S'installer sur son lieu de vacances : ils ont sauté le pas et font le bilan
31 août 2021
5min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste - Welcome to the Jungle
Descendre une piste rouge sur sa pause-déjeuner, se faire un bain d’eau salée après une longue journée de travail, ramasser des champignons dans la forêt le week-end… Les endroits où nous posons bagages le temps d’un bref séjour estival peuvent sembler bien idylliques - quand bien même il s’agit d’y travailler - comparés à l’effervescence des grandes villes bétonnées où la plupart des salariés vivent encore. Et si l’envie de quitter les grands centres urbains pour le calme d’un bord de mer ou d’un village de haute montagne a toujours fait rêver les travailleurs citadins, la crise sanitaire semble avoir accéléré ce désir de fuite. Anne-Claire, Emma et Jean nous racontent comment ils ont réussi à s’astreindre à travailler sur leur lieu de villégiature où ils avaient plutôt l’habitude de se reposer, les doigts de pieds en éventail… Sans oublier d’évoquer les inconvénients que ce changement de vie implique.
« Malheureusement, le quotidien finit toujours par nous rattraper »
Jean, 55 ans, a quitté Paris pour Nice, il y a plus de vingt-cinq ans. Un choix fait sur un coup de tête qu’il n’a jamais regretté. « J’ai découvert la Côte d’Azur lors d’un séjour d’un mois à Cannes, dans la maison de famille de ma compagne d’alors, se souvient-il. Ce qui m’a plu : être dans un environnement bordé par la mer, avec la montagne et l’Italie à quelques kilomètres. Après, ce qui m’a poussé à sauter le pas, c’était le confort de vie que cette région offrait comme la promesse d’oublier la grisaille parisienne, de trouver un appartement au loyer abordable et de ne plus perdre son temps dans les transports en commun. » En faisant quelques recherches, il se rend compte qu’aucun institut de sondage ne s’est encore établi dans le coin, où se trouve pourtant la capitale mondiale de la parfumerie, Grasse. Bingo. Il s’installe à Nice et le contact avec les industriels du secteur se fait rapidement.
D’un point de vue plus personnel, le jeune entrepreneur apprécie son nouvel environnement qui lui permet de faire quelques brasses sur ses pauses déjeuner et de se confronter à d’autres amateurs de voile lors de régates le week-end. « Les premières années qui ont suivi mon départ de Paris, j’allais me baigner, bronzer ou encore marcher dans la nature dès que j’avais un moment de libre, raconte-t-il. Malheureusement, comme vous pouvez l’imaginer, ça n’a pas duré ! Lorsqu’on s’installe dans un endroit où l’on travaille, le quotidien finit toujours par nous rattraper, il faut faire ses courses, enchaîner des rendez-vous clients… On finit par oublier qu’on se trouve dans un lieu idyllique et on a de nouveau envie d’évasion, loin de chez nous. » Comme il ne profitait plus des sorties culturelles qu’offrait Paris après y avoir vécu une décennie, il a arrêté d’étaler sa serviette de plage sur les galets de la promenade des Anglais dès qu’un rayon de soleil pointait le bout de son nez.
« Notre travail, c’est les vacances des autres »
Même constat pour Anne-Claire, 44 ans, débarquée à Val-d’Isère en Savoie seize ans plus tôt, qui s’amuse en regardant ses nouveaux collègues planquer leurs combinaisons et skis sous le bureau pour s’échapper dès que leur agenda leur permet. « Après plusieurs années passées en station, je n’enfile ma tenue de skieuse que les jours de très, très beau temps », admet-elle. Et entre deux vacances scolaires. En quittant Paris pour rejoindre son nouveau compagnon dans cette station touristique après n’y avoir passé qu’une seule semaine de congés, il a fallu accepter que sa nouvelle vie s’articule principalement autour des vacances des autres, plus des siennes.
