Créatifs, talentueux, maladroits : les clichés sur les gauchers sont-ils vrais ?
25 mai 2021
6min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste - Welcome to the Jungle
Quel est, d’après vous, le point commun entre Albert Einstein, Mozart, Steve Jobs, la Reine Victoria, Rafael Nadal, Jimi Hendrix, Michel-Ange et Barack Obama ? Vous ne voyez pas ? Comme 8 à 15% de la population mondiale en 2019, tous ces génies sont ou étaient gauchers.
Mais pourquoi certains utilisent leur main gauche plutôt que la droite ? Depuis des décennies, le mystère qui entoure la « latéralité » chez l’être humain est au cœur de nombreuses expérimentations scientifiques. Ne fuyez pas à l’énonciation de ce terme : celui-ci désigne simplement le fait d’effectuer certaines activités comme l’écriture, le brossage de dents, le dessin ou le lancer, d’une main plutôt que de l’autre. Pour autant, peut-on penser que les gauchers ont plus de chances d’être des génies que leurs congénères droitiers ? Et cette petite différence est-elle un atout dans le monde du travail ? On démêle le vrai du faux.
Croyance n°1 : les gauchers sont meilleurs en sport que les droitiers
Nous sommes tous faits des mêmes muscles, organes, tendons… Pourtant, une minorité d’êtres humains utilisent leur main gauche, plutôt que la droite. Pour quelles raisons ? Qu’est-ce que cela dit de nos prédispositions naturelles ? Plus qu’une simple préférence manuelle, cette étrangeté que l’on appelle communément « latéralité » ou « gaucherie » est un indicateur intéressant de l’organisation de la division des tâches dans le cerveau, comme le souligne le professeur Sebastian Ocklenburg, de l’unité de recherche en neurosciences de l’Université de la Ruhr : « Pour vous donner un exemple concret, prenons le langage : chez les droitiers, il est principalement traité par l’hémisphère gauche (95%), très rares sont ceux qui utilisent le droit (5%). Chez les gauchers en revanche, le nombre de personnes gérant le langage dans le cerveau droit est plus important (25%). »
Ce n’est pas tout, selon une étude australienne publiée en 2006 dans la revue Neuropsychology, les connexions entre les hémisphères du cerveau seraient également plus rapides et nombreuses chez les gauchers, ce qui leur donnerait un avantage dans le traitement de l’information. De là à imaginer qu’ils surpasseraient les droitiers ? « Rien n’a encore été prouvé à ce sujet », tempère le chercheur allemand. En même temps, quelques scientifiques estiment que le fonctionnement différent du cerveau pourrait expliquer les bonnes performances des gauchers dans certaines disciplines.
En effet, 25% des joueurs de baseball professionnels sont gauchers, alors qu’ils devraient être beaucoup moins nombreux, puisque 8 à 15% des êtres humains sont gauchers. Plus étonnant encore, chez les sportifs de haut niveau dans les compétitions où le temps de réaction est le plus court, comme le tennis de table ou le badminton par exemple, il y a une proportion encore plus importante de gauchers. Pour quelle raison ? Si des études estiment que les gauchers seraient plus doués pour trouver des solutions multiples et ingénieuses à un problème donné (ce qu’on appelle aussi la pensée divergente) grâce à des facultés cognitives particulières, d’autres pensent qu’il s’agit simplement d’un effet de surprise. Les droitiers n’étant pas habitués à s’entraîner avec des gauchers, ils seraient de fait désavantagés face à un tel adversaire, qui lui, est généralement entouré de compétiteurs droitiers. Qui croire alors ? S’il semble plutôt logique que le poisson - les animaux sont également gauchers ou droitiers - qui tourne à gauche alors que tous ses congénères font de même à droite a plus de chances d’échapper aux prédateurs puisqu’il les déstabilise, l’autre hypothèse suggérant une supériorité cognitive n’a pas encore été prouvée.
Croyance n°2 : les gauchers ont des prédispositions naturelles pour les disciplines artistiques
Selon certains scientifiques l’hémisphère droit du cerveau - où résident nos fonctions d’analyse spatiale et artistique - est en moyenne plus développé chez les gauchers, ils seraient inévitablement plus créatifs. Si l’on suit ce raisonnement, pas étonnant qu’ils soient surreprésentés parmi les musiciens, peintres, architectes, designers… Après tout, Pablo Picasso, Léonard de Vinci et Rembrandt, pour ne citer qu’eux, étaient gauchers. Pour autant, existe-t-il de solides preuves scientifiques qui appuient cette thèse ? « Des études assez anciennes soutiennent en effet cette idée, rappelle le professeur Sebastian Ocklenburg. Une recherche effectuée dans les années 1970 à l’Université de Cincinnati aux États-Unis révélait qu’il y avait une plus grande proportion d’étudiants gauchers en musique et arts visuels qu’en sciences. » Deux ans plus tard, en 1981, l’Américain Anthony Newland publie une étude après avoir fait passer un test de créativité à 96 gauchers et 96 droitiers. Le chercheur montre une fois encore que les gauchers font preuve d’une plus grande créativité.
