5 conseils pour faire le deuil d’un job
08 juil. 2020
8min
Ruptures des périodes d’essai, licenciements économiques, plans sociaux, la crise du Covid-19 a semé un vent de panique, laissant du jour au lendemain de nombreuses personnes sans emploi. La Banque de France, dans une étude prévisionnelle macroéconomique publiée en juin 2020, envisage que la crise aille en s’accélérant d’ici 2021. En effet, la détérioration du marché du travail pourrait bien se poursuivre et le taux de chômage exploser pour aller avoisiner les 11,5 %. Vous êtes peut-être vous-même touché par le phénomène, et vous vous préparez à quitter un boulot, sans avoir de certitude de ce que l’avenir vous réserve… De telles situations sont vraiment éprouvantes, et on peut se demander comment tourner la page… Comment faire le deuil d’un job ?
La perte d’un job est une épreuve que connaît bien Alix Gautier, psychologue clinicienne de formation qui accompagne en tant que consultante les dirigeants qui traversent cette épreuve au sein du cabinet Transitions Plus. Cette structure, spécialisée dans la gestion des crises de carrière des dirigeants, permet à ceux qui vivent des transitions professionnelles difficiles de rebondir. Elle nous éclaire sur la façon dont nous vivons ces moments charnières de nos carrières…
Perte d’emploi : pourquoi parle-t-on de deuil ?
La perte d’emploi vient réveiller notre inquiétude, précipitant dans nos vies toute une flopée d’émotions négatives telles que la colère, la tristesse, l’incompréhension,et c’est pour cette raison qu’on la compare souvent à un deuil. Mais psychologiquement, la comparaison est-elle possible ? N’est-ce pas un peu exagéré ?
« La notion de deuil est liée à celle de perte, explique Alix Gautier. Le deuil, c’est la perte de quelque chose, d’une personne aimée, d’un idéal… En tant qu’humain, on est amené à vivre des deuils tout au long de sa vie : la perte d’un être cher, la perte d’un emploi, d’une maison… Le premier travail de deuil que nous vivons, c’est celui du nourrisson qui se sépare de sa mère. »
La connaissance des mécanismes psychologiques liés au deuil permet d’éclairer ce qui est vécu dans les situations de pertes d’emploi, dans des proportions toutefois un peu différentes, explique la psychologue, qui a étudié la notion de deuil lorsqu’elle travaillait en soins palliatifs : « Sans chercher à hiérarchiser ces différentes situations de pertes et la souffrance morale qu’elles entraînent, les mécanismes psychiques sont similaires. »
Des situations on l’on doit s’ajuster, malgré nous
Les situations qui peuvent amener à devoir faire le deuil d’un job sont multiples. La plus courante étant - malheureusement - le licenciement, qu’il soit économique ou lié à un autre motif. « Lorsque l’on se fait licencier, on doit se séparer, contre notre gré, de l’entreprise pour laquelle on travaillait. Cela nécessite de se détacher psychologiquement de ce lieu, de cette équipe avec laquelle on a travaillé jusque-là… », précise Alix Gautier. Un peu comme après une rupture, il faut un temps pour digérer le changement…
Tout bouleversement brutal de notre environnement de travail nous demande une adaptation forte. Cependant, le vécu n’est pas le même selon que la situation est choisie ou subie. Dans le cas d’un départ volontaire par exemple (démission, rupture conventionnelle), le fait d’être décisionnaire va nous aider dans le processus d’intégration de la nouveauté, car on a une part de maîtrise de la situation. Et cela change tout ! En fait, plus on a le contrôle sur sa situation, moins on la subit, et plus le travail psychique pour tourner la page en sera simplifié.
Les phases du deuil, ou comment on en voit de toutes les couleurs…
Mais que se passe-t-il dans notre tête quand on perd son emploi ? La psychiatre Elisabeth Kübler-Ross qui travaillait auprès des personnes en fin de vie, a identifié différentes phases que nous traversons lors d’un deuil et que l’on appelle les étapes du deuil. Ses observations s’appliquent assez bien pour décrire les états émotionnels que nous pouvons traverser lorsque nous sommes confrontés à la perte d’un emploi :
- Le choc et le déni face à ce qui nous arrive : on refuse d’y croire, on reste prostré et tétanisé face aux événements qui viennent bouleverser le cours de notre vie
- La colère : on essaie de se révolter, le sentiment d’injustice est alors très fort et l’on a tendance à chercher des coupables (en se révoltant par exemple contre son employeur).
