui passent notamment par la formalisation de vos objectifs, la réalisation de benchmarks avec des outils comme Figures, et l’utilisation de perks pour élaborer des packages équilibrés. Alors, pas d’excuse ! Maintenant, si vous estimez que vous avez « fait le taff » et que votre grille salariale est réellement motivante et valorisante, alors il est en effet possible que certaines des demandes d’augmentations de vos collaborateurs n’aient rien à voir (ou presque) avec l’argent.
LA BONNE PAYE
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5 cas de figure de demandes d’augmentation qui ne se règlent pas avec l’argent et comment y répondre
Cas n°1 : le collaborateur en manque de reconnaissance
C’est sans doute le cas le plus fréquent. Car tous les salariés (et tous les humains d’ailleurs) ont besoin de reconnaissance. Or, la plupart des managers n’ont pas le réflexe d’en donner. Ou du moins ils n’en donnent pas suffisamment. Parfois, c’est à travers des demandes d’augmentation que ce besoin de reconnaissance cherche à être comblé. Le collaborateur associe alors inconsciemment valorisation financière et valorisation personnelle. Pour détecter ce scénario, cherchez les demandes qui semblent déconnectées de motivations concrètes ou de justifications objectives.
Comment réagir face à ce cas de figure ?
Si l’un de vos collaborateurs vous soumet une demande d’augmentation pour compenser un manque de reconnaissance, désolé de vous l’apprendre, mais souvent, c’est déjà trop tard… Il est très difficile de rattraper le coup, et de remotiver quelqu’un de désengagé. Mieux vaut donc prévenir que guérir, et apprendre à donner de la reconnaissance à ses collaborateurs en prenant de bons réflexes. Il faut notamment savoir qu’il existe différents types de reconnaissance, et que chacun est sensible à certains types plus qu’à d’autres. Tout l’enjeu est donc d’identifier et de donner le bon type de reconnaissance à chaque collaborateur.
Cas n°2 : le collaborateur qui a fait le tour de son poste
Ce cas-là est plutôt facile à repérer : il s’agit d’un collaborateur qui est encore engagé dans l’entreprise, mais qui ne l’est plus du tout sur son poste. Il ne se sent plus challengé, il s’ennuie, et il peut même être proche du bore-out. La demande d’augmentation n’est ici pas tant un souhait de gain financier, qu’un cri de frustration, un appel au secours qui marque un besoin désespéré de changement. Le collaborateur se sent généralement perdu et ne sait plus comment se sortir de cette situation.
Comment réagir face à ce cas de figure ?
Là encore, mieux vaut prévenir que guérir. Si vous avez des points réguliers avec vos collaborateurs, vous devriez pouvoir détecter ce genre de situation bien avant l’entretien annuel, et donc anticiper le problème. En construisant des talent paths adaptés, en envisageant des projets transverses ou des solutions de mobilité interne, vous devriez pouvoir répondre à la vraie revendication qui se cache derrière la demande d’augmentation. Si aucune solution n’est possible en interne, il peut, par ailleurs, être judicieux d’envisager un offboarding en discutant avec le collaborateur d’une éventuelle rupture conventionnelle ou d’un processus d’outplacement. L’objectif ? Accompagner le salarié dans sa transition vers une nouvelle entreprise. C’est encore un tabou dans beaucoup d’organisations, mais à mon sens, il est toujours préférable d’opter pour cette solution plutôt que de retenir un collaborateur sur un poste sur lequel il ne s’épanouit pas.
Cas n°3 : le collaborateur qui veut toujours plus
C’est le cowboy qui se la joue « perso » et qui est accro aux promotions. Il est généralement très performant et a l’état d’esprit de personnages de séries comme Succession ou House of Cards. L’ambition et le succès sinon rien. Comment le reconnaître ? Il est déjà très bien payé, et sa demande d’augmentation prend la forme d’un ultimatum, qui s’appuie souvent sur le constat (un peu faux) que l’entreprise ne peut pas se permettre de le perdre. Il a un comportement individualiste qui se repère facilement grâce à des petites phrases telles que
« Moi je ne suis pas marié à la boîte » ou « Si j’en ai envie, je pars demain ».
Comment réagir face à ce cas de figure ?
