L’engagement passe aussi par l’argent : zoom sur 3 pratiques économiques éthiques
27 juin 2024
5min
En matière de rémunération, les (jeunes) travailleurs sont de plus en plus sensibles à la justice et la transparence… qui contribueraient à leur engagement. Mais comment amener et promouvoir plus d’équité salariale au sein de l’entreprise ?
En France, l’argent demeure encore un sujet tabou, surtout dans le milieu professionnel. Pourtant, selon l’étude People at Work 2023 d’ADP, 61 % des Français affirment que la rémunération est le facteur déterminant dans leur travail. Plus spécifiquement, 71 % des étudiants et jeunes diplômés placent le salaire comme critère incitatif pour intégrer une organisation (étude Epoka x Occurrence – Groupe Ifop). Pourquoi ? Peut-être parce que le salaire revêt en filigrane un enjeu d’équité ; il est en effet lié à la justice organisationnelle. Alors quelles pratiques adopter ou inventer pour tendre vers plus d’équité et de justice en termes de rétribution ? Si la grille de salaire est un premier pas vers la transparence, faut-il aller plus loin ?
1. Lever l’omerta sur la rémunération et son architecture
Mirakl : une grille pour limiter les écarts et responsabiliser les managers
« Mirakl adopte une approche structurée et transparente en matière de gestion de la rémunération, en mettant particulièrement l’accent sur l’implication et la responsabilisation des managers », explique Amélie Richardson, Chief People Officer chez Mirakl. Un système de grilles salariales s’appuyant sur des benchmarks externes dans toutes les géographies du groupe garantit la cohérence des salaires dès l’embauche. Les augmentations, basées sur la performance individuelle, sont calibrées lors de la revue annuelle. Au lieu d’obtenir un budget global pour leur département, les responsables reçoivent des suggestions d’augmentations individuelles liées à la performance. Mirakl responsabilise ses managers en leur permettant d’effectuer des ajustements pour garantir l’équilibre et l’équité salariale entre les membres de l’équipe. Pour cela, ils ont accès au comparatio (ratio entre le package du collaborateur et le salaire de référence de son rôle) de chaque salarié, avant et après augmentation. Les nombreuses évolutions internes – plus de 20 % des collaborateurs – permettent d’ajuster les rémunérations en fonction de l’expérience et du nouveau rôle du salarié, via une collaboration étroite entre les RH et les managers. Ceci assure une gestion équitable et efficace des ressources humaines.
Doctolib : un libre accès aux grilles par équipe et un tandem RH-manager pour modérer les écarts
Doctolib tend vers une approche transparente en matière de rémunération, notamment par la mise en place de grilles salariales explicites au sein des équipes. Cette initiative vise à promouvoir la transparence et l’équité salariale, particulièrement dans des secteurs comme le service client et les ventes, où les salaires sont ouvertement communiqués. Dans un esprit d’amélioration continue, l’entreprise prévoit de rendre ces grilles salariales accessibles à tous. Les décisions individuelles sont déléguées aux managers, qui suivent des directives claires intégrées dans les grilles salariales pour les augmentations, sans possibilité de négociation, à l’instar de Mirakl. « En étroite collaboration avec les RH, les managers jouent un rôle crucial dès les phases préliminaires pour assurer l’équité et le respect des critères établis. Ces critères, élaborés en concertation avec les managers, sont utilisés pour effectuer des comparaisons entre différentes équipes, afin de minimiser les biais potentiels », explique Matthieu Birach, Chief People Officer chez Doctolib. Cette synergie entre les RH et les managers facilite une calibration équitable des salaires, en tenant compte notamment des disparités entre hommes et femmes. Elle permet également aux managers d’accéder aux informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées. Avant de communiquer les ajustements salariaux aux équipes, ces derniers ont la possibilité de les moduler selon les règles internes et les benchmarks externes, assurant ainsi une gestion des rémunérations à la fois transparente et équitable.
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Welcome to the Jungle : un positionnement salarial individuel pour plus de pédagogie
Chez Welcome to the Jungle, la transparence salariale est une priorité pour garantir l’équité professionnelle, et l’approche adoptée est similaire à celle de Doctolib. Elle est mise en œuvre dès l’embauche, puis tout au long de la carrière, notamment lors des revues salariales. Les grilles de salaires sont construites grâce à des données de marché et sont fréquemment revues, pour garantir des informations les plus à jour possible, notamment lors des recrutements ou des revues salariales bi-annuelles. Chaque collaborateur a accès à sa grille de rémunération. Il sait donc lorsque son salaire lui est attribué à l’embauche, ou bien lorsqu’il est augmenté ou promu, dans quelle fourchette il est positionné et pourquoi. La performance individuelle joue un rôle crucial dans la détermination des augmentations salariales, et les grilles de salaires sont un outil précieux pour les managers, afin de déterminer la répartition des budgets d’augmentations dont ils disposent pour leur équipe. « Tous ces éléments sont de vrais atouts pour expliquer simplement et de façon transparente comment les décisions sont prises en matière de rémunération et ainsi garantir une équité de traitement entre les collaborateurs », selon Noëlla Gavier, Chief People Officer chez Welcome to the Jungle.
