Entreprise : 6 postures de politicien auxquelles il est temps de dire adieu
04 avr. 2022
7min
Journaliste indépendante.
Les politiques ne sont pas les seuls à avoir leurs petits travers, bien au contraire. Vous aussi, managers et dirigeants, usez parfois (malgré vous, personne n’en doute) de certaines techniques et postures « politiques », qui vous desservent pourtant plus qu’elles ne vous valorisent auprès de vos équipes. Et s’il était temps de leur dire bye-bye ?
Posture n°1 - Le grand discours unificateur et autres promesses qui n’engagent à rien
Le message que vous pensez faire passer :
Tel Martin Luther King, vous faites le rêve d’engager vos équipes à travers un discours fort, poignant, fédérateur : « Ensemble, nous pouvons construire quelque chose qui nous dépasse », « Vos avis sont aussi importants que les nôtres, ils le sont même davantage », etc.
Ce qui se passe vraiment :
« Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots… ». Ahhh ces grands discours qui donneraient presque la chair de poule… S’ils étaient basés et suivis d’actions concrètes… Dans la forme : 10 / 10. Mais sur le fond, on est parfois plus proche d’un discours des Miss France des années 80, que de véritables engagements.
En quoi ça vous nuit :
Une relation entre un·e collaborateur·rice et son entreprise n’est pas uniquement contractuelle, elle est aussi morale et psychologique. Et quand ce contrat moral prend l’eau, le sentiment d’injustice, de déception et de stress affecte de manière conséquente l’implication organisationnelle et la performance au travail de votre équipe.
Alors que faire ?
Pour faire part d’un engagement ou d’une démarche stratégique à vos salarié·es, basez-vous sur des éléments concrets plutôt que de tenter de les amadouer avec de beaux discours qui ne trompent personne. Mieux, pour convaincre et voir leurs équipes adhérer à leurs propos, de plus en plus d’entreprises se tournent vers la méthode des OKR. L’objectif ? Définir un objectif commun et des résultats-clés mesurables pour y accéder, chaque salarié·e devenant, par le biais des tâches mises en œuvre vers la poursuite de cet objectif, partie prenante des résultats et de la stratégie d’entreprise.
Posture n°2 - Le népotisme ou l’art de favoriser l’ascension de ses chouchous
Le message que vous pensez faire passer :
En tant que manager et/ou dirigeant·e, vous êtes tout·e disposé·e à être pour certain·es salarié·es moins expérimenté·es un modèle à suivre, un guide, voire un mentor capable de les faire grandir et progresser.
Ce qu’il se passe vraiment :
Il obtient toujours les meilleurs dossiers, les plus grosses augmentations de salaire, une double portion de frites à la cantine, qui est-ce ? Le / la chouchou. En tant que manager, il est difficile - si ce n’est impossible - de traiter de manière identique chaque membre de votre équipe. Mais attention, favoriser vos poulains de manière exagérée est une pratique dangereuse… pour vous, pour lui / elle et également pour ses collègues.
En quoi ça vous nuit :
Les membres de votre équipe ont l’impression de vivre dans une entreprise à deux vitesses. En créant un sentiment d’injustice, le premier écueil du favoritisme est de dégénérer en conflit. Certes, l’effet Pygmalion – ou l’étiquetage positif – permet à vos favoris de progresser rapidement. Mais à l’inverse, le syndrome de « l’échec programmé » à un impact non négligeable sur les autres : souffrance au travail, détérioration de leurs performances… Et moins ils sont bons, moins vous les favorisez. Vous le voyez venir, le cercle vicieux ?
Alors que faire ?
Le favoritisme est rarement illégal, mais toujours préjudiciable à l’environnement de travail. Or, rares sont les managers qui ont réellement conscience de l’effet de leurs jugements sur les performances et le moral des membres de leur équipe. La clé ? Conscientisez vos préférences, quitte à vous faire accompagner sur le sujet. Ensuite, il existe différentes manières d’enrayer les rouages du favoritisme. Certaines entreprises mettent en place des évaluations à 360° pour objectiver les feedbacks avec un maximum de parties prenantes. D’autres favorisent un système d’évaluation des performances basé sur des indicateurs stricts, plutôt que de laisser les managers se fier à leur intuition – forcément biaisée (c’est la nature humaine) – sur les performances de leurs salarié·es.