Beaucoup de managers sont tentés de céder au chantage, quitte parfois à sortir du cadre de leur grille salariale ou en créant des situations d’injustice vis-à-vis d’autres membres de l’équipe. En réalité, il ne faut pas se laisser embarquer dans une négociation musclée. La clé est de fixer des limites et de construire un
« trustless deal », c’est-à-dire d’établir des critères clairs et objectifs pour toute augmentation, en s’appuyant sur des performances mesurables et des contributions concrètes à l’équipe et à l’entreprise. Si vous êtes face à ce genre d’individu, le mieux est généralement aussi de se faire à l’idée que cette personne finira par quitter l’équipe et que vous devrez fonctionner sans lui. Car vous ne pourrez jamais satisfaire tous ses désirs.
Cas n°4 : le collaborateur qui ne se reconnaît plus dans l’entreprise
Lui, je le surnomme le « Batman ». Pourquoi ? Parce qu’il a des valeurs profondes, et un fort attachement pour l’entreprise, mais il choisit de rester en marge du système établi, et d’agir selon ses propres règles. Comme le chevalier noir de Gotham City qui se rend justice à lui-même. L’exemple le plus courant, c’est ce collaborateur qui rejoint une jeune start-up en hyper croissance : au début, la boîte est petite et tout le monde se connaît, c’est cool. Mais ensuite, ça grossit, on passe de 15 à 100 personnes, et tout change. De nouveaux managers débarquent, les process se multiplient, les postes deviennent super spécifiques… Résultat : le salarié ne trouve plus sa place. Il se plaint de la culture de l’entreprise qui se perd, il ne fait pas trop confiance aux nouveaux, et il refuse de suivre certains process car il pense que « c’était mieux avant ». Là encore, la demande d’augmentation traduit une profonde frustration plutôt qu’un réel enjeu financier.
Comment réagir face à ce cas de figure ?
C’est délicat ! Car si le collaborateur n’est pas prêt à accepter la nouvelle réalité de l’entreprise, la meilleure solution pour lui est sans doute de chercher un nouvel environnement de travail, qui corresponde davantage à ses attentes. Il faut donc faire preuve de finesse et de clarté. Mon conseil : organiser des « ré-onboardings » lorsque l’entreprise franchit des caps de croissance. Le principe ? Expliquer très clairement à tous les collaborateurs que l’organisation entre dans un nouveau chapitre, et que les règles du jeu changent. Les profils qui n’ont pas envie de continuer dans ce nouveau contexte peuvent alors choisir leur voie en toute connaissance de cause, soit en s’adaptant et en embrassant les changements, soit en cherchant des opportunités ailleurs, là où ils se sentiront plus alignés avec leurs valeurs et attentes.
Cas n°5 : le collaborateur qui veut juste faire monter les enchères
Généralement, ce cas de figure est facile à repérer car le collaborateur vient directement vous voir pour vous parler d’une offre d’emploi qu’on lui a faite, en vous demandant si vous pouvez vous aligner. Pour vous, c’est toujours intéressant, car cela vous donne de la visibilité sur les packages proposés par d’autres entreprises sur le marché, et c’est l’occasion de réévaluer la cohérence de votre politique de rémunération. Mais tout l’enjeu est de savoir si cette demande d’augmentation est une vraie négociation ou un simple jeu tactique.
Comment réagir face à ce cas de figure ?
Ce genre de demande d’augmentation est toujours un coup de pression pour un manager. Et la première chose à faire est de s’assurer que ce n’est pas du bluff, en demandant une preuve et des détails sur le package proposé. L’enjeu est ensuite de déterminer les intentions réelles du collaborateur : est-ce qu’il a déjà fait le choix de partir, et cherche donc seulement à obtenir une contre-offre pour l’utiliser comme levier de négociation auprès de son futur nouvel employeur ? Ou bien est-il réellement ouvert à la discussion ? Dans le second cas, il faut alors mener une négociation à jeu ouvert, en demandant au collaborateur quelles conditions pourraient le convaincre de rester, et en déterminant avec transparence si un compromis est possible ou non.
J’espère que ces cinq cas vous auront démontré que les demandes d’augmentation ne se résument pas toujours à des chiffres supplémentaires sur une fiche de paie. Alors, chers managers, ouvrez l’œil et tendez l’oreille : c’est en comprenant les motivations et frustrations profondes de vos collaborateurs que vous pourrez répondre aux mieux à leurs besoins et attentes, qu’il s’agisse d’argent ou non !
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Article rédigé par Alexis Eve et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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