Démissions en cascade : comment éviter « l'effet domino » ?

04 févr. 2022

6min

Démissions en cascade : comment éviter « l'effet domino » ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Connaissez-vous le dévastateur effet domino au sein des entreprises ? Une personne quitte le navire et s’ensuit une ribambelle de départs… jusqu’à réduction des effectifs. Un drame pour la dynamique collective, l’engagement individuel et la performance des entreprises. Comment se déclenche ce phénomène de désertion collective ? Surtout, comment le juguler ? Mieux, le prévenir ? Décryptage et conseils.

Effet domino : un phénomène social très répandu

Clémence était consultante en recrutement dans l’un des cabinets leaders du marché. Un jour, l’un de ses collègues « claque sa dém ». Puis, quelques mois plus tard, d’autres membres de la même équipe suivent le pas, les uns après les autres. Que se passe-t-il ? C’est ce que l’on appelle « l’effet domino », un phénomène qu’elle a observé à plusieurs reprises. « À chaque fois, c’est la même mécanique qui se met en place : l’arrivée ou le départ d’un·e manager entraîne des démissions en cascade ». L’origine du problème selon elle ? Les managers, nommé·es à la « à la va-vite » à des postes d’encadrement, sans préparation suffisante. « Ça fait des ravages. Mais c’est très courant dans ces cabinets : on promeut souvent des personnes très performantes sur le terrain mais pas suffisamment équipées ou câblées pour gérer une équipe. » Au départ, malgré les difficultés, les collaborateur·rices sont souvent très soudé·es face à l’adversité. Puis, c’est la débandade, « certaines personnes commencent à partir. Et là, c’est comme un électrochoc : la boucle des départs se met en place avec, notamment, les bons éléments qui s’autorisent d’autres perspectives professionnelles et, finalement, quittent le navire ».

Dans la même veine, Marie, salariée dans la distribution, a vécu de plein fouet un plan de départ volontaire (PDV) de près de 200 postes sur 800 début 2020. Outre l’ambiance délétère, ce programme de sortie a produit un effet non escompté sur certains salarié·es, à la base, très engagé·es. « Cela a poussé certaines personnes, très compétentes et recherchées sur le marché du travail, à se poser des questions sur leur carrière. Or, un bon nombre s’est vu refuser leur dossier de candidature au départ dans le cadre du PDV, car les quotas étaient atteints dans leur catégorie. Trop tard, le mal était fait : ces salarié·es sont tou·tes parti·es dans la foulée ». Le comble ? Le nombre de départs est tel que l’enseigne recrute sur ces postes désertés !

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Départs en rafales : comment expliquer cette dynamique humaine ?

De plus en plus d’entreprises se retrouvent démunies face à ces départs successifs et incontrôlables de collaborateur·rices. D’un point de vue plus macro, cette dynamique ressemble au phénomène mondial de la « grande démission » (“the Great resignation”) : 4,5 millions de salarié·es ont démissionné au mois de novembre aux États-Unis. Un chiffre révélateur de vagues de départs anormalement élevées depuis 2021. Cette hémorragie salariale commence à inquiéter les employeurs français : un tiers des salarié·es souhaite activement chercher un autre emploi après la crise et déjà 16 % déclarent avoir quitté leur entreprise par choix, depuis le début de la crise.

Sébastien Hof, psychologue du travail, explique que ce type de départs est révélateur de problèmes organisationnels latents. « Les départs successifs sont surtout révélateurs d’une mauvaise réorganisation ou de tension ». Dans un collectif de travail sous tension, il est possible de tenir tant que l’équipe partage une vision et une philosophie communes. « Quand un premier membre de la tribu s’en va, il/elle brise le pacte implicite qui lie les individus entre eux et à l’entreprise ». Le/la premier·e qui décide de partir ouvre finalement la voie aux autres car « le “tous ensemble” perd son sens. Les questions telles que “pourquoi pas moi” émergent et se diffusent entraînant le fameux effet domino ». Selon le psychologue, c’est aussi la question du système et de son équilibre qui est en jeu : « Il faut se poser les bonnes questions : comment arrive-t-on à fonder et conserver une équipe ? Comment cette structure arrive-t-elle à penser qu’elle ne fait qu’une ? ».

Comment éviter la boucle infernale des vagues de départs ?

Équiper les managers : entre formation et proximité retrouvée

70% de la variation de l’engagement s’explique par les managers et 50% des salarié·es ont quitté leur travail à un moment donné de leur carrière pour se libérer de leur manager. On comprend l’importance de réfléchir à la responsabilité managériale dans le cas de départs successifs. Ce vortex peut être limité selon Sébastien Hof si les managers sont à l’écoute des alertes, mais surtout, s’ils peuvent agir à leur niveau : « Aujourd’hui, au sein des organisations, ils/elles sont davantage des courroies de transmission au sein de processus très normés. Il est fondamental de réhabiliter les managers de proximité afin de leur donner plus de latitudes pour agir au sein de leurs équipes ». Cela va de pair avec la nécessité de les former sur des thématiques telles que l’écoute, l’empathie et la communication non violente afin de décrypter et d’anticiper les problématiques relationnelles. Par ailleurs, en termes d’outils, il peut être intéressant de co-construire un projet d’équipe, formalisé au sein d’une charte pour mettre à plat les objectifs et le fonctionnement. Ainsi, il sert de base de pilotage opérationnel et relationnel : lors des points d’équipe par exemple, on peut y revenir pour pointer les difficultés collectives ou individuelles.

