Candidats : Non, le recruteur n’est pas le Dark Vador de l’entretien
22 déc. 2021
4min
Journaliste
De manière consciente ou inconsciente, quand on se prépare à un entretien d’embauche, on s’attend à être challengé‧e, poussé‧e dans nos retranchements, voire malmené‧e par notre interlocuteur. Ptisham Tazi, formatrice, coach et créatrice de la chaîne YouTube Se faire recruter, voit cela tous les jours avec les candidat‧e‧s qu’elle accompagne. Elle nous explique en quoi cette projection est en partie fausse (même si les mauvais recruteurs, ça existe) et, surtout, comment elle cause du tort aux candidat‧e‧s.
Vous dites que les candidat‧e‧s se font une image en partie erronée des recruteurs. Qu’est-ce qui vous a mené à ce constat ?
Je travaille depuis dix ans dans le champ de l’insertion professionnelle : j’accompagne des personnes en recherche d’emploi, sur toutes les phases de celle-ci. Il y a quelques années, je me suis rendu compte qu’elles avaient les mêmes questions et problématiques. J’ai alors créé ma chaîne YouTube pour y répondre. J’ai beaucoup de retours sur cette chaîne sur le ressenti des candidats avant et après l’entretien, et j’observe qu’ils se font une image erronée des recruteurs.
Comment définiriez-vous cette image ?
Les candidats ne sont pas toujours sereins en entretien, et ce n’est pas uniquement lié à l’enjeu de décrocher un job. Il y a tout un imaginaire autour des recruteurs. J’ai récemment fait un sondage sur LinkedIn sur ce que les gens espèrent d’un entretien d’embauche, et 47% des participants ont répondu “faire l’expérience d’un échange et pas d’un jugement”. Souvent, c’est parce que cette expérience désagréable a déjà été vécue.
Beaucoup de candidats ne se sentent pas respectés ou considérés par les recruteurs. 46%, par exemple, ont répondu qu’ils espéraient une réponse en cas de refus. Ça n’est pas un acquis, et pour des candidats qui ont travaillé dur et se sont bien préparés, l’absence de réponse est assimilée à un manque de considération et de respect.
Enfin, de nombreux candidats se projettent sur un échange fait de situations de malaise, de questions désagréables, provocatrices, voire discriminantes. Ils s’attendent à être poussés dans leurs retranchements, ce qui fait partie des techniques de recrutement, mais il y a un équilibre à trouver. Au fond, à l’exception de ceux qui travaillent déjà dans le recrutement, je ne rencontre aucun candidat qui croit en la bienveillance des recruteurs.
En quoi cette perception est-elle erronée ?
À mon sens, ces expériences négatives vécues, relatées et véhiculées conditionnent les candidats. Le déroulement négatif est ancré dans leur esprit. Par exemple, j’ai accompagné une candidate d’une cinquantaine d’années qui avait trente ans de carrière derrière elle. Elle partait convaincue qu’elle allait rater les entretiens car elle en avait eu qui s’étaient mal passés, elle avait été malmenée pour son âge. Elle était certaine que le recruteur n’allait pas apprécier son profil parce que d’autres l’avaient critiqué.
Or, j’échange avec beaucoup de recruteurs et je sais qu’il y en a de très doués, qui essaient de mettre les candidats dans une bonne position et à l’aise. Ils ont conscience que le stress joue dans l’entretien et savent qu’il ne faut pas tout prendre pour argent comptant. Et tous ne posent pas des questions déstabilisantes, même si bien sûr ça existe.
En quoi cette projection désavantage-t-elle les candidat.e.s ?
Cette attente qu’ils ont d’un moment désagréable les amène à une réserve, à être sur la défensive. Ils n’expriment pas leur personnalité et leur potentiel pendant l’entretien. Les recruteurs passent à côté d’informations et de profils hyper intéressants à cause de cet ancrage négatif.
À votre sens, comment faudrait-il voir les recruteurs et recruteuses ?
Avec les candidats que j’accompagne, j’essaie de remettre de la justesse dans cette image du recruteur : il n’a pas pour objectif de vous faire du mal, mais il a aussi des besoins, et il a besoin de découvrir un certain nombre de choses à travers les questions qu’il va poser. L’enjeu est extrêmement fort pour le candidat, mais du côté du recruteur il y a aussi des enjeux et du stress, notamment celui de se tromper dans son recrutement. J’explique ce que cela impliquerait, et j’essaie de déconstruire les représentations que les candidats se font de certaines questions. Le fil rouge, c’est que le recruteur n’est pas un ennemi : c’est potentiellement un futur collaborateur.
Quels conseils donneriez-vous pour mieux aborder les entretiens d’embauche ?
Je ne cesse de répéter que l’entretien est à voir comme un échange, une conversation. J’incite aussi les candidats à poser des questions, à ne pas être que dans l’attente et la réception, à montrer leur intérêt pour le poste et l’entreprise.
Mais répéter tout ça ne suffit malheureusement pas. Les recruteurs qui veulent changer leur image doivent montrer quelles sont leurs pratiques : il faut emmener les candidats à l’intérieur du processus, leur montrer comment un recrutement se prépare, expliquer ce que c’est le métier de recruteur. Il y a des choses à faire au niveau des méthodes de recrutement car certaines pratiques sont obsolètes aujourd’hui, certaines questions ne sont plus en phase avec notre société. Il faut une remise en question.
Enfin, il est très important de montrer les bonnes pratiques pour leur donner une existence, car elles ne sont pas réelles dans l’esprit des candidats. Par exemple, j’ai récemment lu un post d’une recruteuse sur LinkedIn qui expliquait qu’elle recevait un candidat dont elle a très vite vu que le profil ne correspondait pas. Elle a tout de suite stoppé l’entretien et lui a expliqué pourquoi, plutôt que de le laisser aller au bout du processus et attendre pour rien. Et elle lui a fait des recommandations sur sa candidature : le temps de l’entretien a donc été mis à profit pour le candidat, et j’ai trouvé ça génial. Ces bonnes pratiques existent, on ne les voit pas et on ne les entend pas, alors qu’on parle beaucoup des mauvaises. Si elles étaient plus visibles, cela redonnerait confiance aux candidats.
Article édité par Gabrielle Predko
Photo de Thomas Decamps
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