Faire des blagues en entretien d'embauche : ça passe ou ça casse ?
20 janv. 2023
5min
Journaliste indépendante.
« Pince-mi et Pince-moi sont sur un bateau… ». Les vertus de l’humour ne sont plus à prouver. Le rire fortifie le système immunitaire, combat le stress, soulage la douleur, rapproche les êtres humains et favorise le bonheur. Mais s’il ne fait nul doute que c’est une qualité très appréciable dans la vie personnelle et professionnelle, faut-il s’y risquer lors d’un entretien d’embauche ? Décryptage et témoignages.
L’humour : une soft-skill comme les autres ?
Un demi-siècle d’études menées par divers chercheurs confirment ce vous soupçonniez peut-être : l’humour, utilisé habilement, graisse les rouages dans le monde du travail.
Différentes études détaillées par la Harvard Business Review montrent d’ailleurs que la performance et le montant des primes d’un cadre sont directement corrélés à son sens de la blague. Et de manière générale, les personnes dotées d’un sens de l’humour acéré sont plus populaires et obtiennent de meilleures évaluations de leurs pairs. Pourquoi ? Car l’humour serait le marqueur d’une intelligence émotionnelle élevée. Et l’intelligence émotionnelle, c’est LA nouvelle soft-skill à la mode, censée nous aiguiller dans ce nouveau monde de travail post-COVID.
Mais ce n’est pas tout, d’autres recherches indiquent que les personnes drôles auraient aussi un QI plus élevé. Et les amateurs d’humour noir en particulier. Ces derniers obtiendraient de meilleurs scores aux tests de QI verbaux et non verbaux, un niveau d’agressivité plus bas que la moyenne et seraient plus rarement de mauvaise humeur. Ce collègue aux blagues parfois choquantes serait-il un génie ? Peut-être.
Ainsi, peut-on supposer qu’utiliser l’humour de façon adéquate permettrait à un candidat de se distinguer d’un autre, de fluidifier les échanges et de créer un lien avec son recruteur ? Témoignages et conseils de ceux qui s’y sont risqué. Attrapez un paquet de Carambars, et c’est parti.
L’humour : une carte maîtresse en entretien ?
Oui, l’humour est une qualité, qui peut vous aider à convaincre en entretien. Mais encore faut-il en connaître les règles.
Misez sur l’humour de situation
« Connaissez-vous la différence entre… »… STOP ! Si l’humour peut avoir sa place en entretien, il doit rester naturel, ne pas être “scénarisé” et ne discriminer personne. Les blagues récitées sont la chasse gardée de votre oncle Roger lors des repas de famille, et doivent le rester. En entretien d’embauche, cherchez à vous appuyer sur le contexte pour faire mouche.
C’est l’approche expérimentée par Benjamin, lors d’un premier entretien de stage. « J’étais arrivé avec 10 minutes de retard et je ne faisais pas le fier. Lorsque mon interlocutrice m’a demandé mes qualités, j’ai répondu “la ponctualité”, avec un grand sourire. C’était risqué, mais elle a ri ! Cela m’a permis de m’excuser à nouveau et d’enchaîner, dans une ambiance un peu plus détendue », confie-t-il.
Préparez des “effets de surprise”
Vous l’avez compris, faire de l’humour en entretien ne nécessite pas de réciter votre meilleure blague de Toto. En revanche, que les ennemis de l’improvisation se rassurent : il est aussi possible de préparer quelques traits d’humour en amont. Et pour cela, rien de tel que de travailler les “grands classiques” de l’entretien, et de bien choisir vos mots pour les raconter, surprendre et renouveler l’attention votre interlocuteur.
C’est la stratégie habilement exploitée par Johanna, conceptrice rédactrice : « Si on me demande comment je gère un client difficile, par exemple, je vais glisser quelques formulations surprenantes comme “Quand mon client X m’a indiqué qu’il hésitait entre notre agence et un autre prestataire, j’ai décidé de le soudoyer… (je laisse un silence)… avec quelques cookies maison, car j’adore la pâtisserie ! Mais j’ai également…”. Généralement, je vois le regard surpris de mon interlocuteur, puis son sourire quand il comprend », partage-t-elle. Voilà une stratégie payante, et relativement peu risquée.
Autodérision, humour british, comique de geste… trouvez votre style
L’humour peut prendre de nombreuses formes, dont certaines sont plus ou moins adaptées au contexte de l’entretien d’embauche. L’ironie, l’absurde, les blagues racistes ou sexistes, ou encore l’humour noir peuvent être offensants ou mal interprétés. En revanche, le comique de situation ou encore l’autodérision - quand ils sont bien utilisés - sont souvent des choix très pertinents.
