Revendications : comment dépasser sa peur de passer pour un salarié difficile ?
28 juin 2021
6min
Freelance Content Creator
Se référer à la convention collective ou se rapprocher du syndicat des travailleurs, exiger des jours de congés en retard, dire non aux heures supplémentaires ou réclamer une rémunération correcte… Toutes ces demandes sont légitimes mais néanmoins, on a souvent peur de les formuler. On craint d’être perçus comme des travailleurs peu impliqués ou carrément “difficiles” par nos chefs et collègues. Mais d’où vient cette peur de défendre nos droits ? Quels outils avons-nous pour y faire face ? Bref, comment se donner les moyens d’agir, de faire le plein d’assurance et de revendiquer ce qui nous appartient ?
« Cette peur est d’autant plus présente depuis le début de la pandémie. L’impression de se donner à 200 % de façon ponctuelle en raison de la situation, le fait de faire des heures à rallonge non payées ni récupérables ou de travailler les week-ends et les jours fériés en télétravail, tout ça est devenu habituel, voire (et c’est pire) comme la nouvelle norme », explique Pau Castells, le Social Media Analyst d’une agence de communication de Barcelone, qui nous avoue avoir essayé d’aborder son mal-être avec ses responsables afin de demander quelque chose qui lui semblait légitime, mais ces conversations n’ont pas porté leurs fruits. « Quitter le bureau à l’heure après avoir fini ma journée tel qu’il est défini dans mon contrat, ou demander du renfort pour faire face à l’énorme quantité de travail qui s’accumule sans cesse, ça engendre des regards désapprobateurs dans les bureaux », déplore-t-il. Et, inévitablement, il a commencé à avoir peur que ses supérieurs le perçoivent comme un employé “difficile”.
D’où vient cette peur ?
« Au départ, on essaie d’être compréhensif et de se serrer les coudes. On se dit qu’il y a des goulots d’étranglement et que l’idée est de travailler ensemble pour sortir de l’impasse. Mais quand on voit que le responsable commence à transformer l’occasionnel en systématique, ou que l’entreprise commence à se développer grâce à nous qui nous donnons à 200 % tous les jours sans que cela soit justement considéré, les choses changent », estime Pau.
Mais il n’est pas facile de faire entendre sa voix pour faire valoir un droit ou pour dénoncer une injustice. C’est particulièrement vrai pour les emplois précaires, dans lesquels être « l’employé difficile » peut faire la différence entre garder son poste ou le perdre. Pour autant, cela touche tous les travailleurs, de tous secteurs, entreprises et postes confondus. À ce titre, Maite Moreno, professeure du master RH de l’école de commerce EAE (Madrid et Barcelone), avance que « Certaines entreprises profitent même de ces peurs pour imposer des conditions contraires à la loi : rémunérations inférieures au salaire minimum, heures supplémentaires non payées, journées interminables…», avant de rappeler : « Plutôt que de faire valoir leurs droits, de nombreux travailleurs ont peur que l’entreprise use de représailles contre eux : mise au placard, harcèlement, salaire baissé, licenciement… »
Quel impact sur votre bien-être personnel
Quant à Pau, il a continué à en parler, encore et encore, mais en retour, le sujet a été évité. Il a bien reçu des excuses, mais aussi « quelques piques » lui reprochant son manque d’empathie. « À mesure que la situation perdure et qu’on ne te propose aucune solution, tu bascules dans la rébellion systématique, puis tu deviens continuellement tendu et finalement, la frustration et l’apathie t’envahissent pour de bon », signale-t-il. Un cocktail d’émotions qui est propice à l’apparition d’usure émotionnelle, de désillusion et d’épuisement mental.
« Sans m’en rendre compte, je suis passé du professionnel passionné et proactif à une sorte de machine qui exécutait les tâches mécaniquement et sans réfléchir, révèle Pau. Je prenais le moindre contretemps avec des clients ou des collègues comme une attaque personnelle puis je me sentais mal car je savais, au fond, que je n’étais pas comme ça normalement. » Une colère qui peut également affecter la sphère privée : « J’avais du mal à appliquer la devise “ce qui se passe au bureau reste au bureau” ; mon couple, ma famille et mes amitiés en ont payé les frais, j’ai mis de côté des projets personnels… »
« Pour se sentir bien, émotionnellement et mentalement, le travailleur doit être motivé et sentir que son emploi est stable et qu’il se développe dans les meilleures conditions possibles », souligne Reyes Pérez, coordinatrice du groupe de travail “Évaluation des personnes en milieu professionnel et organisationnel” du Collège officiel de psychologie de Catalogne. Au contraire, si la peur, la colère ou la fatigue prédominent, cela va se répercuter sur la productivité, les résultats professionnels et sur les rapports avec ses collègues.