Malheureusement, une étude réalisée sur un petit panel non représentatif ne signifie pas grand chose scientifiquement. Un sondage en ligne organisé par l’Université de Groningen aux Pays-Bas, sur un échantillon de 20 539 personnes, a ainsi tenté, une nouvelle fois, d’évaluer la créativité des gauchers et droitiers. Résultat : il n’y avait pas de différence entre les deux. L’étude a en revanche révélé que les individus fortement droitiers ou gauchers (rares sont les personnes à être droitières ou gauchères de la main, de l’œil, et du pied à la fois ) consacraient plus de temps aux activités artistiques et étaient davantage “doués” que les autres. Pure coïncidence ? Mystère. « Nous voyons donc encore une fois que la prévalence artistique des gauchers est infondée », conclut le chercheur de l’Université de la Ruhr.
Croyance n°3 : les gauchers sont plus maladroits
C’est à se demander pourquoi l’être humain s’obstine à penser qu’il y a des différences notables entre gauchers et droitiers. Vous n’avez jamais entendu dire que les gauchers avaient plus de troubles mentaux, qu’ils vivaient moins longtemps et étaient moins épanouis sexuellement que les droitiers ? Ne serait-ce pas les stigmates d’une histoire compliquée pour ceux qui ont toujours préféré utiliser leur main gauche ? Pendant des siècles, et encore aujourd’hui dans certains pays, la main gauche est associée au vice, à la faute (Pakistan, Inde, Togo…). Dans la plupart des textes monothéistes, les interdits qui portent sur la main gauche, « la main du diable » sont nombreux, particulièrement sur les usages à haute valeur symbolique comme le signe de croix ou la prise des aliments. Même la Bible précise que les bons croyants seront mis à droite de Dieu et accéderont au paradis tandis que les mauvais iront à gauche, en enfer. Ces idées reçues gravées dans l’inconscient collectif ont eu un impact considérable sur la vie des gauchers, particulièrement au XIVème siècle : forcés d’écrire avec une main attachée dans le dos, frappés avec une règle métallique sur les doigts à l’école, insultes, humiliations sociales en tout genre… Si certains ont su s’adapter en développant une certaine ambidextrie, pour les gauchers très marqués en revanche, il a été particulièrement difficile de se conformer à cette norme sociale. C’est d’ailleurs pour cette raison que dans notre langage courant, on associe encore gaucherie et maladresse : considérant qu’un gaucher a tendance à perdre ses repères en utilisant sa main droite, il a plus de chance de faire tout de travers si l’on force à utiliser sa « mauvaise » main !
En Europe, la fin de la stigmatisation des gauchers est assez récente : elle coïncide avec la fin de la Première Guerre mondiale. Alors que des dizaines de milliers de soldats rentrent du front mutilés, amputés de leur main droite, ils s’adaptent à leur nouvelle vie, en utilisant cette main délaissée. « Ces hommes rentrés en héros, se sont mis à tout faire de la main gauche, notamment le signe de croix, car ils n’avaient plus le choix, rappelle l’historien Pierre-Michel Bertrand. Ces gestes “déplacés” sont devenus héroïques. » En France, à la fin des années 1950, les spécialistes de l’enfance recommandent enfin de respecter l’enfant et depuis, le nombre de gauchers contrariés a presque disparu.
Une étude en chasse toujours une autre
Si les récentes recherches sur la latéralité prouvent bien que les clichés véhiculés sur les gauchers sont injustifiés, régulièrement, d’autres études tentent de démontrer le contraire, à l’instar de celle menée par Joshua Goodman en 2014. En effet, selon le professeur de la prestigieuse université d’Harvard, les gauchers auraient plus de chances de présenter des facultés cognitives faibles, seraient moins diplômés et auraient donc plus de chance d’avoir des salaires moins élevés que les droitiers. En attendant qu’un autre scientifique ne vienne rétablir justice pour les gauchers, ces derniers peuvent toujours balayer ces résultats d’un revers de main, puisque Bill Gates, gaucher sacré homme le plus riche du monde en 2017, ne semble pas vraiment affecté par cette situation… Mais pas la peine de fanfaronner pour autant, « les gauchers ne sont pas plus intelligents que la moyenne, rien ne prouve qu’ils ont des dispositions particulières pour les arts et ne sont pas plus des génies que les droitiers », assure Sebastian Ocklenburg. Étant gauchère moi-même, j’aurais bien évidemment aimé qu’il en soit autrement.
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Article édité par Gabrielle Predko.
Photos by Thomas Decamps pour WTTJ
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