L’autodérision, c’est d’ailleurs le style préféré d’Anthony, chef de projet dans l’industrie automobile. Il use de cette stratégie pour contrebalancer cette surconfiance apparente qu’on lui a parfois reprochée, et paraître ainsi plus sympathique. « Je suis sûr de moi et j’ai une tête à claques, paraît-il. Alors en entretien, j’essaie toujours de faire une ou deux blagues qui montrent que je suis aussi quelqu’un de sympa, avec du second degré, et peu susceptible. J’ai toujours quelques expressions dans ma poche, du style “je délivre aussi rapidement que je me coiffe le matin” (ndlr : Anthony est chauve). C’est rare que je ne décroche pas au moins un sourire avec ça » raconte-t-il. En revanche, si vous vous savez stressé(e) et que vous manquez de confiance en vous, n’enfoncez pas le clou et évitez de vous autosaborder.
Comment éviter de se tirer une blague dans le pied ?
Mais attention : l’humour est une arme à affûter et à ajuster à chaque contexte, chaque entreprise, chaque interlocuteur. Sans quoi, c’est le flop assuré.
L’humour oui, mais pas à tout prix : restez naturel(le)
L’humour et l’improvisation sont des arts qui se travaillent, mais que l’on peut difficilement acquérir la veille d’un entretien. Si vous n’êtes pas d’un tempérament “plaisantin”, vous forcer en cette occasion si particulière pourrait vous jouer des tours.
C’est ce qu’a appris, à ses risques et périls, Johanna. « Je ne suis pas quelqu’un de très à l’aise à l’oral ou particulièrement extravertie. Je postulais dans une start-up, où les gens avaient l’air très détendus et “cool”. J’ai essayé de jouer le jeu et tenté un ou deux traits d’humour, mais j’étais si mal à l’aise que je suis tombée à côté de la plaque. Mon interlocuteur a eu la décence de me retourner un sourire forcé, mais c’était clairement dérangeant pour nous deux », se souvient-elle.
Trouvez le bon moment…
Le contexte de l’entreprise, le stade de l’entretien d’embauche ou encore le secteur d’activité sont autant de critères importants à prendre en compte. Il va sans dire qu’être recruté en période de crise pour l’entreprise, à un poste de contrôleur interne, sera moins propice à l’humour qu’à un poste de marketeur après l’euphorie d’une levée de fonds. Dans sa forme la plus efficace et réussie, l’humour met les gens (y compris vous) à l’aise.
C’est ce qu’a pu constater Anthony, lors d’un autre entretien au début de sa carrière. « Quand je suis stressé, j’ai tendance à faire des blagues pour me donner une contenance. Alors j’ai enchaîné les boulettes, sans réellement m’en rendre compte: sur la couleur des murs de la salle de pause, sur le montant dérisoire de l’indemnité de stage alors que l’entreprise était en difficulté… Avec le recul, j’en rigole. Mais je pense que j’ai été vraiment malaisant. D’ailleurs, mon interlocuteur n’a pas rigolé une seule fois » reconnaît-il.
… Et le bon interlocuteur
Alors si votre recruteur ressemble à la version vivante de Angry Bird, tenez-vous-en à une attitude strictement professionnelle. Si vous faites le choix d’ajouter un peu de légèreté à votre entretien, veillez à bien “lire” votre interlocuteur. Même les meilleures répliques d’OSS 117 ou du Dîner de Con pourraient faire un flop, dans des oreilles mal avisées. N’oubliez pas que tout le monde n’apprécie pas l’humour de la même manière.
Au fil de sa carrière, Benjamin a appris à écouter et observer le langage corporel et les signes de ses interlocuteurs. « Pour caricaturer un peu, si le recruteur est tiré à quatre épingles, croise les bras et se tient droit comme un piquet sur sa chaise, je reste très professionnel. En revanche, si je vois qu’il semble plus détendu, qu’il salue gaiement ses collègues dans les couloirs ou qu’il dévie des questions traditionnelles de l’entretien, je tente ma chance », explique-t-il. Et en cas de doute sur l’attitude à adopter, jetez un (petit) hameçon et observez sa réaction. Si votre interlocuteur ne mord pas, laissez tomber et restez en terrain sûr.
Oui, l’humour peut vous faire apparaître naturellement sympathique, motivé(e), intelligent(e) et aider votre interlocuteur à vous imaginer dans sa future équipe. La clé ? Trouver le bon équilibre : le bon moment, le bon style d’humour et la bonne réplique. Et surtout, le voir comme la cerise sur le gâteau… et pas la ganache qui le recouvre. L’humour doit être utilisé comme un élément de différenciation, et non présenté comme votre compétence numéro 1, sans quoi vous pourriez faire oublier toutes les autres.
Article édite par Manuel Avenel, photo par Thomas Decamps
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