Affronter votre peur : les outils à votre disposition
1. Mettez les choses au clair dès le début
« Le travailleur ne devrait pas avoir à réclamer quelque chose qui lui appartient ou qui va de soi », précise Reyes Pérez. Ainsi, et pour éviter d’en arriver là, elle recommande de vous assurer de définir précisément, et de manière aussi transparente que possible, les tâches à effectuer et les conditions dans lesquelles celles-ci doivent être menées à bien. Et ce, dès le début de la relation de travail, quelle que soit l’entreprise, en plus de signer le contrat écrit. « Les deux parties savent ce qui est en jeu et cela évite donc, a posteriori une mauvaise gestion des attentes », précise-t-elle.
2. Communiquez avec assurance
Les outils de communication sont essentiels pour instaurer le dialogue avec vos supérieurs et parvenir à surmonter cette peur. Rappelez-vous que vous êtes un adulte capable de poser des questions et de remettre en cause les arguments des autres. Pour y parvenir, aidez-vous de ces ressources proposées par la psychologue :
Soyez au courant de ce qui est légal et ce qui ne l’est pas : Savoir si vos demandes sont légales vous permettra de discuter en toute connaissance de cause et d’être plus convaincant·e.
Parlez d’égal à égal : La peur surgit quand vous croyez que votre interlocuteur est supérieur à vous ou qu’il a plus de pouvoir que vous. Sortez-vous cette idée de la tête.
Soyez assertif : Ayez confiance en vos capacités et ressources pour exprimer votre désaccord mais faites-le de façon respectueuse et au moyen d’arguments et de données qui appuient vos demandes.
Défendez vos objectifs : Ayez recours au dialogue pour faire comprendre que votre travail doit être valorisé par votre talent et l’accomplissement de vos objectifs, et non par des critères tels que votre présentéisme ou votre servilité.
3. Cherchez du soutien
« La réponse naturelle : la confiance fait taire la peur. Et celle-ci s’acquiert grâce à nos connaissances mais aussi en cherchant un soutien extérieur », résume Reyes Pérez. Pour gagner en confiance, recueillez donc toutes les informations qui pourraient vous servir, analysez les cas prévus par votre convention collective et, si besoin, demandez conseil au service RH, aux représentants du personnel ou aux syndicats, comme le conseille Maite Moreno.
Mais si, par le passé, vos tentatives de négociation ou vos demandes se sont souvent soldées par des réponses négatives ou de l’indifférence, vous pouvez contacter la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de votre région afin de connaître vos droits en fonction de la situation.
Peut-on se défaire de cette étiquette d’employé « difficile » ?
Maite Moreno et Reyes Pérez affirment qu’en général, il est difficile de se défaire de ces étiquettes. Cela implique souvent de devoir changer radicalement son comportement. Néanmoins, il est possible de prendre certaines mesures pour minimiser cette image, sans pour autant renoncer à ses valeurs :
Supprimez l’étiquette de personne “difficile” de votre propre imaginaire et autodéfinissez-vous comme quelqu’un de “responsable qui conclut des accords et qui cherche à les respecter” affirme la coordinatrice de groupe de travail.
Communiquez sans être dans la confrontation et soyez réceptif. « Évitez la tentation de l’agression verbale et ne considérez pas automatiquement la critique comme une attaque », ajoute la professeure.
Soyez patient et essayez d’être empathique en faisant l’effort de comprendre ce que ressent votre interlocuteur.
Soyez dans l’écoute active et mettez vos opinions et vos sentiments de côté jusqu’à ce que l’autre personne ait terminé d’exposer son point de vue. Rappelez-vous que l’objectif est toujours de trouver un arrangement.
Gardez à l’esprit que si on vous colle cette étiquette lorsque vous demandez quelque chose qui vous revient, le problème ne vient pas de vous mais de la culture de votre entreprise. « Il existe encore aujourd’hui des entreprises dont le système est très paternaliste et dans lesquelles le travailleur n’est pas considéré comme un égal des dirigeants », affirme Reyes Pérez. Si la culture de votre entreprise ne change pas, il serait donc logique de penser qu’il en sera de même pour votre étiquette. C’est en effet réaliste, mais ne laissez pas cette affirmation vous définir. Les entreprises ont besoin d’avancer dans ce sens et vous pouvez contribuer à cette transformation. Pour cela, utilisez le dialogue, la confiance dans votre expérience et dans votre propre potentiel et l’assurance que ce pour quoi vous faites entendre votre voix est encadré par la convention collective.
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Traduit de l’espagnol par Sophie Pronier
Article édité par Eléa Fourcher-Créteau
Photo par WTTJ
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