Posture n°3 - La pédagogie infantilisante, quand on vous prend pour des c**
Le message que vous pensez faire passer :
Comme un·e maître·sse avec ses élèves, il est important d’expliciter et de guider vos collaborateur·rices au quotidien pour leur assurer d’aller dans la « bonne » direction.
Ce qu’il se passe vraiment :
Entre les grilles d’évaluations quasi-scolaires, les multiples procédures à suivre, les consignes de comportement et le dernier jeu concours imaginé par l’entreprise type « Quelle équipe gaspillera le moins de papier cette année ? », vos collaborateur·rices ont de quoi retourner en enfance. À quand le biscuit et le verre de lait distribués dans les salles de pause ?
En quoi ça vous nuit :
Vos collaborateur·rices ont, petit à petit, l’impression d’être pris·e·s pour des idiot·es, incapables de comprendre les bienfaits d’une action ou l’intérêt collectif derrière une décision. À force de se laisser guider, ils / elles perdent en autonomie et en créativité, coincé·es dans des cases trop petites et des process trop complexes pour favoriser leur épanouissement. Flatter leur âme d’enfant dilue leur esprit critique et étouffe les vraies problématiques.
Alors que faire ?
De plus en plus, l’entreprise dicte à ses employé·es ce qui est bon pour eux / elles, comment ils / elles doivent se comporter, quelles sont les bonnes attitudes à adopter. Et si vous faisiez confiance aux individus plutôt qu’aux procédures ? C’est ce que recommande l’usage du « job crafting ». Cette pratique qui consiste, pour un·e collaborateur·rice, à modeler son travail à son image, en vertu de ses compétences, ses besoins et ses objectifs personnels. Les entreprises qui se laissent séduire par le procédé observent que leurs équipes gagnent alors naturellement en motivation, implication et efficience. CQFD.
Posture n°4 - La langue de bois, ou le joli papier cadeau autour du colis suspect
Le message que vous pensez faire passer :
Tout n’a pas à être su ou dit pour le bien de vos équipes, et accessoirement le vôtre.
Ce qu’il se passe vraiment :
« Il a donné une nouvelle orientation à sa carrière » ? Quelle belle manière d’annoncer que Louis va devoir travailler chez McDonald’s après avoir été licencié pour baisser la masse salariale de l’entreprise ! Entre les « synergies » et les « disruptions », la novlangue managériale prête souvent à rire… jaune.
En quoi ça vous nuit :
En maquillant la réalité, en usant de concepts flous ou d’euphémismes, vous brouillez la bonne compréhension de la vie de l’entreprise, créez une situation anxiogène qui n’a pas forcément lieu d’être. Et surtout, vous indiquez, inconsciemment, aux membres de votre équipe qu’ils / elles ne sont pas dignes d’entendre la vérité.
Alors que faire ?
À l’origine de la langue de bois, il y a souvent une certaine frilosité, la peur de dire la vérité et d’en assumer les conséquences. Prenez votre courage (managérial) à deux mains et soyez transparent. Et quand les décisions sont trop difficiles ou complexes pour être annoncées face à l’équipe entière, privilégiez les points en tête à tête qui permettent, bien souvent, de faire comprendre les choix difficiles. Pour lutter contre la langue de bois, certaines entreprises vont jusqu’à organiser des ateliers de désintoxication. D’autres partagent des astuces simples, mais efficaces, à leurs managers : utiliser des phrases courtes (« sujet - verbe - complément », vous dirait votre prof de français du collège), arrêter les tournures impersonnelles et commencer ses phrases par « Concrètement » (cela obligerait à exprimer des idées simples… et concrètes).
Posture n°5 - À la recherche d’un coupable extérieur, aka « c’est pas de ma faute »
Le message que vous pensez faire passer :
Oui l’erreur est humaine, mais si vous occupez cette place c’est justement parce que vous en faites peu (pas).
Ce qu’il se passe vraiment :
Dans la famille des bonnes excuses et de la mauvaise foi, je demande Monsieur COVID. Mauvaise pioche ? Madame L’équipe-X-Ne-Nous-Avait-Pas-Prévenus alors ? Non, plus. Pas de panique, si vous ne pouvez pas accuser le contexte économique ou un autre département de l’entreprise, il reste toujours un membre de votre équipe, n’est-ce pas ?
En quoi ça vous nuit :
En évitant de prendre vos responsabilités, vous envoyez le mauvais message à votre équipe : on peut s’accommoder d’un mensonge ou d’une pirouette plutôt que d’assumer ses erreurs. Alors, comment reprocher à vos collaborateur·rices de faire de même quand ils / elles en auront l’occasion ?
Alors que faire ?
La fierté, l’orgueil ou encore la peur poussent (parfois) les managers et dirigeant·es à rejeter la responsabilité sur d’autres. Il s’agit d’un mécanisme de défense incontournable, contre lequel il est difficile de lutter. Heureusement, l’action est la clé ! Lorsque vous faites une erreur ou causez du tort, présentez vos excuses et travaillez collectivement sur des solutions. C’est le meilleur moyen de montrer l’exemple et d’aller de l’avant. Certaines entreprises en ont ainsi fait du « droit à l’erreur » un véritable mantra : BlablaCar et sa politique du « Fail, Learn, Succeed », le groupe industriel 3M qui indique la nécessité de « savoir accepter le droit à l’erreur des autres » dans sa charte du travail, ou encore le groupe Air France dont le comité exécutif s’est engagé à « ne pas entamer de procédure disciplinaire à l’encontre d’un salarié qui aurait spontanément et sans délai révélé un manquement aux règles de sécurité ».
Posture n°6 - La vraie fausse intelligence collective
Le message que vous pensez faire passer :
Offrir un espace de discussion est, déjà, une chance en soi.
Ce qu’il se passe vraiment :
De la simple boîte à idées qui n’est jamais ouverte à la « consultation collective » qui ne servira qu’à appuyer les idées du boss, les occasions de demander l’avis des collaborateur·rices (sans le prendre en compte) sont nombreuses.
En quoi ça vous nuit :
Consulter les membres de votre équipe, pour finalement ne pas étudier leurs propositions, crée un désengagement sans doute plus important que si vous aviez imposé votre avis dès le départ. Quitte à jouer le despote, autant l’assumer.
Alors que faire ?
Le concept même d’intelligence collective à de nombreux détracteurs. Pour fonctionner, il est important d’énoncer les conditions et le cadre dans lequel chaque membre de votre équipe peut proposer une idée. Puis, pourquoi la solution finale a été sélectionnée. C’est seulement par la cohérence et la transparence que vous pourrez susciter l’adhésion de tou·tes autour d’un projet ou d’un problème à résoudre. Les entreprises qui parviennent réellement à mettre en place des pratiques d’intelligence collective choisissent leurs combats : elles se concentrent sur un nombre limité de sujets à challenger, pour lesquelles elles pourront réellement prendre en compte l’avis de leurs équipes. Pour le reste, elles assument une prise de décision unilatérale. Un petit pas pour le manager, mais un grand pas pour la transparence. Souvenez-vous que comprendre et jouer le jeu politique en entreprise est une compétence importante pour les dirigeant·es et managers. Une compétence que l’on peut mettre au service des autres, de son équipe, plutôt que de sa propre carrière. Finalement, les postures de politicien·nes ne sont pas forcément une mauvaise chose… pourvu qu’elles s’accompagnent d’éthique et d’intégrité.
Photo par Thomas Decamps
Article édité par Mélissa Darré
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