- La négociation ou le marchandage : on s’arrange et négocie avec nous-même, on se trouve des excuses pour ne pas avancer
- La dépression : abattus, on a envie de baisser les bras, on se laisse aller à la tristesse
- L’acceptation : les événements sont peu à peu digérés, la blessure n’est plus à vif et l’on parvient à accepter ce qui nous arrive, pour aller de l’avant
Si ce modèle théorique nous permet de mieux comprendre les montagnes russes par lesquelles nous passons en période de crise, toutes les personnes confrontées à une perte ne passent pas systématiquement par toutes les phases, comme nous le rappelle Alix Gautier : « Il n’y a pas de processus standard, pas de schéma type sur la façon dont on vit les événements. On ne ressent pas nécessairement toutes les étapes décrites, elles ne sont pas obligatoires. » Le travail de deuil est loin d’être linéaire, il y a d’ailleurs souvent beaucoup d’aller-retours.…
Un deuil vécu différemment par chacun
Perdre un emploi que l’on appréciait vraiment et quitter un job qui nous pesait sont deux choses différentes… Lorsqu’il s’agit de la perte d’un emploi, les situations restent incomparables d’une personne à une autre. Même si vous vivez un licenciement économique, par exemple, votre ressenti ne sera pas le même que celui de vos collègues, pourtant logés en apparence à la même enseigne. Alix Gautier nous donne une explication. « Plusieurs facteurs interviennent : l’ancienneté, le niveau d’implication, le niveau de responsabilité, les antécédents personnels… »
Faire son deuil et aller de l’avant, malgré tout
Comme dans tout processus de deuil, l’important est de pouvoir rester en mouvement, malgré la crise que l’on traverse, afin de pouvoir peu à peu retrouver la confiance que l’on a perdue et reprendre doucement le chemin du travail. Mais le processus ne se fait pas en un jour… « Bien quitter un job est essentiel pour bien rebondir derrière », rappelle Alix Gautier, et cela nécessite avant tout de prendre du temps !
Prendre soin de soi
Une perte d’emploi est une onde de choc. Malgré nous, notre quotidien se retrouve bouleversé, nos émotions sens dessus-dessous, notre avenir incertain. Dans ces moments de chaos, il est primordial de s’accorder du temps, pour souffler, se retrouver, prendre de soin de soi et de sa santé. On est dans la phase de crise “à chaud”, ce n’est pas le temps des décisions, mais le moment d’accuser le coup, et de l’encaisser. « Les réactions sont très singulières, particulières, on peut être impacté à différents niveaux, raconte Alix Gautier. Parfois, le moral tient, et le corps va être le premier à lâcher. Les troubles du sommeil, de l’humeur, de l’alimentation sont des indicateurs assez parlants ».
Prendre soin de soi, c’est être vigilant à son sommeil, garder un rythme, faire du sport, des activités qui nous font du bien. Pourquoi ne pas par exemple rester attentif à garder une certaine hygiène de vie, se créer des routines ?
Faire le bilan et relire son histoire
Avant de pouvoir avancer, nous avons besoin de prendre du recul pour pouvoir intérioriser et digérer petit à petit ce qui nous est arrivé. Et pourquoi, dans un second temps, ne pas essayer d’en ressortir un peu de positif : « Il est important de pouvoir faire le bilan du poste que l’on a quitté à froid. Les choses ne sont ni blanches ni noires, qu’est-ce que je vais retenir de cette situation ? Qu’est-ce que j’ai appris pour la suite ? », questionne Alix Gautier. Cette capacité à relire avec bienveillance son parcours va être clé pour dépasser le moment de crise.
Pour la psychologue, faire le bilan mobilise notre capacité à gérer l’ambivalence de la situation : « On peut nommer et identifier les points de satisfaction et d’insatisfaction liés à ce dernier job, pour en garder le bon, et éclairer la suite. Cela peut être l’occasion de préciser ses besoins pour son prochain boulot, mais aussi les élément d’apprentissage que l’on retire pour soi. » Un travail parfois plus facile à faire quand on est accompagné !