Communiquer ouvertement et se remettre en question grâce à la médiation

Les démissions pourraient être évitées si, collectivement, nous avions le courage de questionner les faiblesses ou les dysfonctionnements d’une organisation d’après Sébastien Hof. « Il existe une incapacité culturelle à se remettre en question, au bon moment. On attend que cela craque pour prendre la mesure des dégâts. Or, c’est bien en amont, dès les premiers signaux faibles, qu’il faut agir ». La clé est la mise en place d’une communication ouverte et franche au sein des équipes afin d’éviter les rumeurs et la démotivation. Quelques pistes d’action : demander à ses équipes régulièrement du feedback – idéalement toutes les semaines quand “tout va bien”, plus régulièrement encore dès que les indicateurs passent au rouge – retravailler les valeurs communes, établir de nouvelles manières de collaborer ou encore faciliter les mobilités internes, si nécessaire. Bien sûr, cette approche ne peut fonctionner sans une culture d’entreprise qui prône (vraiment) la transparence. Par ailleurs, pour désamorcer les conflits, latents ou non, des solutions telles que la médiation sont très efficaces. Elle peut être définie comme un processus par lequel un tiers impartial, le/la médiateur·ice, tente à travers l’organisation d’échanges entre les parties, de leur permettre de confronter leurs points de vue et de rechercher avec son aide une solution sur les points qui les opposent. Actuellement, elle reste un levier peu activé en entreprise pourtant, instaurer un processus de médiation interne contribue à améliorer le climat de l’entreprise. Il est possible de faire intervenir un·e médiateur·ice professionnel·le, externe à l’entreprise, ou, plus simplement, de former des salarié·es de l’entreprise à la médiation.

Officialiser et célébrer les départs grâce à l’offboarding

Clémence souligne l’importance d’un parcours d’offboarding afin d’apaiser la période pendant laquelle un·e salarié·e prépare son départ. « En tant que RH, je trouve intéressant d’appeler systématiquement la personne dès l’annonce de son départ pour comprendre ses motivations. On peut ainsi détecter très tôt ce qui ne va pas dans une équipe et éviter d’autres sorties ». L’enjeu est surtout de « soigner la sortie » car les périodes de préavis sont souvent sensibles pour le/la salarié·e et l’équipe. D’autres bonnes pratiques sont pertinentes dans le cadre d’un offboarding serein :

  • Organiser un parcours rythmé et partagé : il s’agit de lister auprès de tous (managers, salarié·es, RH), les grandes étapes afin d’avoir une vue d’ensemble des tâches incontournables. Chacun sait ce qu’il a à faire tout en respectant les échéances (administratives, organisationnelles ou opérationnelles).
  • Co-construire la passation afin de rassurer les équipes, maintenir une dynamique de continuation et éviter les conflits potentiels. Le manager peut sonder ses équipes afin de prendre le pouls et réfléchir à l’organisation future. Afin de s’inscrire dans une approche inclusive et positive, ne pas hésiter à demander à la personne qui part son avis sur le poste et comment l’améliorer.
  • Ne pas omettre l’aspect émotionnel : célébrer et officialiser les départs très tôt, c’est éviter les rumeurs et les tensions inutiles. Alors, organisez systématiquement un événement, même minime, pour célébrer la fin du contrat et le début d’une autre aventure.
  • Animer une communauté d’Alumni : cette initiative décristallise les « départs » dans l’inconscient collectif. Les modalités ? Inviter régulièrement d’ancien·nes collaborateur·rices pour intervenir sur des thématiques ou échanger sur leur parcours.

Créer un tableau de bord RH pour anticiper les signaux faibles

D’un point de vue RH, il est indispensable de piloter les risques via le suivi de différents indicateurs. En effet, la création d’un tableau de bord RH permet de détecter très tôt les signaux faibles au sein des équipes ou de certains départements. Quels sont les indicateurs pertinents à suivre ? Les absences longues ou répétées, le nombre de burn-out, les départs volontaires ou encore les demandes de mobilité, la baisse de performance… D’autres indicateurs plus qualitatifs peuvent être pertinents pour obtenir une vision exhaustive de la situation : les sondages sur l’engagement (par exemple l’eNPS, Net Promoter Score employé), les 360° (comment sont notés les managers dans leur entretien d’évaluation), les feedbacks collaborateur·trices… Agglomérer ces données paraît chronophage mais demeure très utile pour comprendre son organisation et poser un diagnostic objectif sur une situation à risque. Pour gagner du temps, implémentez un SIRH ! En effet, l’outil facilite la lecture des données et la consolidation des indicateurs. En termes de pilotage opérationnel, un tandem RH-manager est à imaginer pour exploiter ces données et faire émerger des stratégies au service d’un climat social serein.

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Photo par Thomas Decamps pour WTTJ
Texte édité par Héloïse de Montety.

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