2. Sortir des critères purement économiques : place aux KPI sociaux, comportementaux et de sens
Doctolib : évaluer et récompenser la performance comportementale
Chez Doctolib, l’évaluation des performances des employés repose sur une approche holistique qui combine des critères quantitatifs et qualitatifs, se divisant en deux grands axes : le « what » et le « how ». Le « what » concerne les résultats atteints, à savoir les objectifs quantifiables de performance qui sont mesurés directement. À l’inverse, le « how » se concentre sur la manière dont ces résultats sont obtenus. Les indicateurs comportementaux jouent un rôle significatif dans cette évaluation, à hauteur de 50 % de la mesure de performance globale (50 % étant indexés sur la performance économique). Ces indicateurs comportementaux englobent des aspects tels que la capacité à collaborer efficacement, l’engagement dans le recrutement de nouveaux talents et le temps consacré à l’intégration des nouveaux employés. Ce modèle d’évaluation met l’accent sur les réalisations des managers et des collaborateurs, et sur la manière dont elles sont accomplies, promouvant ainsi un leadership mêlant efficacité et responsabilité éthique.
Jellysmack : rétribuer en fonction d’indicateurs de développement et de sens
Dans la même veine que Doctolib, Jellysmack envisage de réviser le système de rémunération des managers. Le but est de mieux refléter les progrès réalisés par leurs équipes, en élargissant les indicateurs de performance clés (KPI) pour inclure des mesures plus axées sur les compétences clés attendues des managers. Cette initiative vise à valoriser l’émergence de talents individuels et à promouvoir le développement des équipes ainsi que leur bien-être. Pour mettre en œuvre cette approche, Jellysmack souhaite intégrer des critères spécifiques mesurant les performances traditionnelles, mais aussi des aspects tels que la capacité des managers à créer un environnement de travail positif ainsi que leur engagement envers le développement professionnel continu de leurs collaborateurs. Ces critères pourraient inclure des évaluations régulières du bien-être des équipes. En outre, cette nouvelle stratégie de rémunération est également conçue pour s’aligner avec la mission globale de l’entreprise, au cœur de la stratégie organisationnelle.
3. Agir en faveur de l’égalité salariale
Pour atteindre cet objectif, Figures met en œuvre plusieurs initiatives.
- L’analyse des écarts salariaux : l’entreprise effectue régulièrement des analyses approfondies des écarts de rémunération entre les employés, s’assurant que les salaires soient justes et équitables, indépendamment du genre, de l’origine ethnique ou d’autres caractéristiques.
- La transparence salariale : Figures prépare les entreprises à la future transparence des salaires en offrant des outils qui encouragent la collaboration interne entre les équipes RH, les managers et les autres parties prenantes, facilitant une transition vers des pratiques de rémunération plus transparentes et équitables.
Virgile Raingeard, CEO de Figures, précise que cette transparence ne suffit pas à garantir l’équité tout au long de la carrière : « Des biais implicites persistent lors de moments RH charnières, tels que les négociations salariales ou les promotions. Il n’est pas rare d’entendre des remarques telles que “trop réservée” ou “ne s’impose pas assez”, qui peuvent désavantager certains profils, notamment les femmes, et les hommes timides. Il est crucial d’être vigilant et de réaliser régulièrement des audits sur la manière dont la performance est évaluée ». Sarah Ben Allel propose en outre de reconsidérer ce que signifie « être un manager » dans l’entreprise, en évaluant les compétences de manière objective, plutôt que de se baser sur des attributs comme le charisme, souvent subjectifs. Comment ? En instaurant un référentiel de compétences en phase avec les impératifs d’inclusion et avec la culture interne par exemple.
En somme, les pratiques économiques éthiques sont essentielles pour promouvoir l’équité salariale et l’engagement des employés. En misant entre autres sur la transparence, l’évaluation des performances comportementales et l’analyse des écarts de rémunération, les entreprises peuvent renforcer la justice organisationnelle. Ces démarches répondent aux attentes croissantes des (jeunes) travailleurs, tout en stimulant leur engagement.
Extrait du guide « Marque employeur par les meilleurs », écrit par Laure Girardot avec les membres du CAB de Welcome to the Jungle, texte adapté par Ariane Picoche et édité par Alix Mardon, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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