Trouver les mots pour parler de cette épreuve
Comment raconter simplement, et sans honte, ce que vous avez traversé ? Que dire à votre conjoint, vos enfants, vos amis et votre famille ? Comment annoncer votre départ à vos collègues ? On redoute souvent de se heurter aux préjugés des personnes qui nous entourent… Un élément important pour tourner la page est la phase d’extériorisation. Mais alors, que dire de ce que qu’on est en train de vivre, et comment assumer ?
Pour Alix Gautier, ce que l’on se sent prêt à partager est un indicateur de l’étape où l’on se trouve dans ce processus…. C’est très important pour préparer l’après : « Souvent, on ne prend pas conscience de l’importance de bien communiquer. Il s’agit de communiquer au réseau interne de l’entreprise, et communiquer aussi en externe. Une communication, cela se prépare. À qui a-t-on besoin de communiquer, comment le faire, quand, et bien sûr quel message délivrer ? »
Communiquer implique d’avoir les idées claires. Difficile de le faire à chaud ! Pourquoi ne pas préparer par exemple le message que vous aimeriez faire passer à vos anciens collègues, à vos clients, mais aussi à vos proches qui viendront vous questionner à la prochaine fête de famille ? Trouver les mots pour parler de ce que vous vivez sera aussi décisif dans votre future recherche d’emploi. Parler le plus positivement possible de votre dernière expérience ne fera qu’une meilleure impression aux recruteurs.
Redéfinir son identité et son rapport au travail
Une expérience de perte d’emploi vient porter un coup à notre confiance en nous, mais aussi sur l’image que nous avons de nous-même. En effet, notre identité professionnelle - Je m’appelle X, je suis salarié de l’entreprise X, etc. - est à redéfinir complètement. Herminia Ibarra, économiste et spécialiste en comportement organisationnel, enseignant à la London School of Economics (précédemment à l’INSEAD) a beaucoup écrit sur ce qu’elle appelle les “identités de transition”, expliquant l’obligation de redéfinir son identité professionnelle à chaque nouveau virage dans sa carrière. Un remaniement psychologique qui est exigeant !
Notre rapport au travail aussi est questionné : quelle place souhaite-t-on lui donner dans notre vie pour la suite ? « Si l’on a tendance à se définir socialement par le travail par exemple, la perte d’un emploi peut venir bouleverser notre équilibre. Quand j’ai fini mon travail, que reste-t-il ? » L’identité des personnes est complètement destabilisée, observe souvent Alix Gautier dans ses accompagnements. Tout est à redéfinir pour la suite : « Quelles sont mes envies, mes besoins, à quoi j’ai envie de donner de la place ? » L’occasion peut-être de repositionner le travail dans sa vie ?
Bien s’entourer et se faire aider
Mieux vaut ne pas être seul pour affronter les événements. Le soutien de vos proches, de votre famille et de vos amis est essentiel. Leur présence peut cependant être parfois ambivalente : certains, sans le vouloir, ont tendance à vous mettre la pression, en projetant leurs peurs et leurs angoisses sur vous… C’est tout sauf ce dont vous avez besoin en ces moments d’incertitude ! Entourez-vous des personnes les plus compréhensives et bienveillantes de votre entourage. Et pourquoi pas, comme le rappelle Alix Gautier, osez solliciter des professionnels compétents : consultant, mentor, psy, coach…
« C’est important de ne pas avoir peur de demander de l’aide », conclut Alix Gautier. Se faire aider si besoin peut être un réel coup de boost pour parvenir à tourner la page : cela peut vous permettre de faire sereinement le bilan de ce qu’il s’est passé tout en étant épaulé dans votre recherche de job. Solliciter les autres n’est pas toujours facile, cependant, comme nous l’explique la psychologue, « être capable de demander de l’aide, c’est aussi montrer aux autres qu’on peut être là plus tard pour les aider ! »
La perte d’un emploi vient tester notre résilience, c’est-à-dire à notre aptitude à rebondir et à nous adapter dans l’adversité. Faire le point sur la place du travail dans sa vie, se faire aider et prendre le temps de transformer l’épreuve en quelque chose de positif permettra tout doucement de retrouver le chemin de l’emploi et reconstruire une estime de soi satisfaisante. Car cette transition de carrière forcée peut être aussi l’occasion d’initier un changement pour un plus grand bien !
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