Faire preuve d’esprit critique en entretien : et si c’était une bonne idée ?
07 avr. 2021
4min
Journaliste indépendante.
Rares sont les personnes qui apprécient d’être contredites. Et si froisser votre belle-mère peut (au pire) vous valoir un regard noir et la plus petite part de gâteau au dessert, froisser un recruteur peut vous faire perdre le poste de vos rêves. D’autant que lors d’un entretien d’embauche, les sujets de désaccord potentiels ne manquent pas : stratégie de l’entreprise, pratiques managériales, process mis en place dans une équipe, organisation des tâches entre ses différents membres…
Vos remarques peuvent grandement contribuer au succès ou à l’échec de l’entretien. Alors, comment montrer un esprit critique sans faire preuve d’arrogance ? Comment challenger les pratiques de l’entreprise sans passer pour un « Monsieur/Madame-Je-Sais-Tout » ?
L’esprit critique, c’est quoi ?
Le Dictionnaire de philosophie de Christian Godin définit l’esprit critique comme « une disposition et attitude intellectuelles consistant à n’admettre rien de véritable ou de réel qui n’ait été au préalable soumis à l’épreuve de la démonstration ou de la preuve ». En bref, cela revient à douter tant que l’on n’a pas de certitude.
Aujourd’hui, le mot revêt parfois un sens péjoratif. Ce serait la faculté à relever systématiquement les défauts ou les points négatifs et à avoir la « critique facile ». Pourtant, l’esprit critique est la base du raisonnement scientifique et philosophique. Qui reprocherait aujourd’hui à Galilée d’avoir douté que la terre était plate ? L’esprit critique montre une capacité à réfléchir de manière indépendante, à comprendre les liens logiques entre les idées. Il permet de faire la différence entre le « croire » et le « savoir ». Et si le croire est accessible à tous, le savoir demande à la fois du temps et des efforts.
En entreprise, l’esprit critique permet d’identifier les problèmes importants, de prendre des décisions plus réfléchies. Il permet aussi de remettre en cause l’existant, le « on a toujours fait comme ça », et proposer des voies alternatives. Bref, celui qui fait preuve d’esprit critique est à la fois le « poil à gratter » d’une équipe… et celui qui la fait avancer.
Les dangers de la complaisance
L’entretien est un exercice délicat. On essaie généralement de se présenter sous son meilleur jour. Il est donc naturel d’être frileux lorsqu’il s’agit d’expliquer à son interlocuteur pourquoi il fait fausse route sur un sujet, challenger les projets qu’il a pu mettre en place ou remettre en cause ses méthodes de travail. Pourtant, nier votre désaccord pour plaire lors d’un entretien est un jeu dangereux.
Le premier risque, c’est de créer des tensions une fois en poste. Car au travail comme en amour, gare à celui qui « ment sur la marchandise » : séduire votre dernier match Tinder en lui faisant croire que vous êtes, vous aussi, un(e) grand(e) fan de randonnée comprend une part de risque. Combien d’ampoules aux pieds pourrez-vous endurer avant d’avouer que vous êtes plutôt « chaussons, Netflix et canapé » ? En muselant votre esprit critique pour faire bonne impression, votre futur manager sera en droit de croire que vous adhérez entièrement à ses idées / méthodes / pratiques. Aussi, il sera difficile de faire machine arrière. Et si vous y arrivez, il pourrait se sentir floué de voir soudainement sa façon de travailler remise en cause. Il est donc toujours plus judicieux d’exprimer rapidement, dès l’entretien, ses désaccords sur les fondamentaux.
Le second risque, c’est de ne pas saisir la perche que vous tend justement votre recruteur pour vous tester. Certaines entreprises évaluent l’esprit critique de leur candidat de manière évidente (à travers des problèmes ou une étude de cas, par exemple), d’autres de manière plus subtile. Sur des postes juniors - alors que vous avez encore peu d’expérience à faire valoir - votre capacité à analyser l’information, identifier un « problème » et en faire part au recruteur est parfois la seule manière dont il dispose pour savoir si vous êtes, ou non, le bon candidat.
Un esprit critique, oui. Mais enrobé de chocolat.
« Petit prétentieux », « pointilleux comme un comptable », « plombeur d’ambiance »… L’esprit critique à l’état brut peut être très mal perçu par votre interlocuteur. Voici quelques conseils simples pour vous assurer que cette jolie qualité sera perçue comme un atout.
Tournez vos neurones sept fois dans votre tête avant de parler. Prenez toujours quelques secondes pour vous assurer que vous avez bien compris le point de vue de votre interlocuteur avant de le challenger (quitte à lui demander de reformuler si vous avez un doute).
Ouvrez la discussion. Dire spontanément « je suis complètement contre cette pratique » est (un poil) frontal. Formulez votre désaccord de façon à ouvrir un dialogue : « Je vois les choses différemment. En effet, lors de ma précédente expérience, j’ai pu remarquer que… » Vous pouvez aussi, tout simplement, demander si votre interlocuteur souhaite échanger sur le sujet : « Je vois les choses autrement. Puis-je partager mon point de vue avec vous ? » Poser la question montre que vous êtes ouvert et que vous n’imposez pas votre avis.
Soyez sûr(e) de ce que vous avancez. Rien de pire qu’un jeune diplômé qui croit tout savoir après avoir lu deux livres et suivi trois heures de cours. Si vous souhaitez challenger votre interlocuteur, il est nécessaire d’avoir une solide connaissance du sujet, et une expérience terrain pour appuyer votre thèse. Si ce n’est pas le cas, formulez plutôt vos observations sous la forme de l’étonnement plutôt que du désaccord : « Je suis surpris(e) que vous utilisiez la méthode X, j’ai entendu parler de la méthode Y qui propose apparemment de… ».
Ne cherchez pas à « gagner ». Votre objectif n’est pas de montrer à votre interlocuteur que vous êtes plus futé(e) que lui, mais plutôt de mettre en avant vos capacités d’analyse, votre expertise du secteur et votre connaissance du sujet.
Choisissez vos combats. Si votre recruteur fait une erreur évidente ou expose une idée qui vous semble approximative, demandez-vous toujours si le point vaut la peine d’être relevé. Un entretien est souvent trop court. Laissez de côté les désaccords mineurs qui vous feront perdre du temps pour rien et choisissez de vous concentrer sur les sujets qui vous tiennent à cœur ou qui pourraient réellement impacter votre travail.
Sachez vous arrêter quand cela est nécessaire. Votre entêtement peut être décourageant pour un recruteur. Si vous voyez que celui-ci montre des signes d’agacement ou coupe court à la conversation, n’insistez pas. Si vous n’avez pas pu traiter de points importants, vous pourrez toujours y revenir par e-mail ou lors d’un prochain échange.
Faire preuve d’esprit critique en entretien montre à la fois vos capacités de réflexion et votre volonté d’améliorer les pratiques de l’entreprise. En vous exprimant sincèrement, vous vous assurez que chacun sortira gagnant de l’échange et que ni vous, ni l’entreprise, ne sera frustré après votre prise de poste. Car oui, l’esprit critique est un atout indéniable. Et un désaccord - s’il est bien amené - peut être très sain et constructif.
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