Lorsque la jeune femme débarque avec ses valises dans le domaine skiable au début de l’automne, la neige n’est pas tombée, les saisonniers n’ont pas encore quitté le littoral. Triste paysage. Seuls quelques locaux l’accueillent, elle et ses chaussures de randonnée premier prix. « Après, et c’est le plus important quand on fait un choix aussi radical que quitter Paris pour une petite station : ici, le travail n’a jamais manqué. » À la fois correspondante pour une publication locale et hôtesse d’accueil à l’école de ski ; avec son diplôme de communication en poche, elle n’a jamais eu à chercher d’emploi. Après, encore faut-il s’acclimater à l’entre-soi des stations à l’opposé de l’anonymat des grandes villes : ici, tout le monde se connaît et vit ensemble. Et si la promiscuité et la familiarité amusent les nouveaux arrivants, elle a tendance à user les plus anciens. À demi-mot, elle reconnaît que c’est l’une des raisons qui l’ont poussé à s’éloigner du domaine. « Il y a quelques années, mon compagnon a eu un accident de montagne et de mon côté j’aspirais à un plus de calme, à un travail non saisonnier, raconte Anne-Claire. Même si j’ai pensé revenir en région parisienne, ce n’était pas possible pour lui, alors on est restés dans la région. Annecy, qui se trouve à vingt minutes des pistes, tout en offrant plus de postes à l’année s’est imposée et je reconnais que c’est un bon compromis. »
Le Covid m’a conforté dans mon choix de vie, loin de la ville
Mais qu’il s’agisse d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle ou d’équilibre entre ville et nature… faut-il nécessairement trouver un compromis ? Depuis le début de la crise sanitaire, les Français et plus particulièrement ceux qui peuplent les grandes agglomérations, semblent ne plus vouloir se contenter de quelques semaines de vacances pour apprécier un horizon dégagé de barres d’immeubles et expriment le besoin de revoir leur mode de vie. Emma, 25 ans, elle, n’a pas hésité à s’installer à Royan à l’été 2020, un endroit où elle passait ses vacances depuis son plus jeune âge. Dans la station balnéaire de Charente-Maritime où sa famille possède une résidence secondaire, elle a toujours aimé retrouver sa bande d’amis, les plages de sable blanc et les forêts. « J’ai toujours voulu vivre à la campagne, être dans un endroit plus calme, plus proche de la nature, raconte-t-elle. Après, je ne pensais pas m’installer loin des grandes villes avant d’avoir quarante ans. Surtout qu’avec ma licence d’art, j’aurais dû m’installer à Paris. »
Le déclic ? Sept semaines de confinement dans un appartement en colocation alors qu’elle rêve de balades à bicyclette et de marches dans les bois. « Aujourd’hui, j’enfourche mon vélo, je vais sur le front de mer et j’ai l’impression d’être en vacances toute l’année. Et comme je suis rédactrice indépendante, j’adapte ma charge de travail en fonction de la météo, sourie-t-elle. Quand il pleut je condense, et s’il fait beau je réduis la voilure. C’est une vraie chance ! » Selon Eurostat, il y aurait 930 000 freelances en France (+33% en six ans) qui, pour la grande majorité, ont seulement besoin d’un ordinateur et d’un bon réseau pour exercer leur profession. De quoi nourrir de nouvelles envies. Néanmoins, s’installer sur son lieu de vacances n’est pas sans conséquence sur notre rapport au temps dédié à l’activité professionnelle et au repos. « Au départ, j’aimais quand c’était festif l’été, mais après avoir passé plus d’un an ici, j’ai tendance à fuir la côte dès que les touristes débarquent, dit-elle. Aussi, je n’ai plus de mal à faire une croix sur les vacances d’été, je préfère vraiment partir en décalé à la montagne pour changer d’environnement. »
Contrairement à Anne-Claire qui est retournée dans une plus grande ville après avoir vécu dans une petite station touristique, Emma espère bientôt s’éloigner du bord de mer en s’enfonçant un peu plus dans la campagne. « Je me verrais bien rénover une ferme et travailler de mes mains pour être encore plus en accord avec mes convictions écologiques, souligne-t-elle. Mais pour le moment, je profite de ce nouvel environnement pour manger un sorbet fraise sur le front de mer dès que j’ai un coup de mou. »
Comme le fait de vivre dans une grande agglomération et d’apprécier toutes les activités culturelles à disposition, ceux qui ont fait le choix de s’installer sur leur lieu de villégiature aiment la proximité avec la nature, et d’avoir toujours, dans un coin de leur tête, le sentiment d’être des privilégiés. De là à avoir le sentiment d’être toujours en vacances ? « Sûrement pas, admet Jean. Après tout, si l’on apprécie autant nos lieux de villégiature n’est-ce pas parce qu’ils sont associés dans nos imaginaires à un moment de détente que l’on attend toute l’année ? »
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Article édité par Eléa Foucher-Créteau
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