2017 et retour de la société civile : la politique est-elle accessible à tous ?

04 avr. 2022

6min

2017 et retour de la société civile : la politique est-elle accessible à tous ?
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Coline de Silans

Journaliste indépendante

Avec l’arrivée de plus de 400 nouveaux députés, dont 200 n’avaient jamais effectué de mandat politique, les législatives de 2017 ont marqué un tournant dans le monde politique français. Parmi ces nouveaux visages, beaucoup sont entrés dans le sillage du Président Macron, qui a fait de l’investiture de candidat·e·s issu·e·s de « la société civile », l’un de ses principaux arguments de campagne pour renouveler l’appareil politique. Chose promise, chose due, puisqu’après l’élection du candidat LREM, 56% des députés élus de la majorité démarraient en politique. Une fraîcheur nécessaire à la probité des élus selon Emmanuel Macron, qui expliquait lors d’un meeting de campagne à Lyon que « la politique ne pouvait pas être un métier, mais devait être une mission ». Cela signifie-t-il pour autant que « faire de la politique » est accessible à n’importe quel citoyen ?

Cinq ans plus tard, l’euphorie a laissé place à l’amertume. Députée de la 11e circonscription du Val-de-Marne, Albane Gaillot achève son premier mandat dans quelques semaines. Comme une cinquantaine d’élus qui sont arrivés sous l’étiquette LREM ou affiliés en 2017, elle ne se représentera pas aux élections législatives des 12 et 19 juin. En cause ? « Le fonctionnement gouvernement-parlement est un couple très rigide, où le Parlement a très peu de poids. Dès lors que vous n’êtes pas dans la majorité ou en désaccord avec celle-ci, c’est compliqué de faire aboutir les choses. »

Aujourd’hui, elle reconnaît que le travail de parlementaire n’a pas toujours été simple. Et s’il est vrai que ces primo-députés ont été l’attraction au début du quinquennat, les commentaires sur leur travail n’ont pas toujours été tendres. Raillés pour ne pas avoir regagné leurs sièges à temps pour voter des textes décisifs, tournés en ridicule pour applaudir aux mauvais moments, pointés du doigt pour leur manque de connaissances juridiques ou pour avoir parfois perdu leurs moyens au moment de prendre la parole… Chaque geste de travers est scruté et détaillé dans la presse. « Certains nouveaux députés n’avaient pas mesuré combien, en tant qu’élu, nous sommes dépendants de notre mandat. J’en ai vu beaucoup souffrir en cours de route, ils ne s’attendaient pas à ce que la tâche soit si difficile », explique Jean-Paul Lecocq, député communiste de la Seine-Maritime dans les premiers mois des élections de 2017.

Parmi ces nouveaux arrivants, beaucoup se souviennent avec émotion de leurs premiers mois de mandat. « Un an avant, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Moi, j’ai eu une campagne-éclair, et presque du jour au lendemain, je me suis retrouvée députée. C’est là où l’exercice de la fonction politique est très différente d’un métier, auquel on a postulé, pour lequel on s’est préparé. Il m’a fallu un an avant de prendre la pleine mesure de mon poste, et je me suis beaucoup épuisée », se souvient Albane Gaillot qui était jusqu’alors cheffe de projet digital dans le privé. Cet épuisement face à l’ampleur d’une tâche pour laquelle ils n’étaient pas préparés, d’autres néo-députés l’ont ressenti, à l’image de Matthieu Orphelin, député écologiste, qui déclarait en février 2022 ne pas vouloir se représenter, pour le bien de son équilibre familial et personnel. Des arguments souvent repris en faveur de ceux qui arguent du fait que la politique doit rester affaire de spécialistes.

Pas un métier… mais un vrai “travail”

Alors, lorsqu’il est question du « métier » d’homme ou femme politique, la question divise. Là où certains considèrent effectivement que l’exercice de la politique requiert certaines compétences et savoir-faire intrinsèques qui ne peuvent s’acquérir sur le tas, d’autres au contraire alertent sur le fait qu’exécuter correctement son mandat de parlementaire ne peut se faire qu’à la condition de ne surtout pas confondre cette fonction avec un métier. « Être parlementaire n’est pas un métier. C’est une fonction que l’on peut considérer comme une mission, qui nous est confiée par les électeurs : celle de voter les lois et contrôler l’action du gouvernement d’une part, et d’être en lien avec les habitants de sa circonscription d’autre part », explique Jean-Louis Touraine député LREM du Rhône. Une vision que partage Albane Gaillot : « La politique doit rester un engagement éphémère, quelque chose pour lequel on se bat. »

Pour ces députés, confondre mandat politique et métier de politique serait dangereux, car cela sous-entendrait que les parlementaires n’auraient plus en ligne de mire la défense des intérêts du peuple, comme l’exige leur fonction, mais la défense de leurs intérêts personnels. « Rien ne serait pire que des élus qui pensent qu’il faut rester en place jusqu’à la fin de leur activité, reprend Jean-Louis Touraine. Celui ou celle qui croit qu’il est là dans un métier qu’il doit stabiliser, développer de façon permanente, il se trompe, et ne remplit pas sa mission comme elle doit l’être. » Pourtant, si la plupart des élus s’accordent à dire que la politique n’est pas un métier, tous reconnaissent néanmoins qu’il s’agit d’un vrai « travail », à temps plein, dont il ne faut pas négliger la charge.

En effet, les allers-retours entre l’Assemblée nationale et la circonscription, le travail préparatoire nécessaire à la proposition d’amendements et de lois, au vote de celles-ci, et au contrôle du gouvernement, exigent un travail de fond permanent, difficilement compatible avec un autre métier. Ainsi, si un parlementaire aurait tort de voir son mandat comme une opportunité de « faire carrière », il faut néanmoins qu’il soit conscient de l’exigence d’une telle fonction.

Parlementaire : un vrai travail, accessible à tous ?

Certains observateurs politiques alertent cependant sur ce paradoxe : s’il faut assumer que la fonction d’élu parlementaire est un « vrai » travail, cela ne signifie pas que celle-ci ne devrait être accessible qu’à ceux qui sont déjà rodés aux rouages de l’appareil politique. Être en capacité d’intégrer dans ses rangs n’importe quel citoyen élu au suffrage universel, puisque celle-ci se doit, en théorie, de représenter le peuple, dans toute sa diversité, est d’ailleurs l’une des principales missions de l’Assemblée nationale. Or, bonne nouvelle, les compétences requises pour exercer la fonction politique ne s’apprennent pas nécessairement sur les bancs des grandes écoles. Pour Jean-Paul Lecoq, « être député revient avant tout à être en capacité d’entendre le monde qui vous environne, de sentir les choses. Et ça, ne s’apprend pas. On l’a par son éducation, par son parcours de vie, en s’engageant dans l’associatif par exemple, mais ce n’est pas quelque chose qui s’apprend à l’école. »

Quant aux questions plus « techniques », concernant par exemple le fonctionnement des institutions, il est tout à fait possible, selon le député communiste, de les apprendre sur le tas : « En ce qui me concerne, j’ai fait du droit le jour où je suis devenu député. La première chose que j’ai dite en arrivant à l’Assemblée c’est : « il me faut des stages, car je n’y connais rien ». En vérité, je trouve qu’il est même souhaitable d’apprendre sur le tas, sinon on ne se retrouve qu’avec des élus issus de Sciences Po, d’Assas… et ce n’est plus une démocratie. »

En ce sens, la maîtresse de conférences en Sciences Politiques Jessica Sainty estime que l’apprentissage de certaines compétences indispensables à l’exercice de la fonction politique est aussi du ressort des partis : « Les députés issus de la société civile vont avoir à faire preuve de compétences différentes de celles qu’ils pouvaient avoir auparavant : il faut une bonne connaissance du fonctionnement interne des institutions, des rapports avec le gouvernement, avec les ministres… Il y aussi certaines règles concernant la prise de parole, le dépôt des amendements, la façon dont on vote… En général, les partis politiques mettent en place des formations internes pour les nouveaux élus, plus ou moins élaborées selon les partis. » Jean-Paul Lecoq, qui a arrêté ses études après un bac technique, se souvient ainsi avoir appris les rudiments de la philosophie politique et de la comptabilité lors de stages au sein du parti communiste.

Pour Jean-Louis Touraine, le député LREM, les élus plus anciens peuvent aussi endosser le rôle de « passeurs de savoirs » auprès des néo-députés issus de la société civile. « Ce n’est pas indispensable d’être passé par une case électorale pour exercer la fonction politique, mais c’est vrai qu’on accède plus vite à une fonction efficace si l’on connaît les rouages de la chose publique, explique le député. Il y a tout un jargon, une façon de raisonner…. Dans ce type de fonction, les anciens n’ont pas plus de poids que les autres, mais ils peuvent conseiller les néo élus sur les façons de progresser dans cette « jungle ». Il faut accepter de passer par la case de l’apprenti au début, mais c’est important que personne ne soit exclu de ces fonctions. »

Ne pas voir la fonction de parlementaire comme un métier dans lequel on aurait envie de grimper les échelons, mais plutôt comme un engagement temporaire, une mission confiée par le peuple pour porter sa voix est l’essence même de la démocratie. Mais ces idéaux ne doivent pas masquer l’ampleur du travail qui se cache derrière un mandat et la frustration que la lenteur administrative peut parfois engendrer chez ceux qui n’étaient pas familier du fonctionnement des institutions. Cette année, plusieurs débutants en politique élus en 2017 ne rempileront pas en 2022, parce qu’ils estiment avoir mené à bien leur mission ou qu’ils ont été un peu écœurés de la vie politique, et se sentent plus utiles en œuvrant de l’extérieur. D’autres, à l’inverse, continueront à défendre leurs idéaux, en portant la voix du peuple. Peuple qui, pour se faire entendre, devra d’abord trouver le chemin des urnes…

Article édité par Romane Ganneval. Photo de Thomas